Le nombre d'arrestations et d'inculpations au Xinjiang, dans l'extrême ouest de la Chine, a été multiplié plusieurs fois en 2017 par rapport aux années précédentes, confirmant l'ampleur extraordinaire qu'a prise, ces deux dernières années, la répression, par les autorités chinoises, de la minorité ethnique ouïgoure, turcophone et musulmane.
Le Xinjiang, dont les 10,5 millions de Ouïgours constituent environ 46 % de la population, est dans le viseur des organisations des droits de l'homme et de nombreux experts pour le vaste réseau secret de camps de rééducation politique qui y a proliféré depuis 2016. Les statistiques des arrestations et des inculpations compilées, à partir de sources officielles chinoises, par l'ONG China Human Rights Defenders (CHRD), basée à Hongkong, n'incluent pas les détentions forcées en camp d'endoctrinement, car celles-ci sont extrajudiciaires. Mais des corrélations existent.
CHRD a calculé que le nombre officiel d'arrestations avait été multiplié par huit entre 2016, année il avait certes baissé par rapport à la précédente, et 2017, pour atteindre 227 882, soit 21 % du total des arrestations pour toute la Chine. Or, en moyenne, les arrestations au Xinjiang ne représentaient, lors des quatre années précédentes, que de 1,5 % à 4 % des arrestations à l'échelle du pays. De même, les inculpations ont été multipliées par cinq toujours entre 2016 et 2017, atteignant cette année-là le chiffre de 215 833 dossiers, soit environ 13 % des inculpations prononcées dans l'intégralité du pays – contre une moyenne, les autres années, similaire à celle des arrestations.
La population du Xinjiang représente 1,5 % de la population totale de la Chine. Aucun chiffre officiel ne donne l'ethnicité des individus arrêtés, mais l'examen de leurs noms par d'autres ONG, par le passé, atteste d'une surreprésentation des Ouïgours parmi eux. Les condamnations, de type politique ou pour des questions liées au " terrorisme " ou à " l'extrémisme ", sont extrêmement lourdes, avec des chances de recours bien inférieures encore à celles du reste de la Chine. Outre les Ouïgours, les Kazakhs – 6,5 % de la population du Xinjiang – sont devenus des cibles de la répression.
Phase nouvelleCHRD a extrait les chiffres, pour 2017, de rapports officiels du parquet chinois et du gouvernement du Xinjiang, qui prenaient soin justement de les noyer dans des statistiques plus larges. Une première hausse de la proportion d'arrestations et d'inculpations a lieu en 2014 et 2015, les deux premières années de la " guerre contre le terrorisme " lancée par le président chinois, Xi Jinping, à la suite de la multiplication d'incidents et d'attentats dans le Sud très musulman du Xinjiang. Une baisse de 20 % est visible en 2016, année où le secrétaire du Parti communiste sortant de la région autonome a lâché du lest dans la répression.
Son successeur, Chen Quanguo, qui dirigeait auparavant la région autonome du Tibet, va mettre en œuvre une phase entièrement nouvelle dans la sécurisation du Xinjiang, avec une augmentation exponentielle des budgets de sécurité.
" A partir de 2017, on voit beaucoup plus de policiers, de checkpoints, de technologies de sécurité déployés au Xinjiang. Les budgets locaux de justice, qui incluent les prisons, augmentent de plusieurs centaines de pour-cent. Tous ces éléments tendent à indiquer que ces hausses massives des arrestations et des inculpations au sein du système judiciaire formel sont véridiques ", explique le chercheur allemand Adrian Zenz, auteur de rapports récents sur les dépenses de sécurité au Xinjiang et le réseau de camps d'internement sorti de terre en 2017.
M. Zenz estime qu'entre 500 000 et un million de personnes pourraient être détenues dans ces camps – en dehors du système judiciaire. Mais des passerelles existent sans doute : ainsi, la majorité de la vingtaine de camps repérés à ce stade sur Google Earth par le site Medium ont été construits à côté de prisons.
Des officiels locaux piégés par les journalistes ouïgours de la radio américaine Radio Free Asia, qui les appellent depuis l'étranger, ont par exemple révélé que 61 des 82 villageois d'une localité, désignés pour partir en camp, avaient ensuite été
" envoyés en prison ". Ou que, dans un autre village, la moitié des personnes détenues, soit 10 % de la population, étaient envoyées en camp, et l'autre en prison.
Brice Pedroletti
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