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mercredi 28 février 2018

La Méditerranée, autre sujet de dispute entre Macron et les élus corses


28 février 2018

La Méditerranée, autre sujet de dispute entre Macron et les élus corses

Les dirigeants autonomistes multiplient les partenariats et veulent arracher une clause d'insularité dans les politiques européennes après 2020

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Alors que se poursuivent les discussions entre le gouvernement et les élus corses sur l'inscription de l'île dans la Constitution, il est un aspect qui n'a pas, ou que peu, été -relevé dans le discours prononcé par Emmanuel Macron, le 7  février, à Bastia. " Je souhaite faire de la Corse la pointe avancée de la politique méditerranéenne de la France ", a déclaré le président de la République. " La France doit retrouver le sens d'une vraie politique méditerranéenne, a-t-il souligné. C'est notre intérêt culturel, géopo-litique et stratégique. Et la Corse doit jouer un rôle dans celle-ci. " Déjà, lors de la Conférence des -ambassadeurs du 29  août 2017, le président de la République avait affirmé vouloir " créer un axe -intégré entre l'Afrique, la Méditerranée et l'Europe ".
" Notre défi aujourd'hui est de ne plus subir une Méditerranée balafrée par une séparation entre l'Europe et l'Afrique, une Méditerranée que nous n'assumons plus, a poursuivi le chef de l'Etat. C'est de repenser une vraie politique méditerranéenne, avec des partenariats sur l'ensemble de ses rives. Et dans ce contexte, je souhaite que la Corse puisse tirer toutes les opportunités et que la jeunesse corse puisse saisir toutes les opportu-nités qui iront avec. " M.  Macron s'est ainsi engagé à ce que l'Etat -investisse pour " que la Corse soit un atout au cœur de cette politique méditerranéenne ". Et il a annoncé que le prochain Med7 qui doit -réunir dans quelques mois les sept formations partenaires de l'Union européenne (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Chypre et Malte) aurait lieu en Corse.
" Part d'italianité "" On se refuse toujours à ce que l'île de Corse se dote d'un projet méditerranéen qui tienne compte de sa part d'italianité ", notait l'ancien directeur du Monde Jean-Marie Colombani dans sa préface à un ouvrage de Jean-Louis Andreani publié en  2004 (Comprendre la Corse, Gallimard). L'ouverture de la Corse vers la Méditerranée est devenue ces dernières années, et notablement depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, un véritable objet de débat et un enjeu politique, que se sont approprié les nationalistes, fiers de leur héritage méditerranéen.
Gilles Simeoni est lui-même profondément imprégné de cette perspective. Depuis son élection à la tête de l'exécutif corse, en  2015, il s'est attaché à développer des partenariats. C'est même pour lui un enjeu d'institutionnalisation de l'île. Pour autant, il ne partage pas la vision du président de la République. " La vision géostratégique d'une Corse “pointe avancée” de la politique de la France que développe M.  Macron n'est pas la nôtre, indique-t-il. Même si nous nous -retrouvons dans l'idée, que nous portons depuis longtemps, que la Corse, de par son ancrage, sa -culture, ses intérêts économiques, doit s'inscrire dans une perspective méditerranéenne. "
En  1995 sont ainsi conclus les premiers accords constitutifs d'Imedoc (groupement des îles de la Méditerranée occidentale, qui rassemble la région autonome des Baléares, celle de Sardaigne et la collectivité territoriale de Corse). Jean Baggioni, le président (divers droite) du conseil exécutif de Corse, en assume alors la présidence. Il s'agissait d'établir un cadre de coopération entre les trois îles et, surtout, de peser ensemble dans les négociations avec l'Union européenne pour faire reconnaître la spécificité insulaire.
Dans la foulée, la Conférence euroméditerranéenne des 27 et 28  novembre 1995 de Barcelone accouche d'une déclaration insistant sur la nécessité du " partenariat " et " une coopération globale et solidaire ". Un espoir resté sans lendemain. Elle a toutefois permis de créer un élan dans lequel se sont engouffrées des politiques de recherches interdisciplinaires sur l'identité méditerranéenne.
" Handicaps naturels "Dès leur accession, en  2015, à la tête de la collectivité territoriale de Corse, avant que celle-ci ne devienne collectivité unique, les dirigeants autonomistes reprennent contact avec le président sarde, Francesco Pigliaru (Parti démocrate), pour conclure un accord bilatéral, ensuite élargi en trilatéral avec les Baléares. Dans ce document sont notamment évoquées les questions de fiscalité, de tourisme durable ainsi que celle des ressources hydrauliques. En janvier, M.  Simeoni a été élu président de la Commission des îles de la Conférence des régions -péri-phériques maritimes de l'Union européenne. L'objectif est clai-rement d'arracher l'intégration d'une clause d'insularité dans les  politiques européennes après 2020. Comme l'explique Marie-Antoinette Maupertuis, la -conseillère exécutive de Corse chargée des affaires européennes, " nous réclamons que les îles fassent l'objet d'une attention particulière dans la politique de cohésion afin de compenser les effets économiques des handicaps naturels ".
Plus récemment, la Corse a engagé un partenariat avec la -Toscane et avec la Catalogne, à la fois pour jeter les bases de partenariats économiques et d'un système de liaisons quotidiennes, qualifié de " métro aérien ", entre Bastia et Ajaccio et les principales villes du pourtour méditerranéen. " Ça commence à devenir -significatif ", se félicite le président du conseil exécutif, soulignant qu'en  2016, trente-neuf projets à dimension européenne ont été mis en route.
" Mais la Méditerranée, c'est aussi la rive sud ", ajoute celui qui a consacré sa thèse de sciences politiques, sous la direction de Bruno Etienne, à la politique méditerranéenne de l'Union européenne. " La Corse peut être un pont en direction de la rive sud, plaide-t-il. Cela fait partie de l'ADN de l'université de Corse de s'ouvrir vers la Méditerranée. " Pour M. Simeoni, la Corse a aussi vocation à être " à la pointe du combat écologique pour préserver un espace menacé et fragile ". Il n'hésite pas, dans ce domaine, à saluer les engagements successifs de Ségolène Royal et, aujourd'hui, de Nicolas Hulot, " des ministres qui connaissent la Corse, qui l'aiment et qui, dans tous leurs choix, ont toujours tout fait pour la défendre ".
" Nous avons des intérêts communs avec l'Etat, insiste-t-il. Mais ce qui nous a surpris, voire choqués, dans le propos du président de la République, c'est de l'entendre développer un grand projet européen et méditerranéen pour la Corse dont la gestion serait confiée au préfet. Si telle est sa conception, il s'agit là d'une régression sans précédent. Nous avons vocation à être les concepteurs, les artisans et les opérateurs de notre politique méditerranéenne. En concertation avec l'Etat, bien sûr, avec modestie car nous sommes conscients de ce que nous ne pouvons pas faire, mais c'est aussi un des moteurs de notre autonomie. "
Décidément, même dans un domaine qui, en apparence, pourrait rapprocher les points de vue -entre l'exécutif et les dirigeants autonomistes, il demeure de -fortes divergences. Mais aussi, peut-être, de larges plages de discussions à venir.
Patrick Roger
© Le Monde

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