Translate

vendredi 31 mai 2024

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - vendredi 31 mai 2024

 



BibliObs

Vendredi 31 mai 2024

Un éditeur n’est pas propriétaire de sa maison d’édition et les éditions du Seuil, fondées en 1935, ont largement assez de ressource pour continuer à publier de beaux livres pendant de longues années. Il n’empêche : il est difficile de ne pas s’inquiéter à l’annonce du « limogeage » d’Hugues Jallon. Un patron de gauche qui se fait virer d’une grande maison d’édition, comment ne pas l’inscrire dans la suite de ces petits signaux inquiétants qui se multiplient dans les médias, à l’université ou chez des concurrents du Seuil, dessinant une lente mais constante droitisation du champ intellectuel ? Espérons que, dans le cas présent, cette interprétation ne soit pas la bonne.

On écrit ici « limogeage » avec des guillemets, car l’information n’est pas encore confirmée. Officiellement, Hugues Jallon est juste en « arrêt-maladie ». Néanmoins, à en croire les proches du dossier, une issue autre qu’un départ négocié serait une grosse surprise.

Président du Seuil depuis 2018, Hugues Jallon est (était ?) un président atypique. Engagé très à gauche, c’est aussi un écrivain qui a le goût de l’expérimentation. Un seul exemple : en 2011, dans un recueil de poésies « anticapitalistes » intitulé « Toi aussi, tu as des armes », il avait publié une longue saga en vers libres sur l’histoire de Michel Fois, « communicant » du patronat français dans les années 1960 et pionnier du « storytelling » politique à la française. Faire des rimes sur un tel sujet, il fallait oser. Et c’était très réussi.

Hugues Jallon a été numéro 2 de La Découverte, puis numéro 2 du Seuil, puis numéro 1 de La Découverte, puis numéro 1 du Seuil… Ce qui justifie cette belle carrière, c’est d’abord son excellente connaissance des sciences sociales. Un secteur éditorial qui était le point fort du Seuil − Barthes, Lacan ou encore Ricœur en furent les auteurs-phares − mais qui se vend moins bien désormais. Être le numéro 1 d’une si grosse maison dans un contexte de reflux, ce n’est sûrement pas une sinécure. Le départ fracassant en mars dernier d’Adrien Bosc, l’éditeur qui monte dans le domaine de la littérature, avait été un coup dur, même si Jallon peut se targuer de beaux recrutements, notamment dans le domaine de la BD.

D’où l’interrogation : est-ce un limogeage parce que les résultats ne seraient pas assez bons ou pour sanctionner une radicalité politique ? Le nom du successeur que désignera l’actionnaire − le groupe Média-Participations, également propriétaire de Dargaud − apportera la réponse. Si c’est un éditeur reconnu, solide et appartenant à la grande famille de la gauche, on pourra dire que l’essentiel a été préservé. Le cauchemar, ce serait un scénario à la Fayard : la mise sous tutelle du Seuil pour des raisons politiques. Rien n’indique que l’on aille dans cette direction, mais, par les temps qui courent, on aimerait quand même être rassuré au plus vite.

Eric Aeschimann

Notre sélection
« Dans une rupture, on perd des organes » : dialogue entre les philosophes Claire Marin et Fabienne Brugère
La suite après cette publicité
 
   
  
 
   
 
   
  
 
   
Contribuez à l'information durable, découvrez nos offres d'abonnement

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire