Translate

mercredi 13 juin 2018

La centrifugeuse européenne


13 juin 2018

La centrifugeuse européenne

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Au rythme où vont les affaires du monde (celui des Tweet de Donald Trump) et du pays (celui des réformes à marche forcée), il paraît bien aléatoire de se pencher dès à présent sur les prochaines élections européennes. Elles auront lieu en mai  2019. Autant dire une éternité. De tous côtés, pourtant, chacun cogite et s'active. A juste titre, car ce premier rendez-vous électoral national depuis les élections présidentielle et législatives de mai-juin  2017 est à haut risque pour toutes les formations politiques.
C'est une évidence, en premier lieu, pour la majorité présidentielle. A l'inverse de ses trois prédécesseurs immédiats qui semblaient marcher sur des œufs dès qu'il était question d'Europe, à rebours aussi des vagues d'euroscepticisme, voire d'europhobie, qui déferlent sur le continent, Emmanuel Macron a fait de la défense et de la relance de l'Union européenne (UE) une ambition majeure de son quinquennat.
L'ayant emporté l'an dernier, il entend récidiver l'an prochain. Le scrutin européen, escompte-t-il, doit s'organiser autour d'un affrontement clair, lisible, élémentaire. D'un côté, sous son égide, le rassemblement de tous les partisans de l'Europe sur une liste aussi large que possible, ce " grand rassemblement central " qu'Alain Juppé appelait de ses vœux il y a quelques mois. De l'autre côté, dispersés en autant de listes que la France compte de partis ou de chapelles de gauche, de droite ou d'extrême droite, tous les réticents, réfractaires ou adversaires de l'UE.
Le chef de l'Etat dispose, sur ce terrain, d'une alliée objective : Marine Le Pen. La présidente du Rassemblement national (ex-FN) entend, elle aussi, résumer le débat à une confrontation binaire entre deux camps. A l'alternative présidentielle – progressistes contre populistes –, elle réplique par une autre : " nationaux " contre " européistes ", défenseurs des patries contre chantres de la mondialisation, étant entendu qu'elle se pose en chef de file des premiers.
Saut dans le videL'un comme l'autre espèrent bien approfondir ainsi la recomposition politique enclenchée à leur avantage en  2017. Et ce n'est pas une vue de l'esprit. La fracturation de la droite sur le terrain européen est aussi ancienne que la Ve  République. L'affrontement, jadis, entre gaullistes et giscardiens, la philippique naguère de Jacques Chirac contre le " parti de l'étranger " ou la croisade de Philippe Séguin contre le traité de Maastricht le démontrent. Tout comme les contorsions du président des Républicains, Laurent Wauquiez, hier européen  convaincu, aujour-d'hui " patriote " affiché et qui peut redouter d'être, plus encore que l'an dernier, pris en tenaille entre lepénistes et macronistes.
La tétanie de la gauche n'est pas moindre, tant le scrutin de 2019 menace d'accélérer sa dispersion. Sûre d'elle-même et dominatrice, La France insoumise entend faire cavalier seul. Pétrifié à l'idée de sombrer un peu plus, le Parti socialiste semble résigné à aller aux européennes comme on va à l'abattoir. Les écologistes, qui réunissaient le week-end passé, leur conseil fédéral, rêvent d'une résurrection sur une ligne " 100  % écolo, 100  % européenne ". Les communistes, qui viennent de désigner un chef de file (Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris), cultivent un espoir similaire, mais sur la base d'une liste grande ouverte à " toutes les forces sociales ". Quant à Benoît Hamon, il fantasme de faire de son mouvement, Génération.s, le pivot d'un rassemblement de la gauche européenne. Bref, comme des lemmings, tous s'apprêtent à sauter dans le vide.
C'est, en effet, une des caractéristiques du scrutin européen à la proportionnelle : il exerce sur les partis une force de séduction à -laquelle peu résistent. Chacun veut s'y compter, et ce sera d'autant plus vrai en  2019 que l'élection aura lieu dans une seule circonscription nationale (et non plus dans huit circonscriptions régionales très floues, comme c'était le cas depuis 2004). Or cette logique centripète pourrait sérieusement détraquer la logique binaire que cherchent à faire prévaloir M. Macron et Mme Le Pen.
Pour celle-ci, le défi est double. D'une part, réaliser un score au moins égal à celui de 2014, quand elle était arrivée en tête du scrutin avec 25  % des suffrages. D'autre part, faire la démonstration que le changement de nom de son parti a du sens et qu'elle est peut rassembler au-delà des frontières de l'ancien FN. Le camouflet que vient de lui infliger Nicolas Dupont-Aignan n'est guère encourageant : alors qu'il l'avait ralliée au second tour de la présidentielle, le président de Debout la France entend se présenter sous ses propres couleurs.
Quant au président de la République, il s'expose à deux risques majeurs. La posture seul contre tous est bien dans sa manière. Mais, après deux ans de mandat, elle pourrait fort bien se retourner contre lui si la conjonction de toutes les déceptions, irritations et oppositions – pour l'instant stériles – qu'il suscite se transformait en un référendum anti-Macron. A cet égard, beaucoup dépendra de la situation économique et sociale du pays au printemps 2019. Beaucoup dépendra également de sa capacité à démontrer, d'ici là, que sa volonté de redonner sens et vigueur au projet européen ne se résume pas à de grands discours, aussi flamboyants soient-ils. Tout, sur ce terrain, reste à prouver, qui plus est dans une Union frileuse, taraudée par la montée des populistes, paralysée par la crise migratoire et défiée par les coups de boutoir du président américain. Dès le début de son mandat, le président de la République a demandé qu'on lui donne deux ans avant de juger des effets de son action, en France comme en Europe. Le rendez-vous de mai  2019 sera ce moment de vérité.
par Gérard Courtois
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire