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mercredi 30 mai 2018

Avec les jeunes, des tensions, mais pas de divorce....Le service national universel obligatoire, une option à risque


30 mai 2018

Avec les jeunes, des tensions, mais pas de divorce

Le fossé qui semble se creuser sur le terrain entre le président et la jeunesse n'apparaît pas encore dans les sondages

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J'ai besoin de votre engagement. " Lors de ses vœux aux Français, le 31  décembre, Emmanuel Macron s'était fendu d'une version raccourcie sur Twitter et Facebook, à destination de " la jeunesse ". Durant deux minutes, le chef de l'Etat avait exhorté les jeunes à prendre leur " part du combat " pour assurer " la cohésion du pays "" Chaque matin, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour la France ", avait-il déclaré, non sans paraphraser le président américain Kennedy. " Je compte sur vous ", avait conclu le président de la République.
Las ! Six mois plus tard, l'incompréhension entre M. Macron et la jeunesse semble chaque jour gagner du terrain. Dans les universités ou les lycées, dans les mani-festations, sur les réseaux sociaux, nombre de jeunes disent aujourd'hui leur mécontentement de la politique du gouvernement, qu'il s'agisse de la baisse des aides personnalisées au logement (APL), de la mise en place de la plate-forme Parcoursup ou du futur Service national universel. Malgré ses discours et la forme de modernité qu'il incarne, le président quadragénaire donne -parfois le sentiment de ne plus savoir comment s'adresser aux 18-25 ans. Pis, il ne semble plus à l'abri d'un dérapage qui pourrait enflammer une population par nature éruptive.
Fermeté assuméeDernier épisode en date : l'occupation du lycée Arago, à Paris. Le 22 mai, une centaine de lycéens ont été arrêtés et placés en garde en vue, pendant deux jours pour certains, pour avoir brièvement investi l'établissement suite à une manifestation. Une réaction jugée disproportionnée par une partie de la classe politique. " Quand vous faites 100 gardes à vue et que vous ciblez des lycéens et notamment des mineurs, vous envoyez un message : faire peur à ceux et celles qui veulent se mobiliser ", a dénoncé l'ancien porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste Olivier Besancenot. " L'inquiétude légitime exprimée par les jeunes, leurs familles, leurs enseignants ne saurait recevoir pour réponse des coups de menton ni des coups de matraque ", a ajouté l'ex-candidat socialiste Benoît Hamon dans une lettre ouverte adressée au premier ministre, Edouard Philippe, lundi 28  mai.
Plutôt que de calmer les esprits, l'exécutif a pourtant décidé d'assumer sa fermeté. Je suis un ancien professeur, la première chose que les professeurs devraient dire à leurs élèves, c'est que, quand on est un jeune mineur, on ne va ni occuper son lycée ni dans des manifestations qui peuvent dé-générer ", a déclaré le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, ajoutant que " parmi les gens qui commettent des actes violents, vous avez aussi des mineurs ". Des propos surprenants comparés à la frilosité habituelle du pouvoir vis-à-vis de tout ce qui ressemble à une mobilisation de la jeunesse.
Dans l'opposition, on veut y voir la preuve de l'obstination, voire de l'inconscience, de l'exécutif, qui ne percevrait pas la défiance juvénile à l'égard de sa politique. " Pour la première fois depuis dix ans, des milliers de jeunes ont divorcé avec le système, estime Jean-Luc Mélenchon dans un entretien à Libération, le 26 mai. Ce qui l'emporte aujourd'hui dans les esprits, que l'on ait ou pas participé au blocage de sa fac, c'est que ce monde est pourri. Et que ses valeurs ne valent pas la peine d'être vécues. Je me souviens du monde étudiant à la fin des années 1990. La mentalité générale était largement acquise aux idées libérales. C'est fini. Emmanuel Macron vient de divorcer d'avec cette jeunesse. "
Cette vision d'une fracture naissante entre le chef de l'Etat et la jeunesse est pourtant contredite par la totalité des études d'opinion. " Il n'y a pas plus de divorce aujourd'hui qu'il n'y avait de lune de miel hier ", assure Emmanuel Rivière, directeur général de l'institut Kantar. La cote de confiance du chef de l'Etat auprès des 18-24 ans a certes baissé, passant de 49 % en juin  2017 à 38 % en mai  2018, selon le baromètre -Kantar-Sofres, mais " ce recul est dans la moyenne de celui constaté auprès de l'ensemble de la population ", assure le politologue.
" Même sur les domaines d'action au cœur des inquiétudes de la jeunesse, comme la lutte contre le chômage, on observe certes que les jugements portés sur l'action d'Emmanuel Macron sont meilleurs chez les plus âgés que chez les plus jeunes, mais il n'y a pas pour autant chez ces derniers de déception très marquée par rapport à la moyenne des actifs ", abonde Chloé Morin, directrice de l'Observatoire de l'opinion de la Fondation Jean-Jaurès. 46  % des moins de 35  ans jugent ainsi que l'action menée contre le chômage depuis un an va dans le bon sens, soit peu ou prou le même pourcentage que la moyenne des Français (49 %), selon l'enquête menée par Ipsos-Sopra Steria, du 25  avril au 2  mai, pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), la Fondation Jean-Jaurès et Le Monde, auprès de 13 540 personnes.
" Quête de sens "Au sein de l'exécutif, on estime au contraire que tenir un discours de fermeté permet de conforter la " majorité silencieuse ", celle qui ne manifeste pas, veut passer ses examens et condamne les blocages de certaines universités. " Macron joue la jeunesse qui travaille contre celle qui conteste, analyse Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'IFOP. La mise en place de Parcoursup, dénoncée par un certain nombre de lycéens et d'étudiants, a ainsi montré un engouement renouvelé pour les filières sélectives. C'est bien la preuve qu'une partie de la jeunesse adhère au projet du chef de l'Etat. "
Pour autant, pas question de faire n'importe quoi et d'agiter des épouvantails. " S'il est bien qu'on continue d'avancer, il ne faut pas le faire avec arrogance, d'autres s'en sont mordu les doigts avant nous ", met en garde un ministre. " Attention à ne pas balayer d'un revers de main la quête de sens d'une certaine jeunesse, mais celle qui ne manifeste pas ou plus nous préoccupe davantage que celle qui est dans la rue, avec son lot de manipulation politique ", nuance Aurélien Taché, député La République en marche (LRM) du Val-d'Oise.
Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, la mise en place d'un " service national obligatoire et universel " a ainsi été re-poussée, le temps de trouver la formule acceptable pour des jeunes qui n'en veulent pas. " Le président de la République est attaché à ce que la jeunesse -s'approprie le sujet et donc qu'elle soit con-sultée ", explique-t-on à l'Elysée, manière de botter en touche alors qu'un rapport sur le sujet a été rendu en avril. De la même façon, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé qu'elle présenterait en juillet " une stratégie de lutte -contre la pauvreté des enfants et des jeunes ".
" Durant la campagne, Emmanuel Macron a réussi à parler aux jeunes sans cibler les jeunes, en dénonçant les assignations à résidence, en insistant sur l'émancipation, la mobilité, rappelle Gabriel Attal, député (LRM) des Hauts-de-Seine et membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Il faut continuer car la jeunesse ne veut plus d'un discours misérabiliste. "
Cédric Pietralunga
© Le Monde


30 mai 2018

Le service national universel obligatoire, une option à risque

Lycéens, étudiants et associations s'opposent à un engagement contraint. Le chef de l'Etat pourrait lancer une consultation de la jeunesse

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UN PARCOURS CIVIQUE IMPOSÉ À SCIENCES PO
Entre mai et août, Guillaume ira dans une maison de retraite afin d'apprendre aux personnes âgées à se servir d'une tablette. Rabab, dans une école qui accueille les enfants réfugiés. Sciences Po a mis en place le parcours civique, qui s'appuie notamment sur un stage en immersion de quatre semaines obligatoire pour les 1 600 étudiants entrés en première année à la rentrée 2017. Il doit comporter une dimension de contact et de service (accueil, aide sociale, animation, accompagnement…). " Le parcours civique est une obligation, parce qu'il correspond à un objectif de formation. Il ne se situe pas dans le champ de la bonne action, mais bien dans celui de la préparation à l'exercice de la responsabilité ", justifie Bénédicte Durand, doyenne du collège universitaire.
Comment imposer à la jeunesse un service national universel (SNU), mais sans la contrarier ? Alors qu'en ce printemps de nombreux élèves de terminale attendent dans l'angoisse les réponses à leurs vœux sur la plate-forme d'accès à l'enseignement supérieur Parcoursup, inutile de provoquer une nouvelle étincelle susceptible de mobiliser étudiants et lycéens. C'est en suivant cette difficile ligne de crête que le gouvernement travaille à la mise en place d'un engagement de campagne d'Emmanuel Macron : un service national pour tous les jeunes, que le président de la République a voulu " obligatoire ". Un sujet qui lui tient à cœur mais pour lequel la majorité se montre plus frileuse dans le contexte actuel.
L'acceptation du SNU par la jeunesse dépendra de son contenu. Il faut donc tracer ses contours en douceur. C'est à un militaire, le général Daniel Ménaouine, que l'Elysée a confié la mission de conduire un groupe de travail, qui a rendu son rapport fin avril. Prudent, il propose une consultation de la jeunesse – une option " validée " par M. Macron, y est-il précisé.
Le président " est attaché à ce que la jeunesse s'approprie le sujet et donc qu'elle soit consultée ",confirme l'Elysée. La piste d'un référendum est a priori écartée. L'idée serait de consulter des organismes de jeunesse (syndicats étudiants, associations, Jeunesse ouvrière chrétienne, etc.). De fait, amener tous les jeunes à s'exprimer constituerait une prise de risque pour l'exécutif. Alors que des arbitrages étaient annoncés pour ce printemps, plus aucun calendrier n'est aujourd'hui avancé. Le rapport est pour l'instant examiné au niveau interministériel.
La première étape a été de gommer quelques lignes du programme du candidat Macron, qui promettait la création d'un " service militaire obligatoire et universel d'un mois ". Un an plus tard, il est hors de question de remettre la jeunesse au garde-à-vous. Ce malentendu corrigé, les auteurs du rapport mettent en garde contre l'un des plus importants écueils sur lequel pourrait s'échouer le projet : la contrainte. " Le service national universel ne doit pas être conçu, ou regardé, comme le projet d'adultes, raisonnables et vieillissants, imposant à une jeunesse turbulente une période durant laquelle on lui enseignerait l'autorité et les vraies valeurs. "
" Favoriser un brassage social "Néanmoins, " obligatoire ", le SNU le serait selon les propositions du rapport, mais sur une courte période : deux fois quinze jours, entre 15 et 18 ans (un premier temps de " cohésion " de quinze jours, en hébergement, centrés sur les valeurs, puis un second d'une même durée autour d'un projet d'engagement collectif). Ensuite, une deuxième " phase " d'engagement de trois à six mois serait envisagée, uniquement sur la base du volontariat, avant 25 ans.
Mais alors que les premiers objectifs affichés du SNU sont de " favoriser un brassage social et territorial " et d'engager chaque jeune au service de la collectivité, lycéens, étudiants, associations de jeunesse et acteurs du service civique rejettent en bloc le principe même d'un engagement contraint. " La mixité, la cohésion, l'engagement ne se décrètent pas ", a rappelé, dans une lettre ouverte publiée en avril, le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire. Quelques mois plus tôt, le Conseil d'orientation des politiques jeunesse (rattaché au premier ministre) s'était également prononcé, dans un avis du 30 janvier, pour un service sur la base du volontariat.
Selon les préconisations du rapport,la période de " cohésion "aurait logiquement lieu pendant les vacances pour ne pas bousculer le temps scolaire. " C'est donc nous priver du droit aux vacances ", s'étrangle Davy Beauvois, lycéen et secrétaire national de la Fédération des maisons des lycéens. Le jeune homme, comme nombre de ses pairs, est peu réceptif à une prolongation estivale de l'enseignement moral et civique reçu en cours au collège et au lycée. " Il n'y a pas de nécessité à nous rabâcher les valeurs de la République. Nous contraindre, c'est nous couper l'envie de les entendre ", avertit-il.
Sur les campus, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) et l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) qui s'opposent, notamment sur la réforme de l'accès à l'université, font sur ce point front commun et dénoncent un mauvais choix de l'exécutif. " Un service obligatoire sera subi par la jeunesse et voué à l'échec. Si l'engagement est contraint, les jeunes feront tout pour s'y soustraire ",avertit Jimmy Losfeld, président de la FAGE. " Cela fait partie de la politique infantilisante et paternaliste d'Emmanuel Macron, qui veut imposer aux jeunes leur orientation par sa réforme de l'université et maintenant un service obligatoire. Nous nous y opposons et nous appellerons les jeunes à se mobiliser contre ", poursuit, sur un front commun, Lilâ Le Bas, présidente de l'UNEF.
Inquiétude sur la méthodeSi les acteurs du monde associatif reconnaissent la justesse des objectifs visés par le gouvernement, ils s'inquiètent eux aussi de la méthode pour y parvenir. " L'engagement se fait sur la base du volontariat par essence ", rappelle Hubert Pénicaud, vice-président de France Bénévolat, association engagée pour le développement du bénévolat associatif. " L'engagement doit être choisi, poursuit Claire Thoury, déléguée générale d'Animafac, réseau d'associations étudiantes,le choix est aussi important que l'engagement. C'est un moyen d'affirmer son individualité, cela fait partie de la construction identitaire, du passage à l'âge adulte. " Suivre un service sous la contrainte ôterait toute valeur au geste. " Le risque est que cela casse la notion d'engagement ", analyse Claire Thoury. " Les jeunes ont le sentiment d'une mesure punitive, explique M. Pénicaud, c'est d'autant plus injuste qu'ils sont nombreux à être engagés, dans une société qui ne leur propose pas beaucoup d'avenir. "
La notion d'obligation n'a cependant pas que des détracteurs. " Il y a une volonté d'engagement dans la jeunesse, souligne Romain Perez, économiste et auteur en avril  2017, d'un rapport sur le service national pour tous. Mettre l'accent sur les missions d'intérêt général, c'est une manière habile de restaurer la notion d'obligation à un service national. La jeunesse aura du mal à retourner à un service militaire, mais participer à des actions de solidarité nationale ouvre la possibilité de dépasser la réticence de la jeunesse à s'obliger. " " Il faut associer le plus possible les jeunes à son élaboration. Il faut que cela vienne de leurs idées, du terrain ", estime Gabriel Attal, député LRM des Hauts-de-Seine.
Pour ceux qui demeureront réfractaires, le refus serait sanctionné par " l'impossibilité de passer le code, le baccalauréat ou un autre diplôme, l'exclusion des concours administratifs… ", suggèrent les auteurs du rapport. C'est le paradoxe du SNU, pensé comme un outil inclusif pour une partie de la jeunesse en perte de repères, mais qui pourrait exclure encore plus ceux qui n'y adhéreraient pas.
Éric Nunès, et Cédric Pietralunga
© Le Monde

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