Le cercle de ceux qui trouvent que le compte n'y est pas s'élargit. Un an après l'accession d'Emmanuel Macron à l'Elysée, une partie des députés La République en marche (LRM) déplorent un déséquilibre à droite de la politique menée par le chef de l'Etat et pressent ce dernier de rectifier le tir, avant le discours qu'il doit prononcer, lundi 9 juillet, devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles.
" J'appelle à un rééquilibrage de la politique menée depuis un an, en faveur d'une politique sociale plus affirmée ", écrit ainsi le député macroniste du Doubs Frédéric Barbier dans une tribune au
Monde, jugeant
" urgent " de
" bâtir un projet global, cohérent et ambitieux " en matière de lutte contre l'exclusion et la pauvreté.
" Il manque pour l'instant une véritable colonne vertébrale à un projet social mobilisateur, fédérateur, transformateur pour notre pays ", regrette cet ancien élu socialiste. Un appel en forme de cri du cœur, qui s'inscrit dans le constat dressé, il y a un peu plus d'un mois, par les trois économistes ayant inspiré le programme d'Emmanuel Macron. Dans une note confidentielle adressée le 4 juin à l'Elysée et révélée par
Le Monde, Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry tiraient la sonnette d'alarme au sujet
" d'un pouvoir indifférent à la question sociale ".
Une crainte exprimée depuis plusieurs mois à mezza voce dans la majorité, alimentée à la fois par les menaces de coupes dans les aides sociales ou la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune. Sauf que cette fois, certains élus macronistes osent exprimer leurs critiques et leurs attentes publiquement.
" Il faut qu'on donne une dynamique et une lisibilité supplémentaire aux questions sociales et environnementales. Nous devons mener des réformes plus ambitieuses dans ce domaine ", juge ainsi le député LRM de l'Isère Jean-Charles Colas-Roy.
" On est à un tournant "Pour son collègue, Jean-Louis Touraine, l'action du gouvernement doit davantage incarner la promesse du
" en même temps " sur laquelle M. Macron a été élu, en renforçant la politique visant à
" protéger " les Français face à celle de
" libérer "l'économie.
" On entend dans le pays une demande d'équilibre ", souligne le député du Rhône, estimant que l'exécutif doit appliquer
" des mesures de gauche " pour contrebalancer la
" politique de droite " déjà à l'œuvre. Ce dernier fait partie du " pôle social " du groupe majoritaire, fort d'une trentaine d'élus LRM, qui ont décidé de se regrouper, depuis novembre 2017, afin de plaider pour une politique davantage portée sur la défense des plus démunis. A leur tête, la députée Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales, qui ne cesse de réclamer un virage de la part de l'exécutif depuis le début du quinquennat. Jeudi, elle a appelé M. Macron à définir devant le Congrès
" le cadre de la transformation de notre modèle social ", après le report à la rentrée du plan pauvreté.
Ces dernières semaines, ce message a été relayé par d'autres élus du groupe LRM, au-delà du pôle qu'elle anime. Comme si l'inquiétude faisait tache d'huile au sein de la majorité, alors que M. Macron avait promis de déployer en 2018
" un grand projet social ". Dans un entretien à
L'Obs publié le 19 juin, le député LRM de Paris et vice-président de l'Assemblée nationale, Hugues Renson, a ainsi jugé nécessaire de
" porter une ambition sociale renouvelée " lors du
" deuxième temps du quinquennat ", après
" l'urgence " de la première année, où il s'agissait de
" créer des richesses ".
A leur tour, des historiques de la campagne d'Emmanuel Macron, tels Sacha Houlié, Aurélien Taché, Pierre Person ou Guillaume Chiche, préconisent de mieux définir le macronisme, de façon à mettre en avant la jambe gauche du projet, après une première année de mandat où s'est installée l'idée que le chef de l'Etat était
" le président des riches ". " Notre réflexion vise à mieux valoriser notre politique sociale ", résume M. Houlié.
" On est à un tournant, estime une membre du pôle social, la députée du Bas-Rhin Martine Wonner.
Il y avait un vrai challenge la première année à mettre en place les réformes sur le monde du travail. Au bout d'un an, ceux qui viennent de la gauche et du PS ont envie que les problématiques sociales soient réellement prises en compte. "
D'autant que ce déséquilibre est confirmé par les sondages. 76 % des Français estiment que la politique menée par M. Macron est
" injuste et que les efforts ne sont pas répartis équitablement selon les capacités de chacun ", d'après un sondage Elabe paru jeudi. Alors que le couple exécutif se trouve en chute quasi continue dans les études d'opinion depuis le début de l'année, l'entourage du chef de l'Etat a bien identifié ce point faible.
" Le message président des riches est inscrit à gauche, se désole un proche de M. Macron.
Tous les Français qui ne sont plus attentistes nous quittent. " Et les soutiens du président de la République se trouvent de plus en plus à droite. Selon Odoxa, 48 % des sympathisants Les Républicains disent aujourd'hui le soutenir contre 27 % seulement de ceux du Parti socialiste.
Une évolution jugée
" dangereuse " par plusieurs députés LRM, qui craignent que le chef de l'Etat perde une grande partie des électeurs de gauche, sans avoir le soutien de ceux de droite le jour venu.
" Les gens qui ont voté pour nous ne nous soutiennent plus. Et ceux qui nous soutiennent aujourd'hui ne voteront pas pour nous, car un électeur de droite préférera toujours l'original à la copie ", grimace un député macroniste.
Tous les députés ne partagent pas ce point de vue.
" C'est une erreur de lecture, estime la porte-parole du groupe LRM Aurore Bergé.
La politique sociale est une politique émancipatrice, et nous le faisons par notre politique éducative, par le remboursement de 100 % des soins en santé, par la mise en place du Pass culture. " Au sein du gouvernement, on juge cette demande de rééquilibrage vouée à l'échec.
" Si demain, on met un coup de barre à gauche, ça n'aura aucun effet dans l'opinion ", anticipe un ministre de poids, défaitiste, estimant que
" flamber 5 milliards d'euros sur le social ne changerait rien à la perception globale ". Au contraire, la stratégie validée par les macronistes vise à poursuivre l'opération de fracturation de la droite. Au risque d'accroître le fossé entre l'exécutif et le groupe parlementaire.
" Macron et Philippe sont convaincus de la nécessité de gouverner à droite, car ils partent du principe que le danger vient d'abord de là pour 2022, explique un élu LRM proche de l'Elysée.
Le problème, c'est que deux tiers de nos députés sont élus sur des territoires de gauche ou de centre gauche. " D'où un décalage entre le centre de gravité politique de l'exécutif et celui du groupe macroniste à l'Assemblée.
Alexandre Lemarié, et Manon Rescan
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