Samedi 24 février, à une semaine des législatives, c'était le temps des grands discours et des rassemblements solennels. Chacun avait décidé de jouer à domicile. Le Parti démocrate (PD) était rassemblé dans les rues de Rome, à l'appel de la puissante Association nationale des partisans, pour protester contre les violences néofascistes. Les leadeurs de la droite, eux, avaient choisi Milan pour le meeting commun censé couronner leur campagne législative. Las, ils ne sont pas parvenus à se mettre d'accord : le chef de file de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, a harangué seul les foules depuis le parvis de la cathédrale, tandis que Silvio Berlusconi s'est exprimé le lendemain, depuis le théâtre Manzoni. Quant à Luigi Di Maio, figure de proue du Mouvement 5 étoiles (M5S), c'est depuis Bari (Pouilles) qu'il a cherché à mobiliser les électeurs du Sud.
Le retard du centre gaucheLe déroulement de ce dernier week-end avant les législatives du 4 mars apparaît comme un parfait résumé des deux mois de joutes électorales qui viennent de s'écouler, au cours desquels les trois coalitions en lice ont semblé mener trois campagnes parallèles, chacune cherchant plus à mobiliser " sa " clientèle qu'à convaincre les partisans de l'autre bord. Pas de débat contradictoire à la télévision, aucun affrontement direct entre les chefs de file des différentes formations… Gauche, droite et M5S semblent s'éviter soigneusement.
L'actuel secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Sandro Gozi, ne disait pas autre chose lorsqu'il confiait, il y a quelques jours, pour expliquer le retard du PD, crédité de 23 % des voix (27 % avec ses alliés) :
" La droite a fait le plein de ses électeurs, et nous pas encore. Nous devons parler à notre électorat, les mobiliser. "
Cap, donc, sur les terres traditionnelles de la gauche, entre Toscane, Ombrie et Emilie-Romagne, là où le Parti communiste italien faisait, du temps de sa splendeur, des scores soviétiques. Ces dernières semaines, on a vu le secrétaire général du PD, Matteo Renzi, se faire relativement discret au niveau national, pour mieux arpenter les terres de sa Toscane natale. A Sienne, le parti a présenté le ministre des finances Pier Carlo Padoan, artisan du complexe sauvetage de la plus vieille banque du monde, Monte dei Paschi di Siena, fin 2016. En revanche, le ministre ne s'est pas déplacé au côté de Matteo Renzi pour les rencontres organisées à Arezzo, siège de Banca Etruria, dont la liquidation, en 2015, avait beaucoup fait pour éroder le capital politique du PD.
Bien sûr, l'ancien premier ministre attaque ses adversaires, mais il réserve ses coups les plus rudes à son concurrent à gauche, le mouvement Libres et égaux (LEU), accusé de faire le jeu de la droite en ôtant au PD tout espoir de rivaliser dans la course aux sièges désignés au scrutin majoritaire. Les membres de LEU ne manquent pas, d'ailleurs, de lui rendre la politesse, et semblent faire plus campagne contre le PD – et contre Matteo Renzi – que contre la droite ou le M5S.
Le mouvement protestataire, crédité de 28 % à 30 % d'intentions de vote, n'a pas ces problèmes. Il a l'avantage, sur la droite et le centre gauche, de la cohésion. Son programme, centré sur la fin de l'austérité et la mise en place d'un " revenu de citoyenneté ", est connu, de même que la personne du dirigeant appelé, en cas de victoire, à prendre les commandes : le très jeune Luigi Di Maio, 31 ans, qui incarne désormais une formation dont Beppe Grillo s'est mis en retrait. Le secret des succès de ce mouvement atypique, créé il y a moins de dix ans, est de s'adresser, via les réseaux sociaux, dont il a été le premier à savoir utiliser les potentialités, à des électeurs délaissés par les partis traditionnels, qui, s'ils ne votaient pas pour le M5S, se réfugieraient sans doute dans l'abstention.
C'est vers eux, et vers les régions les plus délaissées du pays (le Sud et les îles), historiquement acquises à une démocratie chrétienne fortement teintée de clientélisme, que le mouvement dirige le plus gros de ses efforts. C'est là qu'il a, d'ailleurs, le plus de chances de s'imposer. Dans un grand meeting tenu le 19 février à Cagliari (Sardaigne), le candidat du M5S avait commencé son discours par ces mots :
" Chaque jour, nous sommes attaqués par des partis qui ont volé l'avenir de ma génération, de la précédente et de la prochaine. Vous devez décider maintenant si vous voulez mettre le pays dans les mains de ceux qui l'ont détruit, ou le confier à vous-mêmes ".
Alliance très instableCette attaque est dirigée contre l'ensemble des partis traditionnels, mais surtout contre un homme, Silvio Berlusconi, âgé de cinquante ans de plus que lui, qui a remis sur pied la coalition (Forza Italia-Ligue du Nord-postfascistes) qui a valu à la droite tous ses succès des vingt dernières années, et semble en mesure de l'emporter une nouvelle fois, avec 35 % à 38 % d'intentions de vote.
Le problème pour lui est que la montée en puissance de la Ligue, anti-immigrés et anti-UE, rend cette alliance très instable, en même temps qu'elle en déplace très à droite le centre de gravité. Son dirigeant, Matteo Salvini, qui fait campagne depuis des mois dans tout le pays, est la force montante de l'attelage. Au Nord, son parti est même devenu la force dominante de la droite, et même si la Ligue progresse partout, de la Toscane à la Sicile, c'est en Lombardie et en Vénétie qu'elle conserve le gros de ses électeurs.
Confronté à la menace interne de Matteo Salvini, qui conteste chaque jour un peu plus son leadership, Silvio Berlusconi, physiquement très affaibli, aura limité au strict minimum les apparitions publiques. Il aura en revanche consacré toutes ses forces à se rendre omniprésent sur les écrans, convaincu que la télévision reste, dans un pays désuni, éclaté et vieillissant, le seul moyen de parler, en même temps, à tous les Italiens.
Jérôme Gautheret
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