29
Sept
2015
Cecil le lion : comprendre le fonctionnement d’un buzz
Source : Ugo Bardi, traduit par Nicolas Casaux, pour Le Partage, le 23 août 2015.
Par Ugo Bardi, originellement publié sur le site Cassandra’s Legacy | 6 Aout 2015
Un « mème » est une unité d’information dans l’espace de la communication. Les mèmes ont tendance à être viraux et à se diffuser rapidement ; certains se diffusent si vite qu’on peut les qualifier de « supermèmes ». Ci-dessus, vous pouvez voir les résultats de tendances de recherches Google, où le meme « Cecil le lion » connait une croissance incroyablement rapide, dépassant le nombre de recherches d’un terme politique très connu, comme « Hillary ». Et cette croissance ne cesse de se poursuivre ! C’est un véritable « supermème ».
La communication, de nos jours, se base principalement sur la capacité à rendre viraux certains concepts. C’est-à-dire qu’ils se diffusent alors d’eux-mêmes sur le Web, générant des « mèmes », des entités capables de s’auto-reproduire dans l’espace de la communication. Donc, pendant des années, scientifiques et décideurs politiques ont essayé de créer des mèmes pour parler aux gens des dangers du réchauffement climatique. Globalement, cela s’est soldé par un échec cuisant, malgré des efforts héroïques. L’idée selon laquelle le changement climatique est réel, d’origine humaine, et dangereux, ne semble tout simplement pas s’attarder dans l’esprit des gens. En d’autres termes, cela ne génère pas de mèmes.
Donc, comment un concept devient-il viral? Nous pouvons apprendre quelque chose là-dessus en étudiant un mème récent, celui qui correspond au meurtre du lion Cecil. En utilisant les indicateurs de tendances Google pour mesurer le nombre relatif de recherches internet, on s’aperçoit que ce mème croît si rapidement qu’il peut être qualifié de « supermème », comparable en intensité à des recherches du domaine de la politique ou des grands événements sportifs, qui dominent généralement l’espace des recherches internet.
« Cecil le lion » a autant de succès parce qu’il présente les trois caractéristiques élémentaires à tout supermème, qui sont : 1) être simple, 2) qu’il y ait un méchant, 3) être rassurant. Vérifions :
- C’est une histoire simple (un homme tue un lion)
- Il y a un méchant (le chasseur diabolique)
- C’est rassurant (ce n’est pas nous qui détruisons la faune sauvage, ce sont les méchants chasseurs)
Il s’agit là de caractéristiques très classiques de tout mème efficace, en particulier dans le domaine de la politique. Pensez à Saddam Hussein, qui en est un autre exemple : 1) histoire simple (il construit des armes de destruction massive), 2) Il y a un méchant (il déteste notre liberté) et 3) C’est rassurant (nous le bombardons et tout ira bien). Il est peut-être possible de créer des supermèmes avec des caractéristiques différentes, mais cela s’avérera certainement très difficile.
A partir de ces considérations, nous pouvons probablement comprendre pourquoi il est si difficile de créer des mèmes efficaces et véhiculant le message adéquat au sujet du changement climatique: la science climatique n’est pas simple, le méchant c’est nous, et l’histoire est dérangeante, plutôt que rassurante. Au contraire, créer des mèmes climatiques diaboliques est très simple ! Les concepts selon lesquels le changement climatique n’existe pas, que ce n’est pas notre faute, qu’il n’est pas dangereux, semblent être des sources de mèmes intarissables. Par exemple, l’histoire du « climategate« est devenue un mème à succès parce qu’elle présentait ces trois caractéristiques :
- C’est une histoire simple (les scientifiques conspirent contre le public).
- Il y a un méchant (les vilains scientifiques)
- C’est rassurant (le changement climatique est un canular, ce n’est donc pas notre faute).
Nous pouvons comparer les résultats du « climategate » avec ceux du meilleur mème en rapport avec le changement climatique que j’ai pu trouver; l’encyclique du Pape sur le climat. Malheureusement, le texte du Pape ne présente pas les trois caractéristiques « magiques », et vous remarquerez la petitesse de son impact, comparé à celui du climategate.
C’est donc à un obstacle de taille que l’on se heurte lorsqu’on essaie de créer des bons mèmes sur le changement climatique. Rien d’impossible, certainement : nous pourrions considérer l’histoire de Cecil le Lion comme un exemple de mème positif sur la nécessité de conservation des écosystèmes. Au moins, cela montre que beaucoup de gens se soucient de ce problème. Mais il est aussi exact que ce mème a rapidement dégénéré en chasse aux sorcières. Le tueur du lion ne méritait rien de moins, et les trois caractéristiques impliquent toujours quelque chose de « méchant », une chasse contre un vilain, ce que nous préférons éviter avec le problème climatique.
Il semblerait que nous soyons condamnés, n’est-ce pas? Peut-être, mais il y a tout de même de l’espoir. Tout d’abord, les Google Trends (Tendances Google) nous fournissent des données sur l’impact d’un mème, mais pas l’histoire complète. Cela nous dit combien de personnes cherchent activement un concept, mais pas combien d’entre elles ont été exposées à ce concept.
Donc, si vous utilisez Google Trend pour obtenir des données au sujet du concept du « consensus de 97%« sur le climat, vous remarquerez que le nombre de recherches est trop faible pour générer une courbe. De la même façon, le « consensus climatique » ne génère pas de comportement « mémétique » significatif. Apparemment, les gens ne recherchent pas activement l’estimation du nombre de scientifiques qui sont convaincus que le changement climatique d’origine anthropique est réel. Cependant, si vous recherchez sur Google « consensus de 97% » sur le climat, vous obtiendrez plus de 350 000 résultats. Cela n’est pas si mal en comparaison avec « climategate », qui produit 570 000 résultats. Si, ensuite, vous recherchez « Pape changement climatique », vous obtiendrez 25 millions de pages et « climategate » devient alors insignifiant.
A partir de là, je pense que nous pouvons dire que de bons mèmes climatiques ont un impact significatif sur le débat. Le « consensus de 97% » est l’un d’entre eux. Il ne se diffuse pas aussi vite que les mauvais mèmes climatiques, mais si l’on prend en considération la virulence avec laquelle il a été attaqué et nié, il est certainement efficace. L’impact de l’encyclique du Pape est encore bien meilleur ; lui aussi a été fortement attaqué par ceux qui nient les changements climatiques.
Je pense donc que nous pouvons apprendre deux ou trois choses de cette analyse. L’une d’elles, est qu’il existe une désinformation importante sur le changement climatique, sous forme de mèmes, et que cela va continuer tant qu’il y aura de l’argent à gagner avec les combustibles fossiles. Nous devons apprendre à reconnaître ces mauvais mèmes afin de les combattre. Nous devons nous rappeler qu’une des raisons pour lesquelles ils sont si efficaces, c’est que la plupart des gens ne comprennent pas qu’ils sont manipulés (comme l’a dit Baudelaire, « La plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ! »). Mais si les mécanismes internes des mèmes de la désinformation climatique sont dénoncés, ils deviennent alors bien moins efficaces.
Nous pouvons aussi apprendre qu’il est possible pour nous de lutter efficacement dans cette guerre de communication asymétrique, même sans supermèmes, et sans astuces tordues. Manifestement, la promotion de l’action contre le changement climatique ne peut se faire à l’aide des méthodes utilisées pour vendre une marque X de céréales. Nous devons en apprendre davantage sur la façon de transmettre ce message aux leaders d’opinion, et aux décideurs politiques. Nous apprenons cela, par exemple, en diffusant le concept de consensus, et en nous basant sur la tendance naturelle des gens à se soucier les uns des autres (c’est l’essence même de l’encyclique du Pape).
En définitive, c’est une guerre que l’on peut gagner, et que l’on va gagner (avec ou sans mèmes) au fur et à mesure de l’augmentation de signes évidents du changement climatique, impossibles à ignorer. Se battre aux côtés de la vérité est confortable !
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