Il y a un an, l'accouchement avait eu lieu dans le bruit et la fureur. Cette année, tout se fait en catimini et en chuchotements dans les coursives des ministères. Ce calme apparent cache toutefois un travail effectué dans la douleur pour élaborer un budget 2019 en phase avec la politique d'Emmanuel Macron, an II.
Traditionnels à cette période de l'année, les entretiens de cadrage budgétaire, objets de négociations tendues entre le premier ministre, Edouard Philippe, et chacun des membres du gouvernement, ont traîné en longueur. Au point de décaler de quelques jours les entretiens d'évaluations des ministres, autre priorité pour Matignon, qui débutent seulement mardi 3 juillet. Les arbitrages litigieux de crédits seront-ils tous réglés au moment du débat d'orientation des finances publiques, prévu à partir du 10 juillet à l'Assemblée nationale, et prélude à l'envoi des lettres-plafonds dans chaque ministère ? Rien n'est moins sûr.
" Quinze jours, trois semaines, quelle importance ? ",s'agace-t-on à Matignon.
" On se donne le temps, il n'y a pas le feu au lac ", philosophe une source au sein de l'exécutif.
Vraiment ? En 2017, le premier projet de loi de finances (PLF) du quinquennat avait été dessiné en contrepoint de celui de la précédente majorité. Matignon avait demandé à la Cour des comptes un grand audit des finances publiques. Celle-ci avait conclu à un budget
" manifestement entaché d'insincérité " et comportant des
" sous-budgétisations " notoires. De quoi ouvrir la voie à une reprise en main, parfois brutale, des finances publiques par le nouvel exécutif : baisse de 5 euros des APL, coupe de 800 millions d'euros dans le budget de la défense. Face au tollé provoqué, les membres du gouvernement l'avaient juré : il n'y aurait plus de coups de rabot, la politique budgétaire du quinquennat serait à la fois cohérente et lisible.
Déclarations contradictoiresUne promesse plus facile à énoncer qu'à mettre en pratique. Le budget 2019 est le premier de plein exercice d'Emmanuel -Macron. En cas de serrage de vis douloureux, l'actuel exécutif ne pourra plus accuser François Hollande. Politiquement, l'exercice est donc nettement plus périlleux pour un président qui a placé son mandat sous le signe du " en même temps ", et de droite et de gauche. Côté pile, l'exécutif s'est doté d'une trajectoire budgétaire ambitieuse : le déficit public doit passer de 2,3 % fin 2018 à 1,5 % fin 2019 (hors coût de la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi en baisse de charges pour les entreprises), et la dépense publique est censée baisser (hors crédits d'impôts) de 54,4 % à 53,5 % du PIB sur la même période. D'ici à 2022, elle doit reculer de 4 points de PIB (soit près 100 milliards d'euros d'économies).
Côté face, le gouvernement doit affronter des critiques de plus en plus virulentes, y compris au sein de sa majorité, sur les lacunes -sociales de sa politique, ce qui -n'a pas manqué de provoquer des couacs au plus haut niveau. A l'image des déclarations contradictoires, fin mai, de Bruno Le Maire, le ministre de l'économie, et de son homologue des comptes publics, Gérald Darmanin, sur la nécessité – ou pas – de couper dans les aides sociales pour baisser la dépense publique. Officiellement, le gouvernement tente aujourd'hui de dépassionner le débat.
" On a trop souvent cherché à corriger par de la dépense publique des dysfonctionnements – marché du travail… – qu'on ne voulait pas affronter. Il existe en France une marge conséquente pour réparer ces dysfonctionnements, ralentir la dynamique des dépenses publiques et avoir des politiques économiques plus justes. C'est cette logique que nous allons poursuivre dans le budget 2019 ", explique-t-on au sein de l'exécutif.
Un point de vue qui ne fait pas l'unanimité. Dans les ministères, certains s'agacent du flou entretenu au sommet de l'Etat.
" Nous sommes arrivés à la limite du “en même temps”, analyse une autre source.
Il faut d'une part viser un déficit nul. Mais en même temps ne pas toucher aux aides sociales, du moins frontalement, car politiquement ce n'est pas viable. " Résultat, les
" décisions ne sont pas prises. Un jour c'est blanc, le lendemain c'est rouge ", poursuit le membre d'un cabinet ministériel.
" Les débats sont vifs ", reconnaît un membre du gouvernement.
Avancer prudemmentLes deux domaines qui devraient concentrer une grande part des économies budgétaires en 2019 sont les mêmes que ceux qui avaient souffert dans le budget 2018 : l'emploi et le logement. Arguant du dynamisme du marché du travail, l'exécutif estime que la baisse des emplois aidés peut être poursuivie. Quant aux politiques du logement, elles sont considérées comme particulièrement coûteuses et facteur de hausse des prix. La baisse des aides aux entreprises est également avancée : Bercy veut identifier 1 milliard d'économies d'ici septembre. -Enfin, les effectifs de la fonction publique devraient payer un tribu non négligeable aux impératifs budgétaires, alors que le gouvernement a prévu 50 000 suppressions de postes de fonctionnaires d'Etat d'ici à 2022.
Cela suffira-t-il à équilibrer le budget 2019 ? Pas sûr, d'autant que la croissance est en train de se tasser, ce qui devrait entraîner une moindre hausse des recettes fiscales. Et que plusieurs mesures ne sont pas encore prises en compte dans les prévisions gouvernementales. C'est le cas du financement des 6,5 milliards de suppression de la taxe d'habitation pour les 20 % de foyer les plus aisés, qui prendra place dans un collectif budgétaire dédié à la fiscalité locale,
" au premier semestre 2019 ", indique l'exécutif.
Illustration supplémentaire de la difficulté à traduire en chiffres la politique du gouvernement, le destin du rapport du comité action publique 2022. Après deux mois de tergiversations, Matignon a décidé de ne pas publier en l'état les travaux de cette trentaine d'experts de la réforme de l'Etat, afin d'éviter les polémiques. Leurs propositions seront dévoilées
" au fur et à mesure (…)
de notre volonté de transformer tel ou tel sujet ", a confirmé Edouard Philippe sur RTL, le 2 juillet.
" Sur le budget, il nous faut encore avancer dans nos arbitrages. Ils seront rendus entre maintenant et début septembre ", résume-t-on dans l'exécutif. Une façon d'avancer prudemment. Pour le gouvernement, l'été s'annonce brûlant.
Sarah Belouezzane, et Audrey Tonnelier
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