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mercredi 4 juillet 2018

Avec Simone Veil, les déportés et les femmes honorés


3 juillet 2018

Avec Simone Veil, les déportés et les femmes honorés

La foule et des proches ont accompagné l'ancienne rescapée de la Shoah au Panthéon, dimanche 1er juillet

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VERBATIM
“Elle voulut l'Europe par réalisme, non par idéalisme ; par expérience, non par idéologie ; par lucidité, non par naïveté.
Elle n'était pas tendre pour les -fadeurs iréniques et les complications technocratiques qui, parfois devenait le visage de cette -Europe, car elle était de cette -génération pour laquelle, notre Europe n'était ni un héritage ni une contrainte, mais une -conquête de chaque jour.
(…)
Nous devons à Simone Veil de ne pas laisser les doutes et les crises qui frappent l'Europe atténuer la victoire éclatante que depuis 70 ans, nous avons remportée sur les déchirements et les errances des siècles passés.
Rien ne serait pire que renoncer à l'espoir qui a fait naître l'Europe des ruines où elle s'était ensevelie et où elle aurait pu périr. Nous sommes aujourd'hui les dépositaires de ce défi aux vieilles nations qu'elle ne cessa de vivifier. Ce défi est le nôtre, celui de la jeunesse de France et d'Europe, alors que les vents mauvais à nouveau se lèvent. Il est notre plus bel horizon. "
Emmanuel Macron Discours prononcé le 1er juillet, au Panthéon.
Comment aurait réagi Simone Veil en découvrant l'immense photo de son visage et celui de son mari tendue entre deux colonnes du Panthéon ? Et qu'aurait-elle dit en observant la foule de Parisiens, toutes générations confondues, rassemblée sur le passage de leurs deux cercueils portés par des gardes républicains et applaudissant, fervente, souvent les larmes aux yeux ?
Aurait-elle songé à son père, André Jacob, républicain, laïque et patriote, ancien combattant et prisonnier de la Grande Guerre, si confiant dans la France, si amoureux de son pays, mais jamais revenu d'un convoi de déportés parti en avril  1944 vers la Lituanie ? Aurait-elle pensé à Yvonne, sa mère tant aimée, qui, morte en avril  1945 au camp de Bergen-Belsen, n'a cessé de la porter, de l'inspirer, et demeurait " le personnage le plus important de - sa - vie " ? Aurait-elle souri, remarquant que la fameuse phrase " Aux grands hommes la patrie reconnaissante ", gravée en  1791 sur le fronton du bâtiment, était inappropriée, et la République – qui n'avait point songé à la modifier – décidément incorrigible et intrinsèquement machiste ?
Les proches de Simone Veil se perdaient en conjectures, ce dimanche 1er juillet, sur ce qu'aurait pensé de l'événement l'héroïne consacrée par la nation. Mais s'ils étaient heureux, fiers, émus, tous exprimaient à la fois fascination et sidération devant la force de cette évidence – l'ancienne ministre et présidente du Parlement européen méritait allègrement cet honneur – et son extravagance, étant donné les débuts de son histoire personnelle. " La machine nazie avait tout mis en place pour l'anéantir et la réduire en cendres. La voici héroïne, célébrée, vénérée. Elle a connu l'enfer… et elle finit au Panthéon. Quelle histoire ! ", s'extasiait le docteur Marc Strauss, ami de la famille.
" Quelle histoire ! "Oui, quelle histoire !, disaient en écho Nicolas Sarkozy et François Hollande, arrivés l'un après l'autre et usant presque des mêmes mots, comme les ministres ou anciens ministres, nombreux à la cérémonie, souvent à court de mots, si ce n'est " modèle ", " pionnière ", " héroïne ". Quelle histoire !, reprenaient aussi les jeunes des différentes écoles, invités par l'Elysée à suivre la cérémonie aux toutes premières loges parce qu'ils avaient travaillé cette année sur le personnage et l'œuvre de Simone Veil. " Quelle histoire ! ", murmurait Marceline Loridan-Ivens, l'amie, la complice, la confidente de Simone Veil, si frêle et si vivante, les yeux perdus dans ses souvenirs d'Auschwitz… " Comment ne pas être stupéfaits et fiers ? Une fille de Birkenau entre dans la maison la plus illustre de France. Elle nous honore toutes ! "Toutes ? " Nous tous, les déportés juifs. Et nous toutes, les femmes ! "
Deux des sœurs d'Antoine Veil – Lise et Mylène, également ancienne déportée – se tenaient à ses côtés, pareillement médusées, la troisième sœur, Jeannine, 98 ans, ayant craint d'être fatiguée ou trop émue par l'événement et le souvenir si fort de son petit frère Antoine… Sans doute avait-elle eu raison. Le ciel était aussi bleu que l'immense tapis conduisant au Panthéon et rappelant la couleur de l'Europe comme symbole de la paix. Mais la chaleur était torride, et les visages ruisselaient sous la tente de plastique transparent.
C'est du Mémorial de la Shoah, où avaient été exposés pendant deux jours les deux cercueils du couple, qu'était parti, vers 10 h 30, le cortège, escorté par quinze motocyclistes de la garde républicaine. Sur son parcours, des hommes, des femmes, portant drapeaux, photos, dessins à l'effigie de Simone Veil, souvent appelée uniquement par son prénom. Mais c'est au point d'arrivée du convoi, au bas de la rue Soufflot, que la foule était massive, la place du Panthéon étant interdite au public. Portés par des gardes républicains, les deux cercueils ont alors remonté lentement, parallèlement, la rue moquettée de bleu, marquant trois arrêts symboliques et passant devant 21 panneaux évoquant la vie de Simone Veil : l'adolescence sous l'Occupation ; la déportation et le matricule 78651, qui fut tatoué sur son bras à l'arrivée à Auschwitz et qu'elle fera graver plus tard sur son épée d'académicienne ; sa carrière de magistrate, son action comme ministre de la santé, son engagement dans l'Europe, sa défense des Justes de France…
A chaque arrêt correspondait un court extrait d'un documentaire sur Simone Veil réalisé par David Teboul, et sa voix claire, distinguée, résonnait. Chacun tendait l'oreille. Elle était là. Engagée, concentrée, ardente. Comme on l'avait connue. Si sincère. Si sérieuse. Et ses fils, qui attendaient plus haut, face au Panthéon, entourés de leurs épouses, enfants, petits-enfants, ont chacun fermé les yeux. Un honneur, oui, bien sûr. Mais une épreuve aussi, cette résurgence du cercueil de leurs deux parents, et cette voix, audible dans tout le quartier. Dans le public, comme parmi les invités, des larmes ont coulé. Le violoncelle de Sonia Wieder-Atherton et un quintette de cordes continuaient de rythmer la cérémonie, interprétant, entre autres, une splendide Ode à la joie, de Beethoven, chanté également par la Maîtrise populaire de l'Opéra-Comique. Et puis, sur les marches du Panthéon, de jeunes choristes ont entonné Nuit et Brouillard, de Jean Ferrat, interprété et dansé en langage des signes. Moment miraculeux et bouleversant tandis que les cercueils, doucement, remontaient vers la place, sous des applaudissements de plus en plus nourris.
Batailles pour la paix, l'Europe" Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent (…) lls n'arrivaient pas tous à la fin du voyage, Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux, Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge, Les veines de leurs bras soient devenues si bleues… "
Le président Macron a alors pris la parole sur le parvis du bâtiment, affirmant, en préambule, que la décision de faire entrer Simone Veil ainsi que son époux au Panthéon ne fut ni la sienne ni celle de leur famille, mais celle de tous les Français. " Car la France aime Simone Veil. " Il ne fallait donc pas attendre " que passent les générations comme nous en avions pris l'habitude " afin que " ses combats, sa dignité, son espérance restent une boussole dans les temps troublés que nous traversons ". Et d'énumérer, en rappelant les points marquants de sa vie, ce qui la rapproche des quatre grands personnages qu'elle rejoindra dans le sixième caveau : René Cassin, Jean Moulin, Jean Monnet et André Malraux, insistant sur ce que furent ses combats essentiels : la justice pour les femmes, " toutes les femmes " ; la bataille pour la paix, pour l'Europe " par réalisme, non par idéalisme ; par expérience, non par idéologie ; par lucidité, non par naïveté " ; la foi dans la civilisation, avec la conviction que " la culture grandit l'homme et l'éclaire sur son destin " ; la défense d'une certaine idée de la France et la reconnaissance des Justes. Il finit par s'adresser à elle : " Puissent vos combats continuer à couler dans nos veines, à inspirer notre jeunesse et à unir le peuple de France. Puissions-nous nous montrer dignes des risques que vous avez pris et des chemins que vous avez tracés. "
Après que Barbara Hendricks a chanté la Marseillaise, les deux cercueils suivis par le président et son épouse, et toute la famille du couple Veil, sont alors entrés dans la nef du Panthéon. Le public a continué d'applaudir, longuement, avec ferveur, convaincu que Simone Veil entraînait avec elle, dans le somptueux édifice " des héros français ", une foule d'inconnus. Le convoi 71 dont elle fit partie et tant de juifs, exterminés, gazés, brûlés dans les camps d'extermination nazis. Des femmes aussi. Des femmes de toutes sortes, des combattantes ou des victimes dont elle n'a eu de cesse de dénoncer le sort. Des femmes qui, si nombreuses, ont vu en elle une force, un exemple, qui leur ont fait relever la tête et qui partagent aujourd'hui, anonymement, une parcelle de sa gloire.
Annick Cojean
© Le Monde



3 juillet 2018

" La mémoire de notre mère est tellement vivante ! "

Jean et Pierre-François, les deux fils de Simone Veil étaient de retour devant le Panthéon, le soir, après la cérémonie

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Il leur fallait revenir, c'était plus fort qu'eux. Revenir dans la soirée, sans caméras, vers ce Panthéon qui abrite désormais leurs parents, et qui, depuis l'après-midi, accueillait des milliers d'anonymes venus rendre hommage à Simone et Antoine Veil, dont les cercueils reposent côte à côte, avant d'être descendus dans la crypte. Jean et Pierre-François Veil, les deux seuls fils vivants de Simone depuis le décès de Nicolas, en  2002, ont donc reçu les signes affectueux du public. Frères complices et fusionnels.


Pourquoi revenir au Panthéon après la cérémonie formelle ?

Jean Veil : J'avais envie de voir les gens. Rencontrer un public autre que les invités du président de la République ou de la famille Veil.
Pierre-François Veil : Approcher ces gens de tous âges et de toutes conditions qui abordaient tous les jours maman dans la rue, lui disaient merci ou lui confiaient leurs problèmes, toujours avec respect et délicatesse. Elle adorait ces contacts. Je conçois qu'elle ait rêvé un jour d'être avocate : elle aimait s'occuper des gens, et régler les problèmes de M.  Dupont et de Mme  Durand. Les histoires individuelles lui importaient au plus haut point. Dans ses ministères, elle suivait tous les courriers et ordonnait aux services de trouver une solution. " Ce n'est pas un ministre, se plaignaient certains, c'est un chef de bureau ! " Mais elle se décarcassait toujours pour améliorer la vie des gens.
J. V. : Quand elle n'était plus ministre, elle répondait inlassablement, de façon manuscrite, à toutes les lettres qu'elle recevait. Les samedis et dimanches étaient consacrés à ce courrier.


Comment avez-vous ressenti la cérémonie ?

P.-F. V. : Entendre la voix de maman sur cette place du Panthéon m'a mis en larmes. Je crois qu'il n'y a jamais eu autant d'émotion lors d'une panthéonisation…
J. V. : La mémoire de notre mère est tellement vivante ! Les gens l'ont connue, aimée. Avez-vous entendu les applaudissements quand le président a énuméré ses actions en faveur des femmes ? On les entendait monter de la rue Soufflot. C'était magnifique.


Qu'est-ce qui l'emportait, de la tristesse et de la fierté ?

J. V. : J'essaie d'abord de me -convaincre que tout cela est vrai. Parce que, quand même, ça reste très inattendu. Maman n'est pas Prix Nobel ! Elle est une mémoire et un législateur, et je n'ai jamais pensé qu'elle irait au Panthéon !
P.-F. V. : Ça ne m'a jamais traversé l'esprit non plus ! Papa avait compris que maman était devenue une icône, mais quand il a évoqué le Panthéon, c'était vraiment une boutade.
J. V. : Il y a 70 personnes au Panthéon, et encore ! Il y en a qui sont entrés par effraction, à un moment historique, et on n'a pas osé les en ressortir. Le grand public ignore la plupart des noms. On connaît Victor Hugo, Les Curie, Jean Moulin. A part ça… Bref, cette histoire nous est tombée dessus. Le président a vite évoqué le sujet. Des pétitions ont circulé dès le décès de maman. On a été emporté par le courant.


Avec quel effet, aujourd'hui ?

P.-F. V. : Je n'ai pas encore atterri. Je ne suis pas sûr de bien maîtriser ce que ça représente et implique, si ce n'est qu'on ne sera plus enterrés avec nos parents puisqu'on les a retirés de notre caveau familial vieux de 150 ans. C'est notre frère Nicolas qui a dû faire la tronche !
J. V. : En parvenant à exprimer l'autre jour mon dépit de n'être pas enterré avec eux, j'ai enfin compris ce qui me gênait dans cette affaire. On avait toujours prévu d'être tous les cinq dans la tombe. On y aurait d'ailleurs été plus nombreux : il y a nos tantes, nos grands-parents, etc. Mais j'ai toujours pensé et aimé l'idée qu'on y serait tous les cinq, dans un cocon !
P.-F. V. : Chaque fois que j'allais sur la tombe, je me disais : " Un jour, il y aura mon nom sous celui des êtres aimés. Je serai avec papa et maman, Nico et Jean. " C'est une problématique très affective chez nous, je vous assure. Que faire désormais avec ça ? Ces places vides, cet arrachement ? Est-ce qu'on va effacer les noms de nos parents qui n'y sont plus ?
J. V. : Impossible. Leurs noms resteront…
Propos recueillis par A. Co.
© Le Monde

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