Le président-prompteur a éclipsé une nouvelle fois le président-Twitter, mardi 30 janvier, à l'occasion de son premier discours sur l'état de l'Union. En s'en tenant fidèlement à son texte, quitte à se montrer économe en passion, mais en évitant les provocations, Donald Trump a en effet renoué avec le ton posé adopté le 28 février 2017 devant les deux Chambres du Congrès. Après des débuts tumultueux à la Maison Blanche, cette intervention avait fait brièvement espérer la normalisation d'un outsider arrivé en politique comme par effraction.
Mardi, le rituel a été respecté à la lettre, les standing ovations multipliées par le parti de l'orateur comprises. M. Trump a joint ses applaudissements aux leurs. En février 2017, le président s'était déjà appuyé sur ses invités présents en tribune pour donner de la chair à un discours volontariste rompant avec la description apocalyptique d'une Amérique au bord du gouffre développée durant la campagne présidentielle.
M. Trump a renoué avec talent et empathie avec cette source d'inspiration en s'attardant systématiquement, pour chaque partie de son intervention, sur des vies de héros ordinaires ou d'exception, celles d'un soudeur, d'une secouriste, d'un pompier, d'un soldat ou d'un dissident nord-coréen, pour nourrir une vision optimiste des Etats-Unis.
Donald Trump a pu mettre en avant la santé éclatante de l'économie américaine dont il a revendiqué l'entière et unique paternité, sans un mot envers son prédécesseur qui pourrait trouver légitimement à y redire. Sans craindre l'exagération, lorsqu'il a qualifié par exemple sa réforme fiscale de plus importante de l'histoire du pays, le président a assuré qu'elle constituait le socle d'un meilleur avenir à portée de main, un
" nouveau moment américain ", une formule déjà utilisée en 2010 par la démocrate Hillary Clinton.
" L'ère de la capitulation économique est terminée ", a-t-il ajouté, renouant avec le thème de
" l'Amérique d'abord " défendu vendredi 26 janvier à Davos (Suisse), au cours d'une intervention également jugée mesurée au Forum économique mondial.
" Pendant des années, les entreprises et les emplois nous quittaient. Aujourd'hui, ils reviennent ", a-t-il poursuivi avant de célébrer la construction d'usines automobiles et le
" magnifique charbon propre ".
" Force et confiance "Recevant à déjeuner mardi des présentateurs vedettes du pays comme le veut la coutume, Donald Trump avait promis de
" faire en sorte que notre pays dépasse les profondes divisions qui le minent depuis de très nombreuses années ". Devant les élus, il a lancé un appel à l'unité, rompant avec des dizaines de messages insultants à l'égard de ses adversaires démocrates publiés sur son compte Twitter depuis plus d'un an.
" Ensemble, nous construisons une Amérique sûre, forte et fière ", a-t-il assuré.
Cette soudaine volonté fédératrice tient autant au rituel de ce discours qu'à des considérations politiques. Après avoir pu se passer des votes démocrates pour sa réforme fiscale, Donald Trump sait qu'il ne peut en faire désormais l'économie pour voter le budget, refondre l'immigration ou lancer un programme de modernisation d'infrastructures vieillissantes évoqué brièvement mardi, compte tenu d'une trop faible majorité au Sénat.
Alors que les tensions sont à leur comble au Congrès entre les deux grands partis à propos de l'éventuelle publication d'un rapport à charge contre le FBI dans le cadre de l'enquête sur les interférences russes pendant la présidentielle, les ouvertures du président, cependant, ont été mesurées. Donald Trump a dit vouloir tendre la main
" aux élus des deux partis, démocrates comme républicains, pour protéger nos citoyens, quelles que soient leurs origines, leur couleur de peau ou leur religion ". Sa proposition de régulariser 1,8 million de sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis en échange d'un durcissement sans précédent depuis près d'un siècle de la politique migratoire a laissé les démocrates de marbre.
En rendant hommage aux parents présents en tribune de deux victimes présumées d'un gang d'origine salvadorienne, M. Trump a renoué avec les accents de sa campagne assimilant l'immigration irrégulière à la criminalité. Les frontières
" laissées ouvertes ", a-t-il dit,
" ont coûté la perte de nombreuses vies innocentes ".
A l'opposé, la perspective d'une régularisation risque d'autant moins de séduire les républicains que la saison des primaires va bientôt débuter pour les élections de mi-mandat prévues en novembre qui s'annoncent délicates pour le Grand Old Party. L'aile droite républicaine n'a cessé de dénoncer d'éventuelles régularisations comme autant d'
" amnisties ".
Evoquant
" la force et la confiance " ranimées à l'intérieur des frontières américaines, M. Trump a ajouté qu'il allait restaurer dans le même temps
" la force et la position "des Etats-Unis à l'étranger. Le président a passé sous silence l'isolement provoqué par de nombreuses initiatives comme le lancement d'un projet de traité de libre-échange, celui de l'accord de Paris contre le réchauffement climatique (non mentionné dans son discours) ou bien les menaces agitées contre l'accord sur le nucléaire iranien.
Face aux
" rivaux " chinois et russe évoqués dans sa vision stratégique publiée en décembre 2017 et qui menacent
" nos intérêts, notre économie et nos valeurs ", le président a plaidé pour une surpuissance militaire dissuasive
" incomparable ". Il n'a pas eu un mot pour les agissements prêtés à la Russie par le renseignement américain pendant la campagne présidentielle de 2016 après avoir refusé, lundi 29 janvier, d'adopter à ce sujet les sanctions souhaitées par le Congrès.
Donald Trump a tempéré l'enthousiasme né des victoires enchaînées contre l'organisation Etat islamique en Irak et en Syrie, là aussi dans la continuité de son prédécesseur, Barack Obama, en assurant que
" beaucoup reste à faire ". Seule annonce de la soirée, le président a d'ailleurs symboliquement déclaré qu'avant de se rendre au Congrès il avait signé un décret annulant celui de M. Obama, à son arrivée à la Maison Blanche, en faveur de la fermeture de la prison de Guantanamo, sur une base militaire américaine installée à Cuba. Les républicains du Congrès, qui avaient empêché le président démocrate de tenir sa promesse, l'ont vigoureusement applaudi. Ces mêmes républicains ont été les seuls à saluer la fin de l'intervention de -Donald Trump, classée parmi les plus longues de ces dernières décennies.
En 2017, quatre jours avaient passé avant que le président-Twitter reprenne le dessus en accusant sans la moindre preuve son prédécesseur de l'avoir mis sur écoute. Le décompte pour 2018 est désormais enclenché.
Gilles Paris
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