« Les Français ont-ils la frite ? » titrait la semaine dernière LSDJ n°1622. On ne peut pas dire que l’optimisme éclate dans les enquêtes d’opinion. Mais après le coup de massue reçu par LREM avec son groupe « Ensemble ! » au second tour des législatives, les sénateurs (majoritairement LR) auraient motif, eux, à redresser la tête.
Les députés de la majorité présidentielle ont systématiquement négligé les votes des sénateurs au cours des navettes parlementaires entre l’Assemblée nationale et le Palais du Luxembourg qui ont ponctué le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais la nouvelle configuration de l'Assemblée nationale inverse le rapport de force, explique dans Le Figaro (en lien ci-dessous) Emmanuel Tawil, universitaire, avocat, professeur de droit constitutionnel à l'université Panthéon-Assas : selon lui, « le 19 juin 2022, le Sénat a acquis de facto le même rôle que l'Assemblée nationale dans l'exercice du pouvoir législatif. »
À l’Assemblée, Emmanuel Macron ne bénéficie plus que d’une majorité « relative » de 245 députés, loin de la majorité absolue : 289 députés. Néanmoins, le Président ne semble pas près d’être menacé par une motion de censure qui obligerait le Premier ministre à présenter sa démission avec son gouvernement, suivie par une dissolution de l’Assemblée nationale, un retour aux urnes et une éventuelle cohabitation. Selon l'article 49 de la Constitution, une motion de censure ne peut être votée qu'à la majorité absolue, les abstentions étant comptées comme défavorables. Or le groupe présidentiel « Ensemble ! » reste majoritaire et a tout intérêt à rester soudé, chose impossible pour l’opposition, Nupes à gauche (ensemble hétéroclite aussitôt fragmenté sur les bancs de l’Assemblée en insoumis, écologistes, socialistes, communistes…), LR au centre droit, RN à droite. Pour déposer une motion de censure, ces opposants devraient s’entendre pour atteindre 289 voix. Il est très douteux qu’ils y parviennent, d’autant qu’il paraît risqué pour chacun de ces députés fraîchement élus ou réélus de se soumettre à nouveau au vote des électeurs. Cahin-caha, le gouvernement pourrait ainsi tenir jusqu’à la fin de la législature.
En revanche, il va devenir difficile de court-circuiter le Sénat dans l’exercice du pouvoir législatif. Certes, formellement, des projets ou propositions de loi peuvent toujours être adoptés sans l’accord des sénateurs, l'article 45 de la Constitution donnant le dernier mot à l'Assemblée nationale faute faute de consensus à l’issue d'une commission mixte paritaire. Encore faut-il qu’une majorité se dégage , chose à présent ardue, voire impossible sans un vote favorable des députés Républicains. Et l’on ne voit pas ceux-ci voter un texte auquel se seraient opposés les sénateurs LR qui, avec leurs alliés centristes, disposent de la majorité absolue à la Haute Assemblée. Seuls les rares projets et propositions de loi émanant de la majorité présidentielle qui obtiendraient le soutien d’une partie de la gauche ou du RN pourraient « passer la rampe ». Quant au fameux article 49-3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire adopter un projet de loi sans vote, « depuis la réforme constitutionnelle de 2008, cette procédure ne peut plus être mise en œuvre que pour les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et un seul texte par session. Autant dire presque jamais » selon le professeur Tawil. Désormais, hormis ces cas de figure, « la navette jouera pleinement son rôle : le gouvernement devra obtenir l'adoption des lois en termes identiques par les deux assemblées » conclut Emmanuel Tawil.
L’exubérance n’appartenant pas aux mœurs sénatoriales, on ne s’attend pas à des manifestations triomphales dans l’hémicycle de la Haute Assemblée, pas plus qu’on n’imagine les sénateurs prendre le mors aux dents… Mais, ayant savouré discrètement ce retournement de situation, sauront-ils en tirer le meilleur profit pour le bien du pays ? Attendons de les voir à l’œuvre pour juger s’ils ont « la frite »…
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