Translate

dimanche 29 juillet 2018

Au Mali, une élection sous haute tension


28 juillet 2018

Au Mali, une élection sous haute tension

Ibrahim Boubacar Keïta est en quête d'un second mandat sans avoir réglé les problèmes sécuritaires du pays

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
LES PROFILS
Ibrahim Boubacar Keïta
Originaire de Koutiala, dans le nord-est du Mali, le président " IBK " connaît les arcanes du pouvoir depuis plus de quinze ans. Chef de la diplomatie, puis premier ministre sous la présidence d'Alpha Oumar Konaré (1992-2002), il quitte le gouvernement en 2000 pour fonder le parti pour lequel il est aujourd'hui -candidat : le Rassemblement pour le Mali. A 73 ans, celui que les -Maliens surnomment " Boua " (" vieux " en bambara) est, pour la quatrième fois, candidat à la -magistrature suprême.
Soumaïla Cissé
Ingénieur informaticien de -profession, Soumaïla Cissé a commencé sa carrière -politique sous la présidence -d'Alpha Oumar Konaré, dont il occupait le poste de secrétaire général. Plusieurs fois ministre, il -démissionnera du gouvernement, en 2002, pour fonder son parti : l'Union pour la République et la démocratie. Chef de file de l'opposition -depuis 2015, ce Malien de 68 ans, originaire de la région de Tombouctou, dans le nord, se présente pour la troisième fois à la -présidentielle.
Quelques centaines de mètres séparent les deux quartiers généraux. " Ils nous marquent à la culotte ", s'agace Mahamadou Camara. Le directeur de la communication de la campagne du président Ibrahim Boubacar Keïta (" IBK "), en lice pour un second mandat, dimanche 29  juillet, tire les rideaux pour jeter un œil à l'immense affiche de son principal adversaire. Soumaïla Cissé, candidat de l'Union pour la République et la démocratie (URD), a installé son QG à deux pas de celui du candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM).
Pour la première fois de l'histoire de la démocratie malienne, il n'y a pas de prime au président sortant. La bataille entre les 24 candidats n'en est que plus féroce. " Soumi " suit les traces d'IBK, à commencer par le choix des lieux de meetings à travers le pays. " Ce sont nos affiches qui restent. Le peuple peut ainsi constater que la capacité de mobilisation d'IBK est faible par rapport à la nôtre ", glisse un des soutiens de M. Cissé.
" Défendre le bilan "En  août  2013, IBK avait été plébiscité, élu avec 77,6  % des voix au second tour. Fort de sa popularité de premier ministre à poigne sous Alpha Oumar Konaré, il était perçu comme l'homme de la situation, dont l'autorité permettrait de résoudre la crise au nord, qui avait nécessité en janvier l'intervention de l'armée française contre la rébellion touareg et djihadiste. Cinq ans plus tard, l'un de ses soutiens le reconnaît, la donne a changé : " La position de hauteur prise dans la campagne de 2013 n'était plus tenable aujourd'hui. Cette fois, l'idée était de montrer un homme de terrain, qui va à la rencontre des Maliens pour défendre son bilan. "
Les images montrant IBK enturbanné lors de sa visite à Kidal, le 19  juillet, en compagnie d'un chef touareg, Bilal Ag Achérif, secrétaire général du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), illustrent cet état d'esprit. En cinq ans, c'est la première fois qu'IBK se rend dans le fief de la rébellion." Nous avons conclu un accord de paix, il n'y a plus de combats entre l'Etat et des groupes armés maliens. Aujourd'hui, nous avons un combat commun, la lutte antiterroriste. Nous avons reconstruit les fondamentaux de l'Etat, maintenant il faut aller vers l'émergence ", défend Mahamadou Camara.
Pour les partisans d'IBK, le président a rempli son contrat. Elu pour restaurer la paix, il est parvenu à ramener les ennemis d'hier autour de la table des négociations. En mai  2015, l'accord de paix d'Alger était signé. Ce succès est terni par la mise en application du compromis, jugée trop lente. " Ça ne se fait pas comme un couteau dans du beurre. La confiance, cela prend du temps ", souligne Moustapha Ben Barka. Le secrétaire général de la présidence dénonce un " IBK bashing " injustifié.
Mais pour Tiébilé Dramé, le directeur de campagne de M. Cissé, le contexte sécuritaire s'est dégradé : " Ce mandat est un immense gâchis. Cinq ans plus tard, il n'y a ni paix ni sécurité ni réconciliation. Pire, l'insécurité ne touche plus seulement le nord, mais aussi le centre. " Au moins 43 civils auraient été tués entre avril et juin dans le centre en raison d'attaques djihadisteset de conflits intercommunautaires. Déjà, en  2017, les incidents liés à la sécurité avaient augmenté dans la région de 200  % en un an.
Taxé d'immobilisme, le camp d'IBK a abattu un atout de choix en décembre  2017 : la nomination au poste de premier ministre de Soumeylou Boubèye Maïga (SBM), né à Gao en  1954 – une figure de la vie politique malienne. Il arpente depuis les différentes régions et redore l'image du président. " Boubèye, c'est la plus grosse réussite du mandat ", glisse un proche d'IBK. Côté URD, on le reconnaît, SBM est " l'épine dans le pied " de l'opposition. Cela étant, la prise de conscience tardive de la dérive du centre du pays a suscité un fort embarras, sur le plan national comme international.
Mauvaise gouvernanceSi Paris avait soutenu en coulisses, en  2013, le socialiste IBK, dont l'ex-président François Hollande était proche, le soutien français n'est plus aussi franc aujourd'hui. Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ainsi que les commissions de défense du Sénat, puis de l'Assemblée nationale, ont multiplié les déclarations, jugeant le bilan d'IBK " décevant " et dénonçant le  manque de volonté politique  d'un pouvoir actuel " pas à la hauteur des enjeux "" Dans les accords d'Alger, il y a tout ce qu'il faut pour retrouver la paix au Mali et plus globalement au Sahel ", a ainsi déclaré le chef de la diplomatie française début juin : " Encore faut-il avoir la volonté politique de transformer ces accords en réalité. Ce n'est pas encore le cas, je souhaite que ce soit le cas après l'élection présidentielle. "
Mais, selon nos informations, c'est la poursuite de la mauvaise gouvernance qui a le plus agacé les Français. " 2014, année de lutte contre la corruption ", avait pourtant proclamé le président malien. Au même moment, des scandales de détournements présumés de fonds éclataient, fragilisant la crédibilité d'IBK. " La moitié de ses gouvernements ont été nommés par le canal familial. Ça a tellement choqué les Maliens que le slogan d'IBK en  2013, “Le Mali d'abord, a été transformé en “La famille d'abord” ", ironise Alexis Kalambry, directeur de publication du journal Les Echos à Bamako.
Si le mandat d'IBK déçoit certains, on souligne, au sein de son propre camp, les avancées sur le plan économique de ce pays de 17  millions d'habitants. " Le Mali est devenu le premier producteur africain de coton, le salaire minimum a augmenté de 60  % et celui des fonctionnaires de plus de 20  % ", détaille Mahamadou Camara, qui parie sur une victoire de son candidat dès le premier tour.
Un tel " coup K.-O. ", qui priverait l'opposition d'un second tour, est une ligne rouge à ne pas franchir pour Cheick Modibo Diarra, l'un des autres favoris de cette élection. " Si le président annonce qu'il a gagné au premier tour, je contesterai. Car tout le monde sait que c'est impossible ", explique-t-il. Dans le camp de M. Cissé, on s'inquiète aussi des risques de fraude. La lutte pour des élections libres et transparentes était d'ailleurs le maître mot des deux manifestations organisées par l'opposition, début juin.
La polémique autour de l'existence d'un fichier électoral parallèle et truffé d'erreurs, lancée le 20  juillet, a semé le doute. Pour l'opposition, une " vaste tentative de fraude "se prépare. La direction générale des élections (DGE) parle d'une " erreur informatique " qui devait être corrigée avant le scrutin. Des allégations invérifiables qui, à la veille de l'élection, ont fait monter la tension.
Vendredi 27  juillet, M.  Cissé et le sulfureux militant Ras Bath, qui le soutient, devaient organiser deux rassemblements à Bamako. L'affaire du fichier électoral devrait être au centre des discussions. L'opposition tenterait-elle de préparer les esprits à une éventuelle contestation des résultats ?
" Questions de survie "Depuis plusieurs mois, Bamako vit au rythme des spéculations autour d'un risque de crise postélectorale. " Il y en aura une si les gens ont l'impression qu'IBK a fait un passage en force ", estime l'éditorialiste Alexis Kalambry. " Cette élection n'intéresse pas la frange populaire de l'électorat, tempère quant à lui le philosophe à la retraite Issa N'Diaye. Les gens sont plus préoccupés par des questions de survie quotidienne. Je doute qu'un vrai mouvement émerge. "
La forte abstention attendue pourrait profiter au président sortant, tout comme les divisions de l'opposition en cas de second tour. Car M. Cissé, catalogué comme le candidat des milieux d'affaires, ne fait pas l'unanimité. Dans ces conditions, un front anti-IBK pourra-t-il émerger ? Pas certain. Parmi les vingt-quatre candidats, sept anciens ministres d'IBK et un ex-ambassadeur sont en lice, qui pourraient se prononcer en faveur de leur ancien chef.
Morgane Le Cam
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire