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jeudi 5 juillet 2018

Eric Fournier, l'ambassadeur de France qui admirait trop Orban


5 juillet 2018

Eric Fournier, l'ambassadeur de France qui admirait trop Orban

Emmanuel Macron a dû désavouer l'ex-diplomate en chef français à Budapest, prompt à tresser des louanges au dirigeant hongrois

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Son franc-parler et un certain goût pour la provocation font de longue date d'Eric Fournier, 59  ans, une figure pour le moins discutée de la diplomatie française. Ce passionné de saxo se retrouve de nouveau au centre d'une polémique : le représentant de la France en Hongrie peut-il paraître reprendre à son compte les positions du très autoritaire et xénophobe homme fort du pays, Viktor Orban ?
L'affaire a éclaté avec la publication par Mediapart du contenu d'une note diplomatique, rédigée le 18  juin, par cet ambassadeur en poste à Budapest depuis trois ans. Dans cette analyse, il lave le dirigeant hongrois de toute accusation d'antisémitisme, fustigeant en revanche la " presse française et anglo-saxonne ", soupçonnée de vouloir détourner l'attention du " véritable antisémitisme moderne ", celui des " musulmans de France et d'Allemagne ". Cet antisémitisme d'Orban ne serait à l'en croire qu'un " fantasme de journalistes étrangers " qui devraient, au contraire, saluer, selon lui, un " modèle " à suivre pour sa " gestion des mouvements migratoires illégaux ".
Interrogé sur l'argument lors d'une conférence de presse au sommet européen des 28 et 29  juin à Bruxelles, Emmanuel Macron a eu une réaction très dure, clamant que ces propos " ne correspondent en rien à la position française "" Il s'agit d'une note dont la nature est confidentielle ", a précisé le chef de l'Etat, soulignant que l'on ne peut sanctionner un diplomate parce qu'il écrit ce qu'il pense au risque " de créer un délit d'opinion au sein de la fonction publique ". Mais de préciser, dans la foulée, que " si la preuve m'est donnée que cette parole a été tenue publiquement, cet ambassadeur sera révoqué ".
" Même les choses qui fâchent "Depuis déjà des mois, les prises de position d'Eric Fournier suscitaient un certain malaise au sein du ministère des affaires étrangères. Son départ était prévu pour le mois de juillet et sa successeure, Pascale Andréani, a reçu l'agrément des autorités hongroises depuis la mi-mai.
" Le rôle d'un ambassadeur est de dire les choses, même celles qui fâchent et peuvent déplaire, dans ses télégrammes qui n'ont pas vocation à être rendus publics ", relève un diplomate. Il se trouve, en revanche, tenu à un certain devoir de réserve quant à l'expression de ses propres opinions, et à défendre en public un point de vue qui ne contredit pas celui du gouvernement.
Or, Eric Fournier n'a jamais dissimulé sa fascination pour l'homme fort de Budapest. Il n'hésite pas, comme dans ce télégramme, à le comparer " à un Real Madrid du monde politique ", pour ses trois victoires électorales successives remportées haut la main avec les deux tiers des suffrages. Qu'importe si le premier ministre hongrois est épinglé par l'Union européenne, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et les Nations unies pour ses entorses à l'Etat de droit et ses dérives autoritaires.
" Viktor Orban a montré sa capacité à anticiper nombre des défis auxquels les pays européens doivent faire face et qu'ils refusent de voir, avant, souvent, de suivre un ou deux ans plus tard son exemple ", expliquait volontiers Eric Fournier au gré de ses conversations avec ses homologues ou avec des journalistes. Alors que d'autres ambassadeurs en poste à Budapest, comme ceux du Canada ou de la Suède, prennent le risque de dénoncer publiquement les atteintes aux libertés en Hongrie, Eric Fournier reste plus discret, même si le représentant de la République française n'a pas hésité, plusieurs fois, à critiquer le gouvernement ou la presse progouvernementale pour leurs attaques contre des opposants.
" Le plus fou "Le désormais ex-ambassadeur de France à Budapest n'en a pas moins souvent reconnu partager certaines des préoccupations de Viktor Orban sur les dangers menaçant l'Europe. Lors d'un colloque organisé par l'Institut français de Budapest et par l'Académie des sciences hongroise, en octobre  2017, sur le thème " Femme et science ", l'ambassadeur s'est lancée dans une intervention enflammée sur le " cancer " que représentent l'islamisme mais aussi l'islam. " Il a cité le mot cancer plusieurs dizaines de fois en une intervention de dix minutes ", raconte un témoin médusé.
Docteur en lettres modernes, diplômé de l'Institut national des langues et civilisations orientales en ourdou et en hindi, Eric Fournier avait passé le Concours d'Orient en  1987 pour rentrer au Quai d'Orsay. Une carrière sans histoires qui le mène d'Islamabad à Téhéran, New Delhi, Moscou, puis aux Nations unies, à New York. Son premier poste d'ambassadeur est à Tbilissi, où il arrive quelques mois avant la guerre russo-géorgienne de l'été 2008. " C'est un personnage brillant mais fantasque et changeant ", soupire un haut fonctionnaire géorgien. Mikheïl Saakachvili, l'ancien président réformiste géorgien, n'hésitait pas à le présenter, en plaisantant, comme " l'ambassadeur le plus fou " de la capitale géorgienne. Un compliment dans sa bouche.
Eric Fournier s'est ensuite rapproché du leader de l'opposition, le milliardaire et oligarque Bidzina Ivanichvili qu'il a aidé à obtenir la nationalité française. En  2011, le diplomate revient à Paris et prend la direction de l'Europe continentale au Quai d'Orsay, avant de partir quatre ans plus tard pour Budapest. Cette foi, il rentre au ministère sans nouvelle affectation.
Blaise Gauquelin, et Marc Semo (à Paris)
© Le Monde

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