La tension était trop forte pour espérer qu'elle retombe d'elle-même. Le service de presse du Vatican a annoncé, mardi 30 janvier, que le pape François avait décidé d'envoyer un représentant à Santiago du Chili " pour écouter ceux qui ont manifesté la volonté de faire connaître des éléments qu'ils possèdent ". Cette périphrase -désigne les victimes du prêtre chilien Fernando Karadima, reconnu coupable d'agressions sexuelles sur mineurs par l'Eglise catholique en 2011.
Ces victimes dénoncent la nomination par François d'un des anciens protégés de Fernando Karadima, Mgr Juan Barros, comme évêque d'Osorno, un diocèse du sud du pays, en janvier 2015. Plusieurs accusent ce prélat d'avoir été présent, à l'époque, pendant qu'ils étaient agressés, et d'avoir couvert par la suite les agissements de son ancien mentor.
Lors de sa récente visite au Chili (du 15 au 18 janvier), le pontife s'était dit
" convaincu que - Mgr Barros -
est innocent " et avait affirmé qu'il n'y
" a pas une seule preuve contre lui " mais bien des
" calomnies ". Voici désormais Mgr Barros, dont le pape a refusé par deux fois la démission, visé par une enquête du Vatican.
Signaux de mauvais augureLa bronca contre l'attitude et les propos du pape, à l'occasion de ce voyage, a été telle qu'elle a éclipsé les autres aspects de sa visite. Elle lui a valu une cuisante – et courageuse – remontrance de l'archevêque de Boston, Mgr Sean O'Malley, qui a jugé
" compréhensible que la déclaration du pape François à Santiago du Chili ait été une source de grande douleur pour les survivants d'agressions sexuelles par des membres du clergé ".
Le cardinal O'Malley est l'une des figures de la lutte contre la pédophilie dans le clergé américain. Proche du pape François, qui l'a inclus dans son conseil des neuf cardinaux, il préside la commission d'experts chargés par le pape de proposer des réformes pour mieux protéger les mineurs contre la pédophilie. Jusqu'à ce voyage, le retard pris par les réformes destinées à mieux lutter contre ce fléau dans l'Eglise catholique était mis en bonne partie sur le compte des résistances dans la curie romaine, l'administration du Vatican.
Cela avait été mis en avant par Marie Collins pour démissionner de la commission pontificale de protection des mineurs. Cette -Irlandaise, agressée par un prêtre à l'âge de 13 ans, avait claqué la porte, en mars 2017, en invoquant des
" revers constants "dus
" à la résistance de certains membres de la curie du Vatican aux travaux de la commission " et à un
" manque de coopération honteux ".
Elle accusait notamment – sans la nommer – la Congrégation pour la doctrine de la foi, chargée de juger les prêtres accusés d'agressions sexuelles, de s'être opposée à la création d'un tribunal destiné à juger les évêques -négligents dans la gestion de cas d'agressions sexuelles, que -François avait pourtant annoncé.
Mais les propos tenus par François au Chili, le fait qu'il ait évité de rencontrer les victimes de -Fernando Karadima, qui contestent la nomination de Mgr Barros, et la présence de ce dernier aux côtés du pape à chacune de ses messes, ont cette fois jeté un doute sur la détermination du souverain pontife à sanctionner véritablement les évêques qui auraient couvert de tels faits.
Ce doute vient s'ajouter à d'autres signaux, plus anciens, déjà jugés de mauvais augure par les associations de victimes. Elles reprochent ainsi au pape son soutien au cardinal George Pell, numéro trois du Vatican, inculpé d'agressions sexuelles par la justice australienne, qui a quitté Rome fin juin 2017 et s'est mis en congé de ses fonctions dans le but d'assurer sa défense. Alors que François ne manque pas une occasion de s'en prendre au
" cléricalisme ", certains sont aujourd'hui tentés de croire qu'il ne va pas jusqu'au bout de son engagement lorsqu'il s'agit des évêques.
" Nouvelles décourageantes "Par ailleurs, les membres de la commission pour la protection des mineurs, présidée par le cardinal O'Malley, sont plongés dans l'incertitude. Depuis le 17 décembre 2017, troisième anniversaire de leur nomination, ils ignorent si l'instance sera prolongée et s'ils en feront encore partie. Et ils sont sans nouvelle des propositions qu'ils ont remises au pape en septembre.
Elles comportaient un modèle de recommandations contre la pédophilie pour les diocèses qui n'en sont pas encore dotés, demandaient un réexamen du secret pontifical lorsqu'il s'applique aux cas d'agression sexuelle pour permettre aux victimes d'être informées des procès canoniques, préconisaient la création d'un conseil international de " survivants " et plaidaient pour la suppression du délai de prescription de vingt ans. L'épisode chilien ne les a pas précisément rassurés.
Sur le site du Centre pour la protection de l'enfance, qui fait partie de l'Université grégorienne, à Rome, le post d'une chercheuse, daté du 26 janvier, évoque
" les mots malheureux " du pape, les
" nouvelles décourageantes " et interroge :
" Y a-t-il l'espoir d'un réel changement dans l'Eglise ? " Ce centre est présidé par l'un des membres de la commission pontificale, le jésuite allemand Hans Zollner.
Depuis deux semaines, l'incompréhension a largement débordé le cercle des victimes et de ceux qui les épaulent. Ce ne sont pas les habituels opposants du pape qui se sont manifestés. Le trouble a gagné bien au-delà.
" La défense de Barros par François a été excessive ", a écrit le jésuite Thomas Reese dans un article sévère publié par le
National Catholic Reporter.
La contre-offensive du pape a en réalité commencé quelques jours après son retour du Chili et du Pérou. Le Vatican a alors annoncé qu'un séminaire sur la protection des enfants, présidé par le cardinal O'Malley, serait organisé dans le cadre des Journées mondiales de la famille, qui auront lieu du 21 au 26 août en Irlande. Un pays touché par de multiples scandales mis au jour par les enquêtes publiques menées dans les années 2000. Des victimes y participeront ; François devrait y intervenir.
C'est sur la foi
" d'éléments récemment parvenus ", a affirmé, mardi, le service de presse du Vatican, que le pape a décidé d'envoyer au Chili l'archevêque de Malte Charles Scicluna. Le choix de cet enquêteur ne doit rien au hasard. Aujourd'hui président au Vatican d'une cour d'appel pour les agressions sexuelles, Mgr Scicluna s'est illustré dans le passé pour avoir enquêté, au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi, sur les crimes commis par le Mexicain Marcial Maciel, le fondateur des Légionnaires du Christ, qui avait ses entrées auprès de Jean Paul II.
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