A Strasbourg, où les eurodéputés débattaient, mardi 3 juillet, des résultats du récent sommet européen sur la migration, la droite europhobe et l'extrême droite nationaliste ont rivalisé d'enthousiasme. Pour ces élus, ce conseil a été celui du basculement, marquant la victoire d'une nouvelle alliance populiste, celle des gouvernements italien, autrichien et hongrois – et quelques autres plus discrets – contre " l'axe Paris-Berlin-Bruxelles et ses commissaires ", comme l'a dit le Français Nicolas Bay (Rassemblement national, ex-FN). " C'est la renaissance de l'Etat-nation ! ",exultait le Britannique Nigel Farage, ancien héraut du Brexit.
Pour des observateurs plus neutres, la tonalité du sommet, censé traiter d'une question pourtant moins prégnante qu'il y a quelques années, car le nombre des arrivées dans l'UE a reculé depuis le pic de 2015, a de fait été déterminée par les courants très conservateurs.
Le nouveau gouvernement italien voulait afficher le changement de régime à Rome, et obtenir un geste de ses partenaires à Bruxelles. Pari réussi, même si l'accord conclu laisse bien des questions sans réponse et si la création de " centres contrôlés " où seraient regroupés les migrants avant leur refoulement (pour les migrants " économiques ") ou leur éventuelle répartition dans l'Union (pour les demandeurs d'asile) indispose.
Une majorité d'Etats membres rechigne par ailleurs à réformer et à uniformiser les règles du droit d'asile – pour assurer une répartition plus juste des candidats dans l'UE – et le règlement de Dublin – afin d'éviter que la charge pèse surtout sur les pays du Sud –, ou encore à alimenter les fonds pour l'aide à l'Afrique.
" Visage d'ange "
" La situation est délétère ", n'hésite pas à dire Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Sur ces différents points, les Etats ont en tout cas bloqué, depuis 2015, des textes qui auraient évité la crise politique actuelle.
" Il est scandaleux que l'on n'arrive pas à avancer ", estime aussi le socialiste allemand Udo Bullmann. Lors du sommet de Bruxelles, Donald Tusk, le président du Conseil européen, n'a même pas mentionné la réforme de Dublin ou la nécessaire solidarité entre les Vingt-Huit.
Au Parti populaire européen (PPE), la prudence est de mise. M. Juncker, qui prône toujours une relocalisation des réfugiés dans toute l'Union en cas de fort afflux, se heurte notamment au Hongrois Viktor Orban, qui a imposé son agenda à l'Union.
Plus que M. Orban, c'est toutefois Sebastian Kurz, le chancelier autrichien, qui s'impose à droite. Cet homme de 31 ans –
" qui semble choisir la voie des Orban et Salvini - le ministre de l'intérieur italien d'extrême droite -
mais avec un visage d'ange ", selon la formule de
l'eurodéputé grec Dimitrios Papadimoulis (Syriza, gauche radicale) – avait évoqué il y a quelques semaines le principe de centre de tri des migrants hors de l'UE, dans les Balkans. Idée jugée peu réaliste, mais qui a fini par être adaptée par les autres dirigeants, lesquels évoquent désormais des centres de rétention le long de toutes les côtes méditerranéennes.
Mardi, M. Kurz, dont le pays vient de prendre la présidence tournante de l'UE pour six mois, a indiqué sans surprise que l'Autriche allait privilégier le contrôle des frontières extérieures et une politique d'accueil restrictive. Le jeune chancelier gouverne à Vienne avec l'extrême droite, le FPÖ, et veut faire de la migration " la " priorité de l'UE, avec une approche très sécuritaire résumée dans un document préparatoire à une réunion des ministres de l'intérieur, les 12 et 13 juillet. Vienne assimile une grande partie des migrants à des délinquants en puissance,
" particulièrement sensibles aux idéologies privatives de liberté et prônant le crime "… Avant cette réunion, le ministre allemand de l'intérieur, Horst Seehofer (CSU), a prévu de rencontrer son homologue italien Matteo Salvini (Ligue), après avoir parlé jeudi à M. Kurz.
M. Kurz affirme toutefois sa volonté de préserver l'espace sans passeport de Schengen. Quitte à annoncer ensuite que son pays veut prendre des mesures pour protéger ses frontières avec l'Italie et la Slovénie à la suite de l'accord sur la politique migratoire conclu, lundi, à Berlin, entre Angela Merkel et ses alliés de la CSU. En réalité, l'espace Schengen est déjà sous pression à la suite de la décision de six pays (France, Allemagne, Autriche, Danemark, Suède et Norvège) de réinstaurer des contrôles à leurs frontières, au moins jusqu'à l'automne.
" Premiers rôles "Les derniers événements confirment que le phénomène populiste imprime tout autant sa marque dans le nord de l'UE. Au Danemark, le parti nationaliste DF (Parti populaire) impose sa ligne et les sociaux-démocrates ou les libéraux sont presque parfaitement à l'unisson avec lui. En Suède, les partis conservateurs et sociaux-démocrates tentent, sans succès apparent, de récupérer les électeurs séduits par les Démocrates de Suède et se livrent à une course aux propositions pour durcir les conditions d'accueil.
La France, dont la position est souvent jugée ambiguë par ses partenaires, s'en tient, elle, officiellement à la formule d'Emmanuel Macron, lancée le 23 juin 2017, à Bruxelles :
" Nous devons accueillir des réfugiés car c'est notre tradition et notre honneur. " Aujourd'hui, les ONG sont unanimes pour dire que la politique migratoire française n'est pas à la hauteur de ce propos. La Cimade chiffre les " non-admissions " à 85 408 en 2017 (+ 34 %).
" La France semble vouloir jouer les premiers rôles dans cette compétition désastreuse " de fermeture des frontières, dénonce l'association.
Des proches de M. Macron indiquent que la France n'a pas d'autre choix que d'afficher sa fermeté si elle ne veut pas être confrontée à un afflux massif.
" Tout le monde tombe sur le dos de Gérard Collomb - le ministre de l'intérieur -
et de sa loi, mais la vérité, c'est qu'il est à gauche de l'opinion aujourd'hui ", insiste un membre du gouvernement.
Jean-Pierre Stroobants (avec nos correspondants)
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