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vendredi 10 mai 2024

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - vendredi 10 mai 2024

 


BibliObs

Vendredi 10 mai 2024

La liberté d’expression, c’est le perpétuel retour. Dans « Le Nouvel Obs » par exemple, nous interrogions il y a quelques mois le politiste Denis Ramond, qui nous expliquait qu’elle était, au-delà d’un principe juridique, une arme politique. Plus récemment, le juriste Nicolas Hervieu affirmait dans nos pages qu’il fallait « toujours mieux prendre le risque de la liberté d’expression que son bâillonnement ». Et voilà qu’à l’occasion de la suspension par Radio France du comique Guillaume Meurice − suite au renouvellement de sa blague traitant Benyamin Nétanyahou de « nazi sans prépuce » − on se demande à nouveau quelles sont ses limites.

Car la question centrale est bien celle-ci : si presque tout le monde est d’accord sur le principe de la liberté d’expression, peu s’entendent sur ses contours. Et, comme le montre l’affaire Guillaume Meurice, le droit n’est pas d’un grand recours. Car le classement sans suite de la plainte qui le visait pour « provocation à la violence et à la haine antisémite » et « injures publiques à caractère antisémite » n’empêche pas sa suspension par son employeur et, au-delà, la question de savoir si sa blague ne joue pas avec un imaginaire trouble. C’est très bien que les limites fixées par le droit existent, mais elles sont pauvres et ne règlent que les cas les plus évidents. Par ailleurs, ce n’est pas parce que quelqu’un est condamné qu’il est ensuite interdit de débat public (cf. Eric Zemmour). Alors que, dans certains cas, la réprobation morale − sans condamnation judiciaire − peut valoir exclusion. Bref, on pourrait se lasser d’un débat qui donne l’impression de toujours recommencer.

Une solution pour en finir serait de durcir le cadre juridique, comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises : avec la loi Gayssot de 1990, qui visait à réprimer plus fortement les auteurs de propos racistes et antisémites, ou plus récemment avec la création du délit d’apologie du terrorisme. Mais on voit bien que ça n’attrape pas tout. D’ailleurs, le faudrait-il ? Sur ce point, les deux interlocuteurs sus-cités étaient plutôt d’accord : il y a deux plans, celui du droit, et celui de la morale publique (appelons comme cela le nécessaire surmoi du débat public… ). Il vaut mieux que le premier ne soit pas trop extensif. Une raison parmi d’autres : le droit ne prend pas en compte qui parle (en vertu du principe d’égalité devant la justice), alors que c’est une question centrale dans la morale publique. Pour le dire autrement : dite par un non-juif, une blague juive peut vite devenir antisémite.

Mais si le droit laisse nombre de problèmes en suspens, il faut accepter la dispute, le désaccord, la confrontation. Et surtout, il faut accepter que le problème revienne inéluctablement, que les limites de la liberté d’expression soient sans cesse réinterrogées. Ce qui signifie ne pas se lasser ou passer son chemin quand le sujet revient sur le tapis. Ce qui signifie aussi entendre des propos qu’on n’a pas envie d’entendre, des arguments qu’on n’a pas envie d’entendre. Se heurter à la mauvaise foi, à la politique déguisée sous de faux principes. Se dire que ça fait partie de la vie démocratique. On dit ça comme si c’était facile…

Xavier de La Porte

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