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lundi 1 juillet 2024

Blogs médiapart. fr : Lettre à ma famille d’immigré·e·s (et aux gens qui ont peur de la gauche) le 28.06.2024

 

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BILLET DE BLOG 28 JUIN 2024

Lettre à ma famille d’immigré·e·s (et aux gens qui ont peur de la gauche)

D'habitude je suis prudente, j'ai peur de blesser ou de brusquer. Mais l'urgence est trop grande. Si cette lettre, adressée avec amour et colère, peut faire bouger une seule personne et changer un bulletin dans l'urne, ça vaut la peine.


Lettre à ma famille d’immigré·e·s (et aux gens qui ont peur de la gauche)

Je suis née dans la communauté russe chrétienne orthodoxe en 1979. Petite-fille de quatre grands-parents qui ont immigré au moment de la révolution russe, dont les familles ont trouvé refuge en France après le traumatisme de l’exil et de l’assassinat de plusieurs membres de leurs familles. Ils et elles se sont reconstruits en France, à l’abri. Ils et elles ont pu cultiver leurs racines, leur religion, leurs coutumes sans être mis au ban de la société, sans presque subir de discrimination dans leur accès aux droits fondamentaux, à la dignité, au logement, aux études, au travail, à la propriété etc… Je n’ai moi-même jamais été renvoyée au fait d’être une sous-française ou une citoyenne à demi, au fait de n’être pas d’ici, de ne pas appartenir assez ou d’être de trop.

Issus de milieux plus que privilégiés en Russie, ayant perdu soudainement et violemment tous leurs privilèges, plusieurs de mes grands-parents et la plupart de mes oncles et tantes ont, le temps d’une génération, construit des situations confortables, pour être pour la plupart aujourd’hui installés dans les classes moyennes ou privilégiées de ce pays.

J’ai grandi dans ce milieu à la culture très vivace, à la vie communautaire très forte, au point qu’enfant j’appelais mes amis de l’école « les français ». Nous étions donc « les russes ». Nous parlions cette langue grand-parentale avec plus ou moins d’aisance ou de maladresse, selon qu’elle était entretenue ou non à l’intérieur de nos familles. Nous pratiquions plus ou moins assidument notre religion, chez moi c’était extrêmement présent, tous les samedis soir, tous les dimanches matin, et de manière accrue au moment des grandes fêtes liturgiques. C’était de manière générale le prisme à travers lequel était pensé toute notre vie. J’adorais rater l’école pour participer à ces rituels qui transportait mon cœur d’enfant. L’été, j’allais dans un camp de vacances en pleine nature avec des enfants et adolescents de ma communauté, dans lequel ces mêmes choses étaient partagées, librement. On n’était pas aidés par les pouvoirs publics, pas empêchés non plus. On a bien fait ce qu’on a voulu, en bref.

J’ai été éduquée dans des valeurs chrétiennes qui se pensaient humanistes et généreuses et que j’ai aimé. J’ai perçu une fois adolescente puis jeune adulte ses angles morts, comme le sexisme intériorisé de mes modèles, un essentialisme à tous les coins de rue et une homophobie profondément ancrée. J’ai été baignée dans l’hétéronormativité inhérente à sa morale et dans le dégoût des « rouges » qui, de tous ceux contre lesquels on nous mettait en garde, étaient sans doute « les pires ».

Je n’ai pas été éduquée dans la peur de l’autre, puisque « l’autre » c’était déjà nous. Mais subtilement dans l’idée que rester entre nous, c’était quand même mieux. Quand des « français » ont commencé à entrer dans notre milieu, au gré des amours et des amitiés qui nous ouvraient les un·e·s les autres au monde qui nous entourait, on était accueillants pour la plupart, franchement sympas même, si on laisse de côté quelques récalcitrants terrifiés de voir se diluer nos traditions. J’ai malgré tout entendu régulièrement des remarques méprisantes qui ridiculisaient les Français, qui épinglaient la vulgarité des catholiques, le ridicule des beaufs grossiers et perçu une condescendance moqueuse vis-à-vis de « la haute » française, tellement moins spirituelle que notre aristocratie déchue. J’ai aussi entendu plus d’une fois des remarques et des clichés racistes sur les non-blancs. Adolescente, alors que mon amoureux durant plusieurs années était juif séfarade, j’ai des remarques antisémites à son sujet, et à propos de ma prétendue « mésalliance » avec lui.

Et me voilà, aujourd’hui, issue de tout cela. Je suis française. Mes enfants sont français. Je ne leur ai jamais parlé cette langue qu’ils et elles me reprochent de ne pas connaitre. Je ne leur ai pas transmis cette religion qui m’étouffait, mais une ouverture sans limites aux spiritualités dans lesquelles chacun·e est invité·e à faire ses choix, avec, sans, ou à plusieurs, très librement. Je regarde autour de moi, mes cousins, cousines, mes sœurs, qui ont gardé plus ou moins de cette culture selon leurs désirs et leurs choix. Sans le moindre fracas, nous sommes devenus, héritiers et héritières de cette immigration, la France. Sans l’ombre d’un doute, nous sommes partie prenante de cette société, nous y avons notre place, et chacun est protégé dans le lien singulier qu’il a à ses origines, à ses racines, à ses choix religieux.

Aujourd’hui dans mon métier d’autrice, directrice d’une compagnie de théâtre, je parcours les collèges et les lycées dans lesquels je rencontre des jeunes gens issus des multiples migrations qui font la France, son histoire, sa culture. Ils et elles répondent à mes interrogations sur leur vécu de notre société et le plus souvent leurs réponses témoignent de combien il est difficile d’être ramené sans cesse à ses origines, de sentir qu’ils et elles ne sont pas vraiment perçus comme étant ici chez eux, en tous cas pas pour tout le monde, contrôlés régulièrement par la police, si ce n’est pire. Ils et elles témoignent ne pas pouvoir évoquer leurs religions, et une d’entre elles plus que les autres, sans être regardés de travers, pris de haut, amalgamés, priés de se positionner vite et de prouver qu’ils elles sont bien modérés, sûr de sûr, croix de bois croix de fer, que tu mentes ou pas, on te fait vivre l’enfer. On traque chez eux la moindre absence en période de fête, la moindre allusion religieuse, la moindre jupe un peu trop longue comme un signe non-laïque et menaçant. Je vois le cœur serré ces jeunes devoir sans cesse montrer cette patte blanche avec laquelle moi je suis née et qu’on ne m’a donc jamais demandé de montrer. Nombreux sont comme moi la deuxième génération née en France, certains sont descendants d’ancêtres naturalisés depuis plusieurs générations, beaucoup sont issus de familles venues de territoires anciennement colonisés. Tous sont non-blancs.

Nous n’avons pas été, mes ancêtres et moi, de « bons immigrés », parce que nous respections la France mais parce que la France nous a respecté. Parce que la France nous a tout offert sans jamais nous demander de nous justifier, parce qu’on nous a donné le bon dieu peu importait notre confession, parce qu’on avait gagné d’avance l’estime, la confiance, le respect, parce qu’on était blancs.

Pourquoi cette France inclusive dont on a bénéficié, ne serait pas la France de tous et toutes ? Que pourrait-on faire pour partager ce gâteau qu’on nous a offert gratos ?
A l’avant-veille de ce moment qui mettra certains d’entre vous face à deux bulletins dont on a peut-être réussi à vous faire croire qu’ils étaient les mêmes, je vous demande de lire les tracts. De regarder les programmes. De vous méfier des diabolisations outrancières. Si je me remémore ce que j’ai reçu de meilleur dans mon éducation, il y avait une grande idée de l’amour, du soin du prochain et de garder toujours en nous, selon Jésus, l’innocence des petits enfants. Je pense que si on leur présentait les programmes en détail, sans séduction ni arrières pensés, juste les valeurs et les projets, les petits enfants voteraient pour la gauche unie, d’après tout ce qu’on m’a appris.
En tant qu’enfants et petits-enfants d’immigrés, ne serait-ce pas notre tour de redonner ce qu’on a reçu, en faisant un acte protecteur pour toutes les personnes minorisées ?

Je sais combien la gauche peut faire peur à certains d'entre vous, « irréaliste, bisounours, menteuse, arnaqueuse, assoiffée de pouvoir… » et on a un champion du monde en ce moment qui fait tout pour la diaboliser, en faire une extrême qu’elle devient dans les esprits qu’il parvient à coloniser. La gauche imparfaite et unie est faite de gens comme moi, qui ont bien l’intention d’avoir leur famille politique à l’œil et de rester fidèle à ce que nous construisons collectivement.

Et puis, c’est juste un bulletin dans l’urne. Si c’est très dur, sachez que je comprends, moi aussi j’ai eu du mal à voter, et deux quinquennats de suite, pour quelqu’un en qui je n’avais aucune confiance, dont je voyais les arnaques, les manipulations, l’égo surdimensionné, la soumission à des intérêts privés et à la protection des plus privilégiés. Mais je l’ai fait, avec tant d’autres, pour éviter le pire. Je vous demande de le faire à votre tour.

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