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mercredi 28 février 2018

L'engrenage jusqu'à la barbarie


28 février 2018

L'engrenage jusqu'à la barbarie

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Ces derniers mois, on l'a beaucoup lu, vu et entendu dans la presse, à la radio ou à la télévision. Psychiatre, spécialiste notamment des tueurs en série auxquels il a consacré un livre (L'Enigme des tueurs en série, Plon, 2008), Daniel Zagury est sollicité en tant qu'expert par la justice mais aussi par les médias chaque fois qu'un crime secoue l'opinion soit par son horreur, soit parce qu'il bouscule les idées reçues. Comme celui commis récemment par Jonathann Daval, qui a avoué avoir étranglé sa femme, Alexia, et avoir tenté de dissimuler son geste en faisant croire que la jeune femme avait été tuée lors d'une séance de jogging.
Un fait divers qui a ému et choqué le public bien au-delà du cercle des proches, en raison du double jeu du meurtrier, qui avait participé aux recherches et s'était montré éploré face aux caméras de télévision, mais aussi parce que le tueur avait tout de l'homme banal. Le fameux voisin (ou voisine) sans histoire " évoqué par les médias chaque fois qu'un fait de ce genre s'impose dans l'actualité.
C'est à ce type de criminels que Daniel Zagury consacre son nouveau livre, La Barbarie des hommes ordinaires (" hommes " pris au sens d'êtres humains),sous-titré de manière un brin racoleuse : " Ces criminels qui pourraient être nous "." On ne naît pas barbare, on le devient ", écrit le psychiatre, détournant la formule célèbre de Simone de Beauvoir. Une affirmation qu'il s'emploie à étayer au fil des deux cents pages de son livre, dont chaque chapitre explore un type particulier de crime – homicide conjugal, meurtre de nouveau-nés, crime terroriste, etc. – dont les auteurs ne présentaient pas, au moment des actes, de pathologie psychiatrique.
Comprendre le cheminementPour Daniel Zagury, c'est " une suite d'adaptations et de réactions psychiques qui font que des hommes et femmes qui n'étaient pas plus prédisposés que beaucoup d'autres basculent dans le crime, le massacre, l'extermination ".
Dans le droit fil de la philosophe allemande Hannah Arendt (1906-1975), théoricienne de la " banalité du mal " – controversée en ce qu'elle a défendu l'idée que le criminel de guerre nazi n'était qu'un homme banal, un fonctionnaire ambitieux et zélé –,il combat " les explications simplistes qui cherchent dans la personnalité l'origine du mal ". Alors que ce qui importe, c'est de comprendre le cheminement qui a conduit un individu a priori ordinaire, ni malade ni pervers, à la barbarie.
Quels sont les mécanismes psychiques à l'œuvre pour que leur pensée se vide (la "désubjectivation de l'individu ") et que plus rien ne les retienne ? Quelles barrières émotionnelles et morales s'effondrent pour que soit produit l'impensable ? Et pourquoi certains résistent-ils mieux que d'autres à cet abominable engrenage ? Le livre répond à ces questions parfois dérangeantes en évitant autant que possible le jargon médical, ce qui le rend accessible à tous.
Sylvie Kerviel
© Le Monde

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