Les corps de leurs enfants ont-ils été enterrés dans les sous-sols de l'académie de police d'El Lencero, située dans l'Etat de Veracruz, dans le sud-est du Mexique ? La question obsède les proches de centaines, voire de milliers de jeunes disparus, alors que le procès de dix-neuf anciens policiers vient de mettre au jour l'existence, de 2013 à 2016, d'escadrons de la mort au sein des forces de l'ordre régionales. Inédites au Mexique, ces révélations sur un système institutionnalisé de disparitions forcées éclaboussent le parti au pouvoir, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), dans un pays qui compte plus de 34 000 disparus.
" Cela fait cinq ans que je recherche Hugo jour et nuit ",clame, la voix tremblante, Maria del Carmen Sanchez, commerçante de 58 ans, qui vit près de Xalapa, capitale du Veracruz. Son fils, chauffeur de taxi de 22 ans, est porté disparu depuis son arrestation, le 16 avril 2013, par la police sur une route de la région. Son cas fait partie des quinze disparitions forcées recensées entre avril et octobre 2013. Ces exactions sont examinées, depuis la mi-février, par le tribunal de Pacho Viejo.
Modus operandi glaçant
" Des indices nous laissent penser que les dix-neuf policiers et fonctionnaires jugés, ainsi que douze autres en fuite, pourraient être impliqués dans deux cents cas similaires à travers le Veracruz ", a déclaré Jorge Winckler, procureur de la région. M. Winckler a précisé que
" cette enquête a permis, pour la première fois, de détecterune politique systématique visant à faire disparaître des membres présumés du crime organisé ".
Le dossier judiciaire révèle l'existence de deux escadrons sous le mandat de l'ancien gouverneur de Veracruz, Javier Duarte (2010-2016), issu du PRI, et qui se trouve derrière les barreaux pour corruption. Le premier groupe de choc repérait des suspects, pour certains mineurs, qui étaient tabassés avant d'être remis à un second escadron, baptisé " Los Fieles " (" les fidèles "). Ce dernier était chargé de les torturer et de les tuer au sein de l'académie de police, située à 12 km de Xalapa.
Les témoignages de survivants ainsi que de quatre policiers impliqués décrivent un modus operandi glaçant. Les hauts murs de l'académie, longeant un axe routier, étouffaient les cris des torturés. Les policiers faisaient ensuite disparaître leurs corps dans un lieu resté inconnu.
" On suppose qu'ils ont été enterrés dans les sous-sols ou les jardins de l'académie, qui possède un zoo, raconte Noé Zavaleta, correspondant local de l'hebdomadaire d'investigation
Proceso.
Ils pourraient aussi avoir été dévorés par les lions ou les crocodiles. " Des témoins ont raconté que les Fieles proposaient ensuite à des épouses de disparus de leur fournir des informations. Un piège pour les violer et les torturer à leur tour. L'une d'elles a raconté que son bébé de 10 mois a lui aussi subi des décharges électriques.
" En cavale "Trois dirigeants de la sécurité publique font partie des prévenus. En tête, Arturo Bermudez, chef de la police régionale de 2012 à 2015, accusé d'avoir créé et dirigé ces escadrons. Emprisonné pour enrichissement illicite, cet homme sulfureux avait été nommé par le gouverneur Duarte. En 2016, l'élection de l'actuel gouverneur du Veracruz, Miguel Angel Yunes, du Parti action nationale (PAN, opposition), a permis de lever le voile sur cette affaire.
L'entrée en fonction de M. Bermudez en 2012 a coïncidé avec celle du président Enrique Peña Nieto, membre du PRI, qui promettait de rétablir l'ordre dans le pays en ramenant au pouvoir l'ancien parti autoritaire, qui avait gouverné le pays durant soixante et onze ans, jusqu'en 2000.
Dans la foulée, les disparitions forcées auraient été institutionnalisées dans le Veracruz afin d'éradiquer le cartel des Zetas. Ses membres sanguinaires contrôlaient cette région, où plus de 3 500 habitants ont disparu et près de 300 fosses clandestines ont été découvertes avec 23 000 restes humains.
" Ma fille, qui n'a jamais fait pas partie du crime organisé, a aussi été victime de ces barbares ", assure la mère d'une disparue de 32 ans, arrêtée, le 2 août 2013, dans la ville de Potrero Nuevo. Cette quinquagénaire garde l'anonymat par crainte des représailles.
" D'autres responsables sont en cavale ", justifie-t-elle. Comme cette femme au visage marqué par la douleur, des dizaines de mères de disparus ont bravé la peur pour aller manifester à Pacho Viejo pour que d'autres cas soient intégrés au procès.
Pour M. Zavaleta,
" l'ancien gouverneur Duarte, proche du président Peña Nieto, pourrait être impliqué dans ce système de terreur qui pourrait bien ne pas se limiter au Veracruz ". D'autant que d'autres affaires de disparitions forcées ont fait scandale ces dernières années. A l'instar du mystère sur le sort des 43 étudiants d'Ayotzinapa, attaqués et enlevés, le 26 septembre 2014, par des policiers dans l'Etat de Guerrero (sud-ouest), qui les auraient remis à un cartel de la drogue.
A quelques mois de l'élection présidentielle du 1er juillet, l'affaire
pèse sur la campagne de José Antonio Meade, candidat du PRI. Troisième dans les sondages, M. Meade peine à convaincre des électeurs, excédés et terrorisés par des autorités locales corrompues et infiltrées par le crime organisé.
Mi-février, le juge a ordonné la suspension du procès durant quatre mois pour permettre aux enquêteurs de récolter davantage de preuves.
" Cette attente est insupportable pour moi, comme pour les autres mères de disparus, soupire Mme Sanchez.
Nous ne pourrons faire notre deuil que lorsque nous saurons où sont les corps de nos enfants. "
Frédéric Saliba
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