Législatives : Comment Macron a fait d’un échec personnel un potentiel désastre dans le pays
Des européennes au sprint des législatives anticipées, le président de la République a enchaîné les décisions et stratégies dangereuses.
POLITIQUE - Faire tapis avec une paire de deux. Le président Emmanuel Macron, qui se promenait dimanche après-midi au Touquet en blouson de cuir, lunettes aviateurs et sourire, n’a pu que constater, quelques heures plus tard, la défaite cuisante de son camp au premier tour des élections législatives. Le coup de poker de la dissolution n’a pas fonctionné.
Pris en étau par le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national, le camp présidentiel est réduit à devoir faire barrage à l’extrême droite, sans possibilité de l’emporter le 7 juillet prochain. Le nombre de députés Renaissance, Horizons et MoDem pourrait être divisé de moitié tandis que le parti lepéniste peut viser la majorité absolue.
Un tableau bien sombre, également dessiné à la Une de la presse internationale, inquiète de la tournure des événements dans l’Hexagone, qui doit tout, ou presque, à Emmanuel Macron.
L’échec des européennes
Retour au 9 juin dernier. La campagne des élections européennes se termine dans un climat délicat pour la Macronie. Les « vents mauvais » nationalistes soufflent sur le continent, selon l’expression du chef de l’État, et la candidate qu’il a désignée sur le tard, Valérie Hayer, peine à rassembler son électorat pour contrer le Rassemblement national.
Dans les urnes, le résultat est sans appel : la liste conduite par Jordan Bardella emporte tout sur son passage et récolte 31 % des suffrages. Loin derrière, le camp présidentiel s’écrase à 14,5 %, juste devant Raphaël Glucksmann. Pour le président, c’est un camouflet personnel à la hauteur de son engagement pendant la campagne.
« Il croyait avoir renversé la vapeur. C’est dire le niveau de déni. »
Convaincu de détenir la clef pour inverser la tendance, le locataire de l’Élysée a déployé de nombreux efforts pour éviter l’échec annoncé. Il a par exemple défendu sa vision européenne dans un discours de plus de deux heures à La Sorbonne, avant de s’offrir un meeting de campagne à Dresde, en Allemagne. Sans parler de ses nombreuses interventions dans la presse. « Jusqu’au bout Macron pensait qu’on allait faire entre 20 et 22 % aux Européennes, et avec une candidate envoyée au carton », confirme l’entourage de Gabriel Attal quelques semaines plus tard, « il croyait avoir renversé la vapeur en s’étant impliqué. C’est dire le niveau de déni ». Cruel.
Plutôt que mobiliser ses troupes, le président de la République est semble-t-il tombé dans un triple piège. Il a éclipsé sa candidate, répondu à la stratégie du Rassemblement national souhaitant faire de ce scrutin un référendum sur sa personne et, in fine, nourri un vote de rejet après sept ans au pouvoir. « J’en ai pris une derrière la tête », confirme-t-il, quelques semaines plus tard, dans un podcast mis en ligne avant les législatives.
De ce coup de bambou, Emmanuel Macron fait un coup de boutoir. Une heure après la publication des premières estimations dimanche 9 juin, il prend la parole dans une allocution solennelle et annonce dissoudre l’Assemblée nationale. Éventualité qu’il avait écartée avec force durant la campagne. Chez ses militants, comme en coulisse, la stupeur dispute la colère face à cette décision aussi brutale qu’inattendue.
La dissolution incomprise
Sur les réseaux sociaux, la photographe du chef de l’État publie une série de clichés montrant les responsables du camp présidentiel la mine déconfite, en apprenant la nouvelle de la bouche du locataire de l’Élysée. Parmi eux, Gabriel Attal. Le Premier ministre, comme la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, n’a été mis au courant de la dissolution que tardivement.
Dans la presse, les différents témoignages brossent le récit d’une décision solitaire, encouragée notamment par une poignée de conseillers adeptes de coups politiques… Que Bruno Le Maire qualifiera de « cloportes » qui se « cachent dans les rainures des parquets. » De son côté, le président, se réjouit d’avoir lancé « une grenade dégoupillée dans les jambes » de ses adversaires, selon une petite phrase que Le Monde lui attribue.
Une explication après la dissolution ? « À part une réponse d’ordre psychologique, qui n’est pas satisfaisante sur le plan politique, je ne vois pas », nous glisse l’entourage de Gabriel Attal, encore dans le doute quelques semaines plus tard. Le tout, laisse en tout cas l’impression d’une légèreté coupable autour d’une décision pourtant dangereuse.
En réalité, même Marine Le Pen s’étonne encore de ce calendrier. « Quand on a une dynamique qui porte son adversaire, vous n’encouragez pas cette dynamique », fait-elle remarquer dans les colonnes du Monde, en se félicitant de « bénéficier de l’effet des européennes comme un président tout juste élu en bénéficie dans les législatives qui suivent. »
Campagne contre la gauche
Dans ce contexte, la plus courte campagne de la Ve République se déroule dans un climat de tension et d’incompréhension. La macronie étale ses doutes et essaie tant bien que mal de se distancier du président. Édouard Philippe l’accuse d’avoir « tué » la majorité, Gabriel Attal promet une nouvelle méthode, et les candidats macronistes effacent le chef de leurs affiches après lui avoir demandé, cette fois-ci, de garder le silence. Comme une ambiance de fin de règne.
Pris au piège entre le RN (rejoint par Éric Ciotti et quelques troupes LR) et une alliance à gauche qu’il pensait impossible, Emmanuel Macron dessine alors une ligne périlleuse : renvoyer dos à dos le Nouveau Front populaire et le parti lepéniste avec la même terminologie « extrême. »
Selon plusieurs récits, les stratèges de l’Élysée s’accordent même sur une consigne « ni-LFI », « ni-RN » au second tour des législatives, quitte à brouiller encore davantage les repères des électeurs déjà incrédules face à ce grand chambardement. Cet argumentaire développé pendant plusieurs jours, notamment dans les médias, risque de laisser des traces, à l’heure où le camp présidentiel infléchit sa ligne et semble prêt au barrage contre l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon.
Comment, en effet, demander à ses électeurs de voter pour un camp, la gauche, après l’avoir brocardé toute la campagne ? Comment inciter à glisser un bulletin dans l’urne que l’on qualifiait de dangereux il y a peu ? Le président a beau eu croire en sa paire de deux, ses électeurs eux se sont peut-être déjà couchés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire