Finalement, il ne partira pas. Vingt-quatre heures après avoir menacé de démissionner, le ministre allemand de l'intérieur, Horst Seehofer, a obtenu ce qu'il voulait de la chancelière, Angela Merkel, pour rester au gouvernement. " Nous avons trouvé un accord qui nous permettra, à l'avenir, d'empêcher toute forme de migration illégale à la frontière entre l'Allemagne et l'Autriche. (…) Cet arrangement me permet de continuer à diriger le ministère de l'intérieur, de la construction et de la patrie ", a déclaré, lundi 2 juillet au soir, le président de l'Union chrétienne-sociale (CSU), l'alliée bavaroise de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de Mme Merkel.
Plus de quatre heures de pourparlers auront été nécessaires, lundi, pour parvenir à cet accord qui permet à la chancelière allemande d'éviter ce qu'elle redoutait le plus : une rupture entre la CDU et la CSU, et, par conséquent, la fin programmée de la " grande coalition " qu'elle a péniblement mise en place, mi-mars, après six mois d'interminables tractations. Quelques minutes après le départ de M. Seehofer du siège de la CDU, à Berlin, Mme Merkel s'est exprimée à son tour devant les journalistes pour se féliciter, elle aussi, d'un accord qu'elle a qualifié d'
" avancée décisive pour pouvoir contrôler et organiser les migrations secondaires ", autrement dit les mouvements de migrants à l'intérieur de l'Union européenne (UE).
Concrètement, l'accord scellé, lundi soir, prévoit que les demandeurs d'asile arrivant en Allemagne mais déjà enregistrés dans un autre pays de l'UE soient placés dans des " zones de transit " situées près de la frontière avec l'Autriche, en attendant d'être expulsés. En principe, les renvois doivent se faire dans les pays où ces demandeurs d'asile sont arrivés en premier, ce qui suppose que ces pays donnent leur feu vert pour les accueillir. En cas de refus de leur part, les demandeurs d'asile seront
" refoulés à la frontière germano-autrichienne sur la base d'un accord avec l'Autriche ", indique le texte sur lequel Mme Merkel et M. Seehofer se sont entendus.
Point cardinalA première vue, ce compromis permet à chacun des deux protagonistes de sauver la face. Le président de la CSU avait fait du refoulement des demandeurs d'asile déjà enregistrés dans un autre Etat européen le point cardinal de la politique migratoire qu'il entend mettre en œuvre comme ministre de l'intérieur. La chancelière, de son côté, avait indiqué qu'elle était opposée à ce que l'Allemagne agisse de façon " unilatérale ", les expulsions n'étant envisageables, selon elle, que dans le cadre d'accords négociés entre Berlin et ses partenaires européens.
Or c'est là tout le problème. En Autriche, c'est peu dire que la perspective d'accueillir les demandeurs d'asile dont l'Allemagne ne veut pas, suscite des réserves. Si cet accord est mis en place,
" nous serons obligés de prendre des mesures pour éviter des désavantages pour l'Autriche et sa population ", a fait savoir le gouvernement du conservateur Sebastian Kurz, allié à l'extrême droite, mardi matin, dans un communiqué, ajoutant qu'il était
" prêt à prendre des mesures pour protéger - les -
frontières sud ", autrement dit celles que l'Autriche partage avec l'Italie et la Slovénie. Ces propos tranchent cependant avec ceux, beaucoup plus fermes, tenus il y a quelques jours par le ministre autrichien de l'intérieur, Herbert Kickl, membre du parti d'extrême droite FPÖ :
" Si l'Allemagne pense qu'on peut refouler des gens vers l'Autriche en foulant au pied le droit international, alors nous expliquerons aux Allemands que nous n'accueillerons pas ces gens-là ", avait-il déclaré, le 27 juin.
Politiquement, la mesure annoncée lundi marque en tout cas un durcissement très net de la politique migratoire de l'Allemagne, conforme à ce que réclame la CSU.
" Il s'agit d'un tournant dans notre politique d'asile ", s'est ainsi félicité Markus Blume, le secrétaire général de la CSU, lundi soir. Pour Mme Merkel, c'est d'ailleurs toute la difficulté de la situation. En cherchant à se concilier l'aile droite de sa majorité, bien décidée à lui faire définitivement tourner la page de sa politique d'accueil généreuse mise en place à l'automne 2015 pendant la crise des réfugiés, la chancelière prend le risque d'ouvrir un nouveau front, cette fois avec le Parti social-démocrate (SPD), son autre partenaire de coalition.
Or au sein du SPD, c'est peu dire que le compromis trouvé lundi soir suscite des réserves. En novembre 2015, déjà, les conservateurs avaient prôné la mise en place de " zones de transit " pour demandeurs d'asile. Or, les sociaux-démocrates s'y étaient résolument opposés. Alors ministre de la justice, Heiko Maas, devenu depuis ministre des affaires étrangères, avait ainsi expliqué que l'Allemagne ne pouvait installer sur son propre sol des
" camps de masse basés dans des no man's land ". Lundi soir, plusieurs responsables du SPD ont rappelé la position prise par le parti il y a trois ans, en expliquant que ce qui était inacceptable hier l'était tout autant aujourd'hui.
" Le SPD ne veut pas de camps fermés, qu'ils se trouvent en Afrique du Nord, aux frontières de l'Union européenne ou à Passau - en Bavière -
", a ainsi déclaré Kevin Kühnert, le très populaire président des " Jusos ", les jeunes socialistes, mardi soir.
Que décidera finalement le SPD ? Mardi matin, les députés sociaux-démocrates se sont retrouvés pour une réunion à huis clos, afin de définir une position commune. Selon plusieurs médias, les discussions se sont déroulées dans une ambiance particulièrement grave, plusieurs dirigeants du parti, tel son ancien président Martin Schulz, estimant que celui-ci ne pouvait endosser
" une politique absurde " allant à l'encontre des valeurs défendues par les sociaux-démocrates. Depuis mardi soir, de nombreux autres responsables de gauche, chez les Verts et au sein du parti Die Linke, pressent le SPD de refuser le compromis scellé entre Mme Merkel et M. Seehofer.
" Besoin d'un peu de temps "Une nouvelle réunion de crise entre les dirigeants des trois partis de la " grande coalition " – SPD, CDU et CSU – devait avoir lieu à Berlin, mardi, à 18 heures. Lundi soir, la présidente du SPD, Andrea Nahles, a expliqué qu'elle avait
" besoin d'un peu de temps " pour dire si son parti était prêt à -endosser la mesure actée par Mme Merkel et M. Seehofer. Pour que celle-ci soit acceptable par ses camarades sociaux-démocrates, elle pourrait notamment chercher à obtenir que l'expression " zones de transit " soit bannie, afin de ne pas donner le sentiment que le SPD accepte aujourd'hui ce qu'il a refusé en 2015. Par ailleurs, le SPD souhaite qu'un engagement précis soit pris sur les délais des -examens des dossiers qui seraient effectués dans ces lieux : pas plus d'une semaine, souhaitent ses -dirigeants.
Le SPD semble en tout cas préférer trouver lui aussi un compromis plutôt que susciter une rupture. A moins de 20 % dans les sondages, alors que le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) frise les 15 %, le SPD sait qu'il prendrait un gros risque en faisant éclater la " grande coalition " et en provoquant de nouvelles élections. Au moins sur ce point, c'est une préoccupation qu'il partage avec la CDU et la CSU.
Thomas Wieder
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