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lundi 2 juillet 2018

Jean-Luc Romero-Michel " Ma séropositivité m'a rendu meilleur "


 
1er juillet 2018

Jean-Luc Romero-Michel " Ma séropositivité m'a rendu meilleur "

Je ne serais pas arrivée là si… " Le Monde " interroge une personnalité en partant d'un moment décisif de son existence. Le militant évoque l'origine de ses engagements contre le sida et pour le droit de mourir dans la dignité

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Président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et d'Elus locaux contre le sida (ELCS), conseiller régional d'Ile-de-France et adjoint au maire du 12e  arrondissement de Paris, Jean-Luc Romero-Michel vient de publier -Lettre ouverte à Brigitte Macron - #MaMortMAppartient, et devait participer, samedi 30 juin, comme chaque année, à la Gay Pride.


Je ne serais pas arrivé là si…

… Si je n'avais pas appris, à 28 ans, que j'étais séropositif. Ce virus a changé toute ma vie. Et si je n'avais pas eu la chance d'avoir deux grandes histoires d'amour qui m'ont fait avancer : la première, foudroyante, avec -Hubert, et la seconde avec Christophe, qui vient de mourir brutalement.


Quelle fut votre jeunesse à Béthune ?

Je suis fils unique, issu d'une famille – surtout du côté de mon père – de communistes républicains qui ont fui l'Espagne. Ils sont partis dans le Pas-de-Calais travailler comme ouvriers dans les mines et la sidérurgie. Je suis né et j'ai passé toute ma jeunesse dans les corons à Béthune, où vit toujours ma mère. J'y ai vécu quelque chose de très douloureux. J'ai été victime d'un pédophile à l'âge de 8 ans. C'était un collègue de ma mère. Quand je l'ai raconté à ma " tatie " – qui était la patronne du café où travaillait ma mère mais qui était un peu comme ma grand-mère –, personne ne m'a cru car cet homme a assuré que j'affabulais.
Les années ont passé, il a arrêté. Mais quand je suis devenu plus grand, il a recommencé. J'ai fini par accepter, car, il faut être honnête, je le vivais avec des sentiments mélangés. Mais il m'a présenté à des hommes âgés, obèses, qui m'achetaient un gâteau ou un petit cadeau et m'emmenaient chez eux. C'était insupportable, d'une violence terrible. Un jour, n'en pouvant plus, je l'ai dit à ma mère. Mais c'était au moment où mon père était en train de mourir. Elle est allée le voir et lui a dit : " Ne touche plus jamais à mon fils. " -Malgré tout, je n'étais pas dans la vengeance.


Comment est-ce possible de ne pas être dans la vengeance ?

La chance extraordinaire que j'ai eue est d'avoir toujours su que j'étais différent. Heureusement, sinon tout cela m'aurait détruit. Ma mère n'avait pas les moyens de m'emmener en vacances, mais elle faisait des cures dans le sud de la France. Chaque année, on -retrouvait toujours la même famille dans -laquelle il y avait un petit garçon dont j'étais fou. Je voulais toujours jouer avec lui, et quand on repartait dans le Nord, j'étais très triste. Je m'étais rendu compte que ce n'étaient pas les petites filles qui m'attiraient.


Que s'est-il passé quand votre mère a su que vous étiez victime d'un pédophile ?

C'était compliqué. D'abord parce que j'ai été très mal. Pour autant je n'ai rien fait, je n'ai pas consulté de psy, j'ai vécu ma vie. Ensuite parce que certaines personnes de mon entourage assimilaient homosexualité et pédophilie. J'ai entendu des choses violentes, des tas d'horreurs sur les homosexuels. Et puis j'ai rencontré Hubert, un coup de foudre total.


Ce premier grand amour qui vous -a permis de savoir qu'on pouvait être gay et heureux…

C'était lié à ce que j'avais subi avec la pédophilie. Hubert m'a montré que l'amour était possible.


Qu'a dit votre mère ?

Elle a accepté sans rien dire. Elle ne m'a jamais rejeté. Elle venait nous voir, mais on n'en parlait pas. C'était un non-dit. Dès que j'ai appris ma séropositivité, en  1987, je lui en ai parlé, car je pensais que j'allais mourir.


Quelle a été sa réaction ?

Elle était étonnée et m'a dit d'une manière peu sympathique : " Tu as dû avoir une sacrée vie pour avoir le sida. "


Comment avez-vous réagi lors de -l'annonce de votre séropositivité ?

Mon médecin n'a pas su quoi me dire. En  1987, personne ne savait rien. C'était comme un arrêt de mort. Je prenais de l'AZT - le premier traitement utilisé contre le VIH -toutes les quatre heures, jour et nuit, j'avais des crampes, je hurlais. Je pensais que je ne connaîtrais pas mes 30  ans. Je me suis dit : " Qu'est-ce que je fais ? " Je n'avais pas d'argent pour faire un tour du monde. Et, si je restais chez moi, j'allais déprimer. Alors je suis retourné à mon bureau.
A l'époque, j'étais assistant parlementaire. Sans m'en rendre compte, je me suis sauvé en continuant à bosser tous les jours. Je n'ai jamais quitté ni le travail ni le militantisme. Le soir, j'allais à l'hôpital m'occuper des autres. Je voyais des situations pires que la mienne. Au début des années 1990, j'ai perdu beaucoup d'amis. Le sida a été à la fois terrible, et, en même temps, il m'a permis d'être quelqu'un d'autre car j'étais toujours dans l'urgence, me disant que chaque Noël, chaque anniversaire pouvaient être le dernier. Moi qui aurais voulu faire une carrière politique, je n'avais plus de plan de carrière. Je n'avais plus rien à perdre, je ne voulais plus faire de -concessions. J'ai défendu mes idées.


Votre premier grand amour, Hubert, est mort du sida en  1994…

Sa disparition a déclenché la nécessité de m'investir dans la lutte contre le VIH. Il fallait que je fasse quelque chose. La communauté gay est devenue comme une famille. J'avais été bénévole à la radio Fréquence Gay puis j'ai créé l'association Elus locaux contre le sida, en  1995. A cette époque, il y avait de la compassion, notamment dans la communauté LGBT. Aujourd'hui, quand une personne découvre sa séropositivité, il y a souvent de la culpabilité, et elle peut se sentir rejetée. On a désormais les moyens d'arriver à un monde sans sida, mais qui en parle ? Penser qu'il y a encore des milliers de personnes qui continuent de crever de ce virus alors que nous avons des traitements me révolte.


Comment s'est construit votre -engagement politique ?

Mon père, traumatisé par le fait que son frère militant avait dû se cacher pendant longtemps, n'exprimait jamais d'idées politiques. Il n'a jamais voté, car il a gardé la -nationalité espagnole. J'avais un oncle communiste très engagé, que j'adorais. C'est lui qui m'a donné le virus de la politique. Moi, j'aimais bien Jacques Chirac, et je me sentais profondément européen, moi, le fils d'immigrés, qui ai bénéficié de l'école républicaine et des bourses d'études, et qui ai trouvé formidable l'entrée de l'Espagne dans l'Union européenne. A 18 ans, je suis devenu militant encarté puis délégué des jeunes RPR. Mes parents étaient très réticents à cet engagement. Ma mère s'occupait d'un café dont les principaux clients étaient des communistes, qui avaient leur permanence juste à côté. La nuit, en cachette, j'allais coller des affiches de Chirac !


Et ce sont finalement les sujets de société qui vous ont fait quitter la droite et -rejoindre la gauche…

Oui, tous les sujets de société, que ce soit la question de la légalisation du cannabis, du droit de mourir dans la dignité ou de la lutte contre l'homophobie. Mais le débat sur le pacs a été le révélateur. En  1999, j'étais le seul mec de droite au sein du collectif pour le pacs. Des assistants parlementaires, que je pensais être des potes, me disaient " c'est la fin de la civilisation ". C'était aberrant. C'est dur de quitter un parti où vous êtes arrivé très jeune, où vous vous êtes construit une sorte de famille. Beaucoup connaissaient ma sexualité. Mais, à cette époque, la ligne était : tu as le droit de faire ce que tu veux, mais n'en parle pas trop.
Au moment du pacs, j'ai vu de la haine. Seul Alain Juppé m'a soutenu. Et puis, il y a eu l'affaire Christian Vanneste - député UMP du Nord condamné, en  2007, pour " injures homophobes ".L'arrêt de la cour d'appel sera cassé par la Cour de cassation - . J'étais témoin -contre lui. Je ne pouvais plus rester dans un parti qui gardait en son sein un homme qui considérait les homosexuels comme des êtres -inférieurs alors que je me battais contre -l'homophobie. J'ai démissionné de l'UMP en  2007 et j'ai rejoint la majorité socialiste de Jean-Paul Huchon au conseil régional d'Ile-de-France en étant apparenté au groupe Parti radical de gauche.


Parallèlement à votre activité politique, vous vous êtes engagé au sein de -l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), que vous présidez depuis dix ans. Comment êtes-vous -entré dans ce mouvement ?

Parce que j'ai vu mourir Hubert. C'était un samedi soir, dans sa chambre d'hôpital. Il souffrait tellement que j'ai demandé aux -infirmières de le soulager. L'une d'elles m'a répondu : " Ah non, la morphine, ça va accélérer sa mort. " Je lui disais : " Mais madame, il est en train de mourir ! " La nuit fut terrible, et je m'en voulais de ne rien pouvoir faire. J'avais déjà vu, à l'âge de 13 ans, mourir mon père d'un cancer des poumons. Il s'étouffait. Et puis, il y a eu tous ces amis morts du sida. Ils avaient 20 ans, 25 ans, et l'immense majorité disait : " Laissez-moi partir. " On a oublié que, en  1983, les premiers malades qui s'étaient réunis aux Etats-Unis avaient, dans leur déclaration de Denver, demandé à avoir le droit de mourir dans la dignité, de dire stop. Ils ont été précurseurs.
Je ne suis pas un intellectuel. Mon combat au sein de l'ADMD a été naturel, lié aux événements que j'ai vécus. Pouvoir aider les gens m'a donné une force incroyable. Les histoires que l'on me raconte lors des réunions de l'ADMD m'enrichissent et me convainquent qu'il faut continuer. Ce combat-là, comme celui de la lutte contre le sida, va dans le sens de l'histoire. Je me souviendrai toujours des mots de Mireille Jospin - la mère de Lionel Jospin - , lors d'une des premières réunions à laquelle j'ai assisté : " Moi, le jour où je veux mourir, je sais ce qu'il faut faire. Vous, vous n'aurez pas les médicaments, c'est pour cela qu'il faut une loi pour tout le monde. " Je ne suis pas un militant de l'euthanasie mais de la liberté et du choix. C'est un droit supplémentaire qui n'enlève rien à personne.


Quel est votre rapport à la religion ?

J'ai été élevé dans un milieu catholique, je suis un ancien enfant de chœur. J'ai connu des curés généreux, ouverts à l'autre, j'ai le sentiment que cela a changé. Aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, on se fait insulter par certains curés. Je ne crois plus dans cette religion. Mais je crois à une force de l'esprit, une force supérieure. Je ne sais pas ce que c'est mais cela m'aide à me dire qu'Hubert et Christophe sont toujours quelque part.
Je vais vous raconter une anecdote : ma mère, pendant le débat sur le mariage pour tous, a arrêté d'aller à la messe parce qu'elle n'en pouvait plus d'entendre le curé et toutes ses copines parler de manif à Paris et de quête pour les bus. Alors que, actuellement, elle me raconte que, à chaque fois que le curé évoque la fin de vie et l'euthanasie, ses copines lui disent : " Tu diras à ton fils qu'il faut qu'il continue, le curé dit n'importe quoi ! "


Vous venez de publier " Lettre ouverte à Brigitte Macron " sur la question de la fin de vie. Avez-vous eu un retour de sa part ?

Non, et je pense qu'elle ne me répondra pas. Son mari m'avait invité à un dîner où étaient réunis des représentants de toutes les religions et une majorité de médecins. Ce qui me choque, c'est qu'on fasse du droit de mourir dans la dignité une question médicale, alors qu'il s'agit d'une affaire citoyenne. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel -Macron avait déclaré : " Moi, je souhaite choisir ma fin de vie, oui. "J'espère que les parlementaires vont s'emparer du sujet. Dans chaque groupe politique, il y a désormais des partisans du droit de mourir dans la dignité. Pour la première fois, il existe une majorité à l'Assemblée sur cette question.


Que gardez-vous de vos origines -populaires ?

Je n'ai jamais oublié que j'étais un fils d'immigré. Je sais que ma famille a été traitée de " sales Espagnols ". J'ai vu tellement d'injustices que cela m'a donné envie de me battre et de m'en sortir. C'est bizarre à dire, mais je crois que ma séropositivité m'a rendu meilleur. Peut-être que mes origines modestes m'auraient poussé à bouffer tous les autres pour y arriver. Je suis devenu quelqu'un de mieux. Je dis à mes amis : " Profitez de la vie, faites en sorte que, chaque jour, quelque chose vous fasse plaisir. " On court parfois après des choses illusoires, plus de responsabilités, plus d'argent. On ne se rend pas compte du côté éphémère de la vie. Quand je me suis marié en  2013 avec Christophe, c'était le premier projet à long terme de ma vie. On partageait les mêmes engagements. Les combats m'ont porté, mais l'amour aussi. Alors quand l'amour n'est plus là… Si je meurs demain, ce ne sera pas grave : j'aurai eu trente et un ans de sursis.
propos recueillis par -- Sandrine Blanchard
© Le Monde

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