Une poignée de main et quelques mots échangés. Alexandre Saubot s'en va, Geoffroy Roux de Bézieux reste. Mardi 3 juillet à Paris, dans la salle de réception de la Mutualité, où les petits fours attendent les convives, le vaincu laisse la place au vainqueur. Le moment " GRB " peut commencer. Il y a quelques minutes à peine, l'assemblée générale du Medef vient de le choisir comme président pour succéder à Pierre Gattaz avec 55,8 % des voix. Son concurrent ne recueille que 44 % des suffrages. Un score sans appel.
Voilà dix ans qu'il en rêve, Geoffroy Roux de Bézieux. Qu'il y pense matin et soir. Qu'il laboure les fédérations territoriales pour se montrer, se faire connaître. Qu'il évite les conflits trop bruyants pour ne pas cliver, tout en étant sûr d'être dans le bon camp. Jean-Dominique Sénard, le patron de Michelin, empêché pour des raisons d'âge, lui aura certes volé la vedette à la rentrée 2017, mais pas la victoire. Cinq ans après une première candidature, l'éternel numéro deux de Pierre Gattaz tient enfin sa revanche.
S'il ne fallait retenir qu'un moment pour résumer la campagne qui s'achève, ce serait celui des discours des finalistes juste avant le vote. Un duel de style bien plus que de fond – les deux hommes partageant un grand nombre de convictions. Quand le pro de la com, Geoffroy Roux de Bézieux, déroule sa vision très politique du Medef, le techno, Alexandre Saubot, moins à l'aise dans l'exercice, choisit de convoquer son histoire personnelle, son entreprise, sa mère. Un registre qui n'a pas réussi à celui qui n'a pas l'habitude se livrer.
" Reconstruire "Lors de cette prise de parole, Geoffroy Roux de Bézieux a repris ses thèmes de campagne, lui qui s'est présenté comme le candidat de
" la transformation numérique ". Et le fondateur du groupe Notus Technologies, actionnaire entre autres d'Oliviers & Co, d'ajouter après son élection :
" Ce que je veux célébrer avec vous, ce n'est pas la victoire d'un camp, mais c'est la victoire du rassemblement. " Loin des
" oppositions "ou des
" divisions factices ", M. Roux de Bézieux appelle à
" un Medef qui joue collectif ", qui ait
" la passion de l'unité ", car
" il n'y a plus de temps à perdre en vaines querelles. " Bien conscient, semble-t-il, du défi majeur qui l'attend pour la suite.
Cet entrepreneur qui a fait fortune dans les télécoms doit ressouder une maison divisée comme rarement auparavant. Au terme de cette campagne, le clivage traditionnel entre industrie et services a volé en éclats, des fédérations d'habitude alliées n'ont pas désigné le même candidat (banques et assurances ou bâtiment et travaux publics) et, au sein même de certaines, des choix différents ont été faits (Syntec ou intérim).
" Ce qui m'inquiète, c'est ce qu'on fait mercredi matin pour que le Medef retrouve son unité. Il va falloir éviter la chasse aux sorcières. Car là, ce qui divise, ce sont les personnalités des deux candidats. Mais demain ? Il va falloir reconstruire ", soufflait un patron de grosse fédération quelques jours avant le scrutin.
" Comment raccommoder les morceaux avec le camp d'en face ?, interroge également Michel Offerlé, auteur, en 2013, des
Patrons des patrons, Histoire du Medef (Odile Jacob).
De grosses fédérations se sont prononcées contre Roux de Bézieux : l'UIMM, les -banques, le commerce… Même si l'UIMM n'est plus ce qu'elle était, elle reste une fédération qui a une expertise du social et il en aura besoin. " L'intéressé, qui n'est pas connu comme un homme de -dossiers, a d'ailleurs proposé à M. Saubot de rejoindre le conseil exécutif du Medef – sa direction élargie – comme
" invité permanent ". Ce que l'ancien patron de l'UIMM, qui a négocié ces trois dernières années les grands accords interprofessionnels avec les syndicats, a accepté.
Autre défi qui attend le nouveau président : redorer le blason d'un mouvement patronal affaibli par les années Gattaz. Son objectif :
" Réinventer le Medef pour le mettre en phase avec ce monde qui change. " La mission sera d'autant moins facile que M. Roux de Bézieux, ancien vice-président délégué, faisait partie de l'équipe sortante. Ce sera la principale tâche de Patrick Martin, ex-candidat rallié à M. Roux de Bézieux et bientôt président délégué du mouvement.
Le successeur de Pierre Gattaz devra aussi aider l'organisation patronale à trouver la bonne distance face à un gouvernement pro-business, ayant déjà à cœur l'intérêt des entreprises. "
L'Etat n'a pas le monopole de l'intérêt général ", a prévenu M. Roux de Bézieux, qui a déjà croisé la route d'Emmanuel Macron. Les deux hommes se sont rencontrés dans la commission Attali pour la libération de croissance, à la fin des années 2000. A peine annoncée, son élection a été saluée par -Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom et membre actif de l'équipe de campagne du -futur chef de l'Etat. Sur Twitter, M. Casas a rendu hommage à
" Geoffroy ",
" un homme de projets, un homme de combats, un homme de… télécoms ".
Côté syndicats, avec qui le fil devra être renoué, on s'inquiète du libéralisme assumé et des positions tranchées sur le paritarisme du nouveau patron des patrons.
" Entendre que le Medef pourrait se comporter comme un lobby qui irait quémander seul auprès du gouvernement, ça m'inquiète ", indique Pascal Pavageau. Le secrétaire général de FO joint sa voix à celle de Laurent Berger, son homologue de la CFDT, pour demander un " agenda social " paritaire à M. Roux de Bézieux. Et ce dès la rentrée.
" Les diagnostics communs, c'est très bien, mais il faut savoir comment on agit après ", souligne M. Berger, en référence aux déclarations du président de l'institution patronale tout juste élu.
" Cette élection, c'est le bis repetita d'il y a cinq ans, mais avec une autre personnalité, déplore un autre leader syndical
. J'espère que Roux de Bézieux sera moins maladroit que Gattaz, mais seul l'avenir nous le dira. "
Sarah Belouezzane et Raphaëlle Besse Desmoulières
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