Au deuxième jour du procès, le docteur Eduardo Vela ne s'est pas rendu au tribunal. L'accusé, âgé de 85 ans, a souffert de malaises, selon sa famille, et a été conduit aux urgences. Le premier procès du scandale des " bébés volés " a donc dû être ajourné, mercredi 27 juin, à Madrid. Le Dr Vela sera convoqué de nouveau dans un délai maximal de trente jours. " Je ne perds pas espoir ", assure Inés Madrigal, celle qui est parvenue à faire asseoir sur le banc des accusés l'un des principaux suspects de vols de bébés.
Eduardo Vela, obstétricien à la clinique San Ramon de Madrid entre 1961 et 1981, apparaît dans des dizaines de plaintes. Selon Inés Madrigal, c'est lui qui l'a offerte " en cadeau " à sa naissance en 1969 à celle qui figure sur son acte de naissance comme mère biologique mais ne partage pas son ADN, Inés Perez. Cette mère adoptive le lui a avoué, en 2010. Elle était stérile.
Avant de mourir en décembre 2016, à 93 ans, Inés Perez a témoigné devant le juge : pour accélérer le procès, sa fille " adoptive " avait porté plainte contre elle, avec son accord. Mme Perez a alors raconté que le docteur lui avait conseillé de feindre la grossesse avec des coussins et lui avait demandé de ne venir voir que lui en cas de problème avec le nouveau-né. Une religieuse lui avait apporté un bébé. L'enfant était soi-disant le fruit d'un adultère. Une version impossible à vérifier. Le nom de sa mère biologique ne figure nulle part, puisqu'il n'existe pas de document d'adoption. Officiellement, elle est la fille naturelle d'Inés Perez.
Lors du premier jour de procès, mardi 26 juin, M. Vela a nié les faits qui lui sont reprochés.
" Je n'ai donné aucune petite fille à personne ", s'est-il défendu. Le reste du temps, il s'est contenté de répondre aux questions du juge :
" Je ne me souviens pas. "Le parquet a sollicité onze ans de prison et 350 000 euros de dédommagements contre lui. Le deuxième jour, deux journalistes françaises qui l'ont filmé à son insu devaient témoigner par vidéoconférence de Paris : il leur aurait confirmé avoir donné Inés Madrigal à Mme Perez. Au vu de l'ajournement du procès, elles seront rappelées lorsqu'une nouvelle date sera fixée.
Disparition des archives
" Nous nous attendions à ce que le docteur Vela ne collabore pas avec la justice mais nous avons l'espoir que les témoignages apportent de la lumière sur ce qui s'est passé et que le verdict fasse jurisprudence, affirme Soledad Luque, présidente de l'association Tous les enfants volés sont aussi mes enfants.
Ce procès montre que dès lors qu'il y a une volonté d'enquêter, c'est possible. "
Mme Luque espère que le procès permettra de rouvrir les plaintes classées, comme la sienne, et incitera le gouvernement à créer une banque ADN. Son frère, né en 1965, a été déclaré mort quelques jours après sa naissance sans que ses parents n'aient pu voir le corps, ni l'enterrer. Les archives de la clinique ont disparu et des pages ont été arrachées des registres de naissance. Des quelque 2 000 plaintes déposées par des familles convaincues d'avoir été victimes de vol de bébé, plus de 1 700 ont été classées sans suite. Manque de preuves, disparition de documents, faux, mort des principaux impliqués, crainte d'incriminer les parents adoptifs : les embûches sont nombreuses.
Il est impossible de connaître le nombre de bébés volés en Espagne. Les associations estiment qu'ils sont des milliers. On y croise des enfants adoptés de manière irrégulière, donnés en cadeau ou achetés pour 200 000 à 800 000 pesetas à des religieux sans scrupule, et des parents convaincus que la mort inexpliquée de leur nouveau-né, dont ils n'ont jamais vu le cadavre, était un mensonge.
" Plusieurs phases se sont succédé, explique Angel Casero, président de l'association En avant bébés volés.
Il y a eu le vol d'enfants de prisonnières républicaines durant l'après-guerre civile pour des raisons politiques et des théories eugéniques anticommunistes. Puis la morale nationale catholique durant le franquisme explique le vol des bébés des mères célibataires, prostituées ou issues de familles vulnérables, pour les donner à des proches du régime ou de l'Eglise. Enfin, il y a eu un réseau de vente de nouveau-nés à des fins économiques. "
Mardi, l'infirmière Maria Teresa Bermejo a témoigné devant le juge que des bruits couraient dans la clinique sur
" les bonnes sœurs qui emmenaient des femmes célibataires enceintes ". L'une d'elles était la sœur Maria Gomez Valbuena. Mise en examen en 2012 pour le vol présumé de trois bébés, elle est morte fin 2013, à 87 ans, quelques jours avant d'être entendue par le juge. La principale crainte des associations est que le temps passant, la mort ou la vieillesse des accusés n'empêchent la justice de juger les responsables et les victimes de connaître enfin la verité.
Sandrine Morel
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