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vendredi 23 août 2013

Taubira, voile à l’université, Roms… la méthode Valls décryptée en 5 points

                                                               Actualité culturelle par Les Inrocks

Taubira, voile à l’université, Roms… la méthode Valls décryptée en 5 points

Manuel Valls le 24 juillet 2013 (Philippe Wojazer/Reuters)

Devant les caméras ou dans les travées du pouvoir, Valls singe les deux mamelles du sarkozysme des premières années : conservatisme décomplexé et hyperactivité médiatique. Le cocktail a déjà permis une première fois de scintiller dans l’ombre d’un président “corrézien”. Décryptage.

En politique, les plus revanchards lâchent souvent tout haut ce que le microcosme a pris l’habitude de murmurer. A la question d’un journaliste du JDD : “Avez-vous le sentiment que Manuel Valls en fait trop cet été ?“, le sénateur François Rebsamen, ex-concurrent de Valls à l’Intérieur, a rétorqué : “Disons qu’il sait être au service de sa popularité. C’est sa méthode et visiblement elle lui réussit plutôt bien.“ Voile à l’université, révoltes en banlieue, camps de Roms, SDF et désormais sabotage de la réforme judiciaire de sa collègue Christiane Taubira, décryptage de cette fameuse “méthode” Valls.
1. Rapporter au président 
Mardi, Le Monde a révélé une note rédigée par Manuel Valls, le 25 juillet dernier, à l’attention de François Hollande. L’objet : saper la réforme de la procédure pénale impulsée par Christiane Taubira.
La garde des Sceaux s’est dite “surprise” par le fond autant que par la forme. Elle a eu le ministre de l’Intérieur au téléphone le 29 juillet, a “bu un verre” avec lui à Matignon le 31 juillet pourtant : “A aucun moment, le ministre de l’Intérieur n’a saisi ces deux occasions pour m’informer de la teneur de cette lettre“, relève la ministre.
Outre la demande d’arbitrage réclamée auprès du président de la République sans informer sa propre collègue, il y a une divergence de fond. Deux visions s’affrontent – notamment – sur la façon de réguler la surpopulation des prisons (au 1er juillet 2013 : on comptait 68 569 détenus pour 57 320 places). Du côté du ministère de la Justice, on souhaite repenser la peine en évitant l’enfermement systématique induit par les peines planchers. Du côté du ministère de l’Intérieur, on propose de bâtir plus de prisons.
Dans une interview à Libération, Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature (classé à gauche) a dénoncé “les dangers d’une stratégie qui faisait de la loi pénale un vecteur de communication politique, au risque de provoquer un débat passionnel et irrationnel“. Et d’insister : “il reproduit en cela les méthodes de l’ancien gouvernement, alors même que nous les dénonçons“.
2. Se positionner avant la sortie des rapports
Le 5 août, douze proposition du Haut conseil à l’intégration (HCI) fuitent dans Le Monde. L’une d’elles préconise l’interdiction des “signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse” à l’université – comprendre le hijab, précise l’historien de la laïcité Jean Beaubérot dans un coup de gueule sur son blog.
Manuels Valls juge im-médiatiquement ces propositions “dignes d’intérêt“. Peu importe que le HCI n’ait plus de fonction officielle depuis qu’il a été remplacé par l’Observatoire de la laïcité cette année, que son président Alain Seksig semble engagé dans une croisade personnelle et que des universitaires dénoncent sur les Inrocks.com des travaux à connotation islamophobe basés sur une “disqualification des sciences sociales“. La méthode Valls n’attend pas. Faisant fi du rapport en cours de rédaction que l’Observatoire doit lui remettre en tant que ministre des Cultes, il prend position. En 2004 déjà, Valls fut le seul député socialiste à voter pour la loi interdisant les signes religieux ostensibles dans les écoles publiques.
Cette énième sortie a énervé jusqu’à Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur, qui a précisé que le voile à l’université “ne pose pas de problème“. “Ne nous précipitons pas, ne faisons pas une polémique d’un sujet qui n’en est pas un“, a-t-elle glissé à qui de droit.
3. Une com’ à l’épreuve du réel
Trappes, 18 juillet dernier, le contrôle d’une femme voilée dérape. Les policiers disent avoir été agressés par le mari, le mari dénonce les provocations des policiers. S’en suit une semaine d’affrontements entre des jeunes et la police. Plus de 48 heures après le début des échauffourées, Valls débarque sur place entouré d’appareils photos et de caméras. Assurant que le calme était de retour, il déclare “inacceptable” et “intolérable” la violence à l’égard des policiers dont feraient preuve “une minorité de voyous“.
Le coup de com’ tourne court. Alors qu’il est filmé en direct par I-Télé lors de son déplacement, une habitante du quartier l’interpelle. Calmement mais avec insistance, elle pointe le fait que le maire de Trappes présent aujourd’hui ne répond pas aux courriers. Valls s’énerve et ose : “Ça ne sert à rien de mettre en cause au milieu des caméras“…
Chère madame je vais vous dire quelque chose : la mise en cause d’un élu, la mise en cause d’un ministre, la mise en cause des forces de l’ordre y compris dans vos mots montre bien qu’il y a un problème.
L’habitante le coupe. “Acceptez aussi que vous ayez affaire à une population qui est en détresse.
Un article du Monde intitulé Les limites de la méthode Valls reviendra en détail sur ce bref échange qui en dit long. Le lendemain, Valls suggère que cet épisode pourrait être “fabriqué“…
4. Sortir la phrase choc 
“[L'expérience des villages d'insertion] ne peut concerner qu’une minorité (de Roms) car, hélas, les occupants des campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution”, a déclaré jeudi 14 mars Manuel Valls au Figaro.
Autre punchline savamment distillée par le ministre : “Les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner“. L’association la Voix des Roms a estimé que les propos du ministre étaient “un concentré de mensonges et de messages jetant l’opprobre sur les Roms” :
“Des références à la délinquance, aux trafics, à la prétendue non-acceptation des Roms par les habitants des quartiers populaires touchés par la crise, comme si les Roms en étaient à l’origine…” s’est indigné l’association.
Derrière ces phrases lui permettant d’incarner l’intransigeance sécuritaire du “Premier flic de France”, se dessine une politique identique à ses prédécesseurs de droite. Dans un entretien au Monde.fr, Grégoire Cousin, chercheur à l’Observatoire européen Urba-Rom, estimait qu’il n’y avait “ni diminution ni augmentation des expulsions forcées des camps de Roms depuis l’élection de François Hollande en mai. Elles se poursuivent sur le même rythme que pendant le mandat de Nicolas Sarkozy.”
5. SDF : “not in my backyard”
Selon une enquête du Canard enchainé d’octobre 2012, les policiers du XIe arrondissement de Paris se sont échinés à chasser les sans-abris et les Roms de la rue de la Roquette sur les ordres de Manuel Valls. La raison de cette politique hyper locale ? L’un des déplacés aurait importuné sa compagne Anne Gravoin qui habite dans les parages…
Le journal satirique racontait que les policiers chargés de déloger les SDF “finissent parfois par ce terrible aveu: ‘C’est une décision du ministère de l’Intérieur’.” Interrogé, le cabinet du ministre “jure que le ministre n’a fait aucune demande privative, qu’il n’y a aucune consigne“.
Bilan : un ministre de l’Intérieur qui n’échappe pas à la tentation du messianisme
Entre omniprésence médiatique et surenchère sécuritaire, la méthode Valls se dessine petit à petit : surprendre sur des sujets clivants en assumant des positions traditionnellement classées à droite. Pourtant, à sa prise de fonction une analyse du Monde croyait déceler une évolution :
“Manuel Valls est aussi parvenu – ou presque – à échapper à la multiplication des annonces. L’exercice est difficile tant, depuis 2002, le poste de ministre de l’Intérieur a pris un caractère “quasi-messianique” intégré par tous, des élus aux syndicats de policiers.”
Valls flirte de plus en plus avec sa propre image. Comme Narcisse, il y prend goût. La photo de son “baiser calculé” à sa compagne publié en double page dans Paris Match semble annoncer la tentation d’une autre facette : la pipolisation.
L’ambition grandissante – comprendre présidentielle – du ministre de l’Intérieur lui donne des ailes, mais attention aux envols précipités.“Manuel pense déjà trop au coup d’après : Matignon et pourquoi pas la présidentielle de 2022 !”, prévenait dans Le Monde un élu souhaitant rester anonyme. Mais il part beaucoup trop tôt, il s’expose plus qu’il ne le devrait et il va finir par le payer”.
le 14 août 2013 à 12h31

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