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mardi 1 janvier 2019

Ls Crises.fr - Sabrina Ali Benali : “Je ne leur pardonnerai pas nos morts”, par Chloé Friedmann


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24.novembre.2018 // Les Crises

Sabrina Ali Benali : “Je ne leur pardonnerai pas nos morts”, par Chloé Friedmann


Source : Madame le Figaro, Chloé Friedmann, 24-10-2018

Dans La révolte d’une itnerne, Sabrina Ali Benali dénonce les conditions de travail des personnels de santé français.
Éditions Cherche Midi
Sa vidéo sur les services d’urgences a enregistré 12,5 millions de vues. Dans La Révolte d’une interne, à paraître ce jeudi, le médecin de 33 ans revient sur les failles qui fissurent l’hôpital français. Entretien.
«Bonsoir Madame Touraine, c’est encore moi, l’interne. Juste une petite question, c’est quoi cette grosse blague ?» 12 janvier 2017. Sabrina Ali Benali, interne dans un hôpital du XXe arrondissement de Paris, met le feu aux poudres sur sa chaîne Youtube. L’objet de son indignation ? La Une du Parisien, intitulée «Grippe : l’état d’urgence». «Mais c’est tous les jours, l’état d’urgence, Madame Touraine, à l’hôpital», fulmine l’apprentie-vidéaste, s’en prenant à la ministre de la Santé de l’époque, dénonçant les conditions de travail désastreuses des personnels de santé. La vidéo enregistre alors 11 millions de vues en deux semaines – contre 12,5 millions aujourd’hui. Elle est relayée par Le Monde, Libération ou encore le Huffington Post.

Près de deux ans plus tard, l’effervescence s’est apaisée. Sabrina Ali Benali, quant à elle, n’a pas dit son dernier mot. Devenue médecin remplaçante dans une association de permanence de soin, elle signe aujourd’hui son premier livre, La Révolte d’une interne*, à paraître ce jeudi. Elle y revient sur son expérience intime de l’hôpital français, entre petits bonheurs et fardeaux lourds à porter.

En vidéo, le coup d’éclat de Sabrina Ali Benali sur les réseaux sociaux

Lefigaro.fr/madame. – Grâce à votre vidéo adressée à Marisol Touraine, vous êtes devenue la porte-parole de vos confrères médecins du jour au lendemain. Comment l’avez-vous vécu ?
Sabrina Ali Benali. – Mon sentiment a toujours été très mitigé. J’éprouve une grande fierté à défendre les soignants, mais aussi une profonde tristesse, car si mes vidéos ont autant de succès, c’est que la situation catastrophique que je dénonce est partout.
Quel a été le déclic qui vous a poussée à écrire ce livre ?
Les réponses des soignants à mes vidéos Youtube. Ils trouvaient que je faisais le lien entre des messages politiques incompréhensibles pour eux – comme le nouveau plan santé du gouvernement – et la réalité de notre quotidien. La Révolte d’une interne n’est ni un livre de technicien, ni seulement un livre de témoignages et d’émotion : il explique comment se traduisent les lois et les dénonce.


Dans votre ouvrage, vous évoquez votre rencontre avec une patiente, Lily, 8 ans, atteinte de cardiomyopathie obstructive, qui a succombé à la maladie. Comment composez-vous avec l’impact émotionnel et la pression quotidienne de votre métier ?
Force est de constater qu’à l’époque, je ne savais pas le faire. J’ai fait un transfert positif, ayant frôlé la mort au même âge que Lily. Depuis, j’ai appris à prendre du recul dans des espaces de discussion, au cours du Diplôme Universitaire (DU) d’éthique et de médecine du professeur Emmanuel Hirsch. Plus tard, j’ai aussi consulté des professionnels de santé. Maintenant j’arrive à prendre cette distance. Évidemment elle est fine et poreuse, mais elle existe.
Est-il possible de prendre du recul sans en devenir insensible ? 
On n’est pas tous égaux face à cela. Je n’aurais pas pu faire de cancérologie, je suis peut-être très sensible mais le suivi des maladies longues n’est pas fait pour moi. Les formations que j’ai suivies m’ont permis d’avoir ce recul tout en restant, évidemment, empathique. Elles devraient être obligatoires, au moins une fois par an.
Quelle anecdote de votre livre reflète le mieux, selon vous, les failles de l’hôpital public ?
C’est justement le propos qu’a choisi l’éditrice sur la quatrième de couverture. «À chaque mauvaise expérience, c’est une parcelle de la peau de soignant qui se désagrège», peut-on lire au dos du livre. Je voulais mettre tous ces exemples en cohérence, pour montrer à quel point tout cela constitue le système hospitalier. Ces anecdotes reflètent le délitement de l’institution et l’éclatement de ce que nous sommes.


N’avez-vous pas peur que l’on pense que vous exagérez certaines anecdotes ?
Sur ma page Facebook, on m’envoie des témoignages cent fois pires que mon récit. À la limite, je trouve même que, par rapport à l’ignominie de ce qu’il se fait ailleurs, j’ai finalement été un peu préservée. Certains de mes collègues ont travaillé 80 heures par semaine et falsifié des documents de présence, parce qu’ils dépassaient les heures de sécurité à l’hôpital… Nous, les soignants, avons beaucoup de mal à mobiliser autour de nous. J’ai écrit ce livre pour que les gens nous accompagnent. On n’y arrivera pas tout seuls.
Vous abordez la question de la «jouissance du pouvoir», tant entre les médecins et les internes qu’entre les médecins et leurs patients. Comment pallier ce genre d’abus ?
Remettre les sciences sociales et le relationnel au cœur des études me paraît déjà un bon moyen de le faire. Une fois, j’ai participé à un exercice de communication, dans lequel il fallait prétendre que l’on parlait à une malade refusant une chimiothérapie. L’un de mes collègues a été très virulent envers la patiente. Il nous a dit : «C’est quand même moi qui ai le pouvoir de lui changer la vie !». J’étais un peu interloquée, je lui ai répondu qu’il n’avait le pouvoir sur rien du tout, que cette dame allait peut-être mourir dans deux mois, c’est son droit, c’est son corps. Le problème c’est que vous faites neuf ans d’études et que vous n’apprenez pas pour qui vous soignez, pour l’autre ou pour vous.
Vous racontez l’impatience de l’une de vos collègues lorsqu’une jeune femme admise en gynécologie refuse d’être examinée. Y a-t-il encore de la place pour la pudeur aux urgences ?
C’est compliqué. Parfois nous sommes obligés d’examiner un patient dans le couloir. La pudeur physique découle d’un procédé d’humiliation. Avec la pudeur sentimentale, on perd la possibilité de mieux soigner, comme lorsqu’une patiente peine à dire qu’elle est victime de violences conjugales. Je suis assez impressionnée que les patients subissent autant en silence.
L’histoire d’une femme battue admise dans votre service vous a d’ailleurs particulièrement touchée. Pensez-vous que le suivi de telles patientes puisse être amélioré ?
Oui, c’est évident. C’est le sujet de ma thèse, que j’écris en lien avec la mairie de Paris, sur le dépistage et l’orientation des femmes victimes de violences. C’est aussi un enjeu de société dont on parle beaucoup en ce moment, et qui doit mieux être accompagné par les professionnels de santé. Il y a des sous-diagnostics énormes.
Vous évoquez dans votre livre un incident avec l’animateur Patrick Cohen, qui a refusé de vous présenter ses excuses a posteriori. Que s’est-il exactement passé ? 
Après mon interview sur France Inter en janvier 2017, Patrick Cohen a déclaré que je n’étais pas salariée de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), que je travaillais dans le XIIe arrondissement et pas dans le XXe, qu’il n’y avait pas de service des urgences dans cet hôpital. J’aurais pu corriger Patrick Cohen à l’antenne. Lui dire que je ne travaillais pas «au sein de l’assistance publique» mais dans un établissement conventionné par celle-ci. Comme mon propos n’était pas du tout là, je ne l’ai pas fait. J’ai pourtant fourni à France Inter toutes mes feuilles de paye et le nom de l’hôpital dans lequel je travaillais.
Quelles ont été les conséquences de cette affaire ?
Je devais rencontrer une directrice de thèse pour un premier travail, mais cette dame a finalement refusé de me voir. J’ai aussi été écartée d’une campagne de vaccination par un monsieur de l’Agence Régionale de Santé (ARS) – c’est peut-être d’ailleurs seulement lui le responsable, et non l’ARS.


En janvier 2017, vous avez réalisé une vidéo qui a enregistré plus de 11 millions de vues. A-t-elle eu l’impact espéré ?
Je n’espérais pas d’impact. Je l’ai réalisée en me disant qu’elle allait faire 30.000 vues, comme les trois premières. J’étais un peu déçue du résultat. Malgré les 11 millions de vue enregistrées, on parlait surtout du buzz de la vidéo, et pas assez du message qu’elle portait. J’étais quand même contente de délivrer un message porté par des dizaines de milliers de gens. Des brancardiers, des chirurgiens, des directeurs d’hôpitaux échangaient sous mes posts. Cette absence de hiérarchie est vraiment super.
Vous n’avez pas obtenu de réponse de la part du ministère à l’époque. Espérez-vous une réponse de l’État grâce à votre livre ? 
Non… Il n’y a qu’à voir le cas de Hella Kherief. Cette aide-soignante qui a témoigné dans l’Envoyé Spécial d’Elise Lucet sur les Ehpad s’est fait renvoyer après la diffusion de l’émission. Il n’y a aucun soutien, rien, pas un mot là-dessus de la part de députés ou de conseillers régionaux. La semaine dernière, l’une de nos collègues de Châteauroux s’est suicidée. La ministre de la Santé Agnès Buzyn a répondu qu’il y aurait une commission d’enquête mais que sur 2 millions de soignants, cela relevait des statistiques. Je ne leur pardonnerai pas nos morts, ces gens-là ont une responsabilité.
Après les réactions négatives liées à votre vidéo, appréhendez-vous les polémiques liées à la parution du livre ?
Oui, cela m’inquiète. J’ai pensé aux conséquences et demandé à mes collègues s’ils me soutiendraient. C’est un peu bizarre de poser des questions comme celle-ci aux gens avec qui l’on travaille.
Le Journal International de Médecine (JIM) a annoncé l’adoption d’un nouvel amendement en commission des affaires sociales. Il stipule que la réorientation d’un patient des urgences vers un médecin de ville pourra être facturée. Qu’en pensez-vous ?Il faut être au niveau zéro de la connaissance d’un service d’urgence pour faire une proposition pareille. Comment faites-vous si, à 23 heures le soir, le médecin vous propose un rendez-vous dehors ? Au mieux il y aura une plateforme Doctolib pour choisir au hasard un cabinet à proximité. La plupart des gens viennent justement parce qu’ils n’ont pas trouvé de rendez-vous à l’extérieur. Renvoyer quelqu’un sans l’avoir examiné peut être un grand danger. On l’a tous eu, cette femme de 60 ans qui vient pour nausée et qui fait en réalité un infarctus silencieux. Les patients qui sortent en dix minutes ne sont pas ceux qui engorgent les urgences.
Quel est votre pire souvenir de vos années au sein de l’hôpital ?
Le plus triste est évidemment la mort de Lily. C’est une chose dont je ne guérirai jamais.
* La Révolte d’une interne, de Sabrina Ali Benali, à paraître jeudi 25 octobre, aux éditions Cherche Midi (17 euros).
Source : Madame le Figaro, Chloé Friedmann, 24-10-2018
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]
Alfred // 24.11.2018 à 08h01
Et ben allez sur les rond point aujourd’hui. Vous n’avez toujours pas compris ce qui se passe? Vous croyez que les gens sont dans la rue pour du gazole?

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