La France dans une guerre qui commence à dire son nom
Par Isabel MALSANG, avec le service politique de l'AFP
Le mot a fini par être prononcé. Depuis le bombardement français vendredi en Irak et l'exécution de l'otage Hervé Gourdel en Algérie, la France est "en guerre", même si la réalité du conflit reste floue pour l'opinion.
François Hollande a lâché le terme mardi, lors de l'assemblée générale des Nations unies à New York: Il venait de signifier le rejet de l'ultimatum posé par l'organisation jihadiste Etat islamique (EI ou Daech en arabe) donnant 24 heures à la France pour arrêter ses frappes sur l'Irak. Faute de quoi un otage français, enlevé dimanche loin de l'Irak, en Algérie, serait exécuté.
"Nous ne cèderons à aucun chantage, à aucune pression, à aucun ultimatum fut-il le plus odieux, le plus abject. (...) Et notre meilleure réponse à cette menace, à cette agression, c'est l'unité nationale dans cette guerre, car c'en est une, contre le terrorisme", a insisté le président, à l'endroit même où Dominique de Villepin avait refusé en 2003 que la France s'engage aux côtés des troupes américaines.
- 'Services de sécurité sur les dents' -
Alors que l'opinion publique accuse le coup de l'émotion suscitée par l'égorgement filmé de l'otage français, les services de sécurité français (police, renseignement et armée) sont en état d'alerte maximale. Après le débat à l'Assemblée nationale mercredi, le Président de la République a réuni jeudi un Conseil de défense.
A droite, certains responsables ont des états d'âme. L'ex-ministre UMP Valérie Pécresse estime ainsi qu'il ne "faut pas galvauder" le mot "guerre", car il est "trop terrifiant". "Je ne dirais pas que la France est en guerre (...) une guerre cela veut dire qu'on a identifié un Etat contre lequel on est en guerre. Là ce n'est pas un Etat, c'est une nébuleuse terroriste mondiale, qui terrorise des Etats qui, eux, doivent s'organiser pour lutter contre".
Argument réfuté par les analystes et nombre de politiques. "L'adversaire ne se pose pas la question, l'EI considère qu'il est en guerre contre l'Occident en général et la France en particulier. Dès lors qu'un pays conduit une opération militaire offensive sur un territoire étranger, si ce n'est pas une opération de guerre, cela y ressemble furieusement", rétorque Bruno Tertrais, politologue à la Fondation pour la recherche stratégique.
Et l'ex-Premier ministre UMP François Fillon n'a aucun d'état d'âme à se ranger aux côtés du pouvoir socialiste.
"Là où nous avions affaire à des mouvements terroristes clandestins, dissimulés, nous avons affaire à un mouvement qui est en train de s'ériger en Etat (...). C'est maintenant une guerre, j'allais dire presque classique - elle n'est pas classique parce que nous sommes face à des terroristes - mais c'est une guerre frontale, une vraie guerre et donc il faut mobiliser l'ensemble de nos forces pour la combattre" a-t-il dit jeudi sur RTL.
Avec, en ligne de mire, un attentat redouté sur le sol français.
- un climat de morosité sociale -
Pour l'instant, en l'absence de troupes au sol, cette "guerre" qui est au centre des précoccupations au sommet de l'Etat reste cependant lointaine pour les Français qui sont davantage sensibles au climat de morosité sociale, malgré une légère embellie du chômage en août annoncée mercredi soir.
Un peu seul dans le concert guerrier véhiculé par médias et éditorialistes, le fondateur du site Mediapart, le journaliste Edwy Plenel, a mis en garde jeudi contre le "bourrage de crâne" et "l'engrenage" infernal constitué par la terreur, la barbarie des uns et l'union nationale des autres.
Citant le philosophe bulgare Tzetan Todorov, il réfute tout "choc de civilisation" et craint une "réaction disproportionnée, abusive". "La peur des barbares est ce qui risque de nous rendre barbare et le mal que nous ferons dépassera celui que nous redoutions au départ", dit-il.
Sur le terrain, les Etats-Unis ont commencé à frapper les bastions de l'EI en Irak dès le 8 août. Depuis, en plus des dernières frappes sur des installations pétrolières, ils ont mené 198 frappes sur l'Irak. Et 20 en Syrie depuis lundi.
La France, elle, a tiré seulement deux fois avec ses avions de combat. D'abord vendredi, sur des stocks de munitions près de Mossoul en Irak. Puis jeudi matin de nouveau, a indiqué le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, durant le Conseil de défense à Paris.
- 'En Irak, une opération longue' -
Le gouvernement exclue - pour l'instant au moins - tout bombardement sur la Syrie et toute opération au sol. Et l'opération reste modeste : six avions Rafale stationnés sur la base aérienne française d'Al Dhafra aux Emirats arabes unis, un avion Atlantique 2 de patrouille maritime, et quelque 750 militaires.
Mais pour le pouvoir, cette "guerre" soulève plusieurs graves questions: la gestion du "défi" du terrorisme sur le sol français, le budget et la maîtrise de la communication, rebaptisée par certains "guerre de propagande" ou "censure".
"Le grand défi aujourd'hui pour la France et les autres pays occidentaux est que leurs nationaux, partis combattre en Irak et en Syrie, une fois rentrés dans leur pays d'origine, sont autant de dangers terroristes potentiels", résume Didier Billon, directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Il vise le millier de personnes, souvent jeunes, recrutées en France pour s'engager dans les troupes jihadistes, devenues pépinières de terrorisme à leur retour en France comme l'avait été en son temps la Bosnie.
Relever ce défi suppose une parfaite coordination. Aux antipodes du couac humiliant pour la police française, qui n'a pas été prévenue à temps par la police turque mercredi à Marseille de l'arrivée imminente de trois jihadistes renvoyés d'Istanbul et s'est embrouillée ensuite dans sa gestion du dossier.
Côté financement, comme l'an dernier avec le Mali, le budget des opérations extérieures va dépasser de loin l'enveloppe allouée dans un contexte budgétaire tendu.
Selon Bruno Tertrais, le coût des Opérations extérieures pour 2014, budgété initialement à 450 millions d'euros (en décembre), devrait désormais excéder le milliard, d'autant que la France conserve quelque 3.000 hommes dans la bande sahélienne de l'Afrique (Mali notamment) et 2.000 en République centrafricaine.
Côté communication enfin, un projet de loi, adopté le 18 septembre par l'Assemblée nationale, est devant le Sénat. Pour le Premier ministre, il s'agit de "lutter contre la diffusion de la propagande et de prendre en compte les modes opératoires des terroristes, notamment ceux agissant seuls", qualifiés de "loups solitaires" par les services de renseignement. Il s'agit aussi, selon lui, de "lutter contre le phénomène d'endoctrinement et de radicalisation".
Mais ce projet est jugé liberticide par certains : selon la députée écologiste Isabelle Attard, "c'est une arme atomique dans les mains d'un gouvernement autoritaire".
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