La Cour suprême de Russie a débouté dix ressortissants syriens de leur demande d'asile, même temporaire, au motif qu'il n'y a " pas de guerre en Syrie " mais une " opération antiterroriste ". Un onzième dossier est encore en cours d'instruction. Sa conclusion, toutefois, ne devrait pas être différente. Malgré les estimations qui font état de plus de 350 000 morts depuis le début du conflit en 2011, 5,4 millions de réfugiés à travers le monde et 6,5 millions de déplacés à l'intérieur du pays, malgré l'intervention militaire russe lancée en septembre 2015 par Vladimir Poutine pour soutenir sur le terrain son allié Bachar Al-Assad, les juges de la plus haute autorité judiciaire russe sont restés inébranlables.
La décision de la Cour suprême, révélée mercredi 27 juin par le journal
Kommersant,intervient alors que l'aviation russe a repris ses bombardements, en renfort de l'offensive déclenchée par le régime contre des rebelles dans le sud de la Syrie. Mais pour les juges,
" les événements qui se déroulent sur son territoireprésentent les caractéristiques spécifiques d'une opération antiterroriste et non d'une confrontation classique militaire avec une ligne de front bien définie ".
" Il n'y a pas de raison d'accorder à Zakria T. un asile temporaire ", précise la notification adressée à l'un des civils syriens concernés dont
Le Monde a obtenu copie, car
" il n'existe pas d'éléments - prouvant -
que le plaignant peut être personnellement poursuivi et faire l'objet d'un traitement inhumain en Syrie ".
" Une grande partie des lieux habités en Syrie ont adhéré au régime de cessez-le-feu sur le territoire de la République arabe syrienne, des actions humanitaires s'y déroulent, et une aide médicale est fournie ", peut-on encore lire.
En tout état de cause, les onze personnes qui avaient entrepris cette ultime démarche sont désormais passibles d'être expulsées du territoire russe.
" Depuis 2002, date à laquelle j'ai commencé à travailler avec des réfugiés syriens, c'est la première fois que j'entends cet argument comme quoi il n'y a pas de guerre là-bas ", déplore leur avocate, Irina Sokolova, membre du réseau Migration et droit, lié à l'organisation des droits de l'homme Memorial. Arrivés pour la plupart en 2013, les plaignants, qui souhaitent préserver leur anonymat, se sont établis à Ivanovo, une ville située à 250 kilomètres au nord-est de Moscou, attirés par des entreprises de textile en quête de main-d'œuvre. Ni pro ni anti-Bachar, ils sont ouvriers ou chauffeurs de taxi.
" Certains pouvant être appelés par l'armée en Syrie, leurs familles s'étaient réunies pour rassembler de l'argent et leur payer un billet ", rapporte leur avocate.
Tous les recours " épuisés "Jusqu'ici, ces migrants avaient pu obtenir l'asile temporaire, renouvelable d'année en année. Mais en janvier 2017, le ministère de l'intérieur leur a fermé la porte. Une première requête déposée au tribunal d'Ivanovo en mars 2017 s'est soldée par un échec, tout comme l'appel intenté trois mois plus tard.
" Nous avons épuisé tous les recours ", s'inquiète Me Sokolova.
" Il n'y a pas de guerre en Syrie, nos militaires s'y relaxent sans doute ! Tout est calme malgré le retour de quelques cercueils ", s'offusque Svetlana Gannouchkina, présidente de l'association Assistance civile spécialisée dans l'aide aux réfugiés.
" Les Syriens, ajoute-t-elle,
viennent là où ils peuvent fuir et notamment en Russie parce qu'ils arrivent avec des visas en bonne et due forme, de tourisme, étudiant ou pour affaire, délivrés contre de l'argent. Cette décision de la Cour suprême, la première du genre, et qui devrait faire jurisprudence, vient sans doute d'en haut, et elle est très inquiétante. "
En 2015, selon l'association, 12 000 Syriens se trouvaient sur le territoire de la Russie, mais seulement un millier d'entre eux bénéficiait d'un statut temporaire d'asile. Selon les chiffres officiels, leur nombre n'a pas progressé : en avril, ils étaient 1 047 à avoir obtenu ce fragile sésame et seulement deux ressortissants syriens ont reçu un vrai statut de réfugié.
Isabelle Mandraud
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