Les autocongratulations et les satisfecit ont vite laissé place aux premiers doutes, vendredi 29 juin, à la suite de l'accord sur les migrations négocié durant la nuit précédente lors du sommet à Vingt-Huit de Bruxelles. Un accord, oui, mais qui n'apporte pas de réponses opérationnelles très concrètes et suscite déjà maintes critiques.
A-t-il durablement apaisé les tensions entre les pays européens, ceux du bassin méditerranéen, qui réclament davantage de solidarité, et ceux de l'Est, qui continuent obstinément à la leur refuser ? Permettra-t-il d'éviter d'autres situations désastreuses après les errances des bateaux
Aquarius et
Lifeline ? A écouter le président du Conseil italien, -Giuseppe Conte, quelques heures après la conclusion de l'accord, la voix de Rome, qui menaçait de bloquer l'ensemble du Conseil européen, avait enfin été entendue.
" Je suis satisfait. Bien sûr, si j'avais eu à écrire le texte, je l'aurais fait différemment, mais nous étions Vingt-Huit ", a-t-il confié, vendredi matin.
Mais dès le milieu de matinée, les messages plus négatifs ont afflué :
" Aucun engagement contraignant et seulement des choix volontaires pour les demandes italiennes. Un résultat faible. L'Italie affaiblie. Les pays de l'Est crient victoire ", analysait le secrétaire par intérim du Parti démocrate (PD, centre gauche), Maurizio Martina. A la mi-journée, M. Salvini lui-même déclarait :
" Je ne me fie pas aux paroles, ce qui m'intéresse ce sont les actes. " " Pour une fois, Matteo Salvini a raison. La mission de Conte au Conseil européen a été un véritable flop ", répliquait, dans un Tweet, le chef du groupe PD au Sénat, Andrea Marucci.
" L'Italie a cédé sur toute la ligne : elle n'a pas obtenu la répartition obligatoire des migrants, mais seulement celle, volontaire, des réfugiés, elle devra construire des nouveaux camps et elle accepte le principe d'un retour des personnes parties en Allemagne ou en Autriche ", écrivait
La Repubblica. Ces
" hot spots " de nouvelle génération, avec davantage d'argent européen et censés retenir les demandeurs d'asile dont le dossier est à l'examen, devraient être créés sur une base volontaire. Ces structures sont la principale réponse apportée par les Vingt-Huit au refus de l'Italie d'assumer seule la responsabilité des migrants sauvés en mer.
Crise " largement politique "A Bruxelles, Donald Tusk, le président du Conseil européen, déclarait pendant ce temps que la mise en œuvre de l'accord serait
" difficile " et qu'il était
" bien trop tôt pour parler d'un succès ". De quoi doucher les espoirs d'un accord durable. La chancelière allemande, Angela Merkel, restait, elle, particulièrement prudente :
" C'est un bon signal que nous nous soyons accordés sur un texte commun ; nous aurons encore beaucoup à faire pour rapprocher les différents points de vue. " Emmanuel Macron, très actif pour dégager un compromis acceptable pour Rome, modérait lui aussi son enthousiasme, vendredi après-midi, en estimant que le texte
" ne règle en rien, à lui seul, à la crise que nous vivons, qui est largement politique ".
La France, première à prêcher la nécessaire solidarité européenne, a d'ailleurs refusé fermement d'installer un " centre contrôlé " sur son territoire.
" Quand un bateau doit débarquer - après un sauvetage -
, il va vers le port sûr le plus proche. Puis il y a la règle de Dublin, du pays de première arrivée. C'est pour cela que la France, qui n'est pas un pays de première arrivée, n'ouvrira pas de centre ", a justifié Emmanuel Macron.
Sur ce point si sensible, il s'est pourtant fait retoquer, presque en direct, par M. Conte. Ce dernier a démenti que ces centres d'accueil devraient être créés dans les pays de première entrée.
" Macron était fatigué ", a-t-il ajouté…
Pour l'instant, seule la Grèce se serait portée volontaire pour ouvrir des " centres contrôlés ", et pour cause : elle pourrait ainsi " recycler " les
hot spots qu'elle a dû ouvrir, surtout sur ses îles, au plus fort de la crise de 2015-2016, et recevrait davantage de financement européen.
M. Salvini a prévenu, vendredi, que les ports italiens seraient fermés
" tout l'été " aux ONG qui secourent les migrants. Or, le dénouement de la situation du
Lifeline, qui a fini par être accueilli par Malte, a été mis au point par des diplomates, et non par des techniciens… L'incertitude persiste quant à la systématisation de la prise en charge des migrants, que refusent désormais les Italiens.
" L'espoir, c'est surtout que l'on décourage les bateaux des ONG de prendre la mer ", lâche un expert.
L'idée de " plates-formes de débarquement " dans les pays tiers, hors de l'UE, une autre avancée de l'accord, semble elle aussi dès à présent mal engagée et se heurte au refus de la Tunisie, du Maroc et de la Libye. Les Vingt-Huit ont confié au Conseil et à la Commission l'examen du
" concept ", mais l'issue est plus qu'incertaine. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime que ces centres de gestion des demandeurs d'asile devaient être situés en Europe, et pas à l'extérieur de celle-ci.
Un porte-parole de l'agence a déclaré que celle-ci était
" très heureuse de la solidarité et du consensus qui ont émergé " du sommet de Bruxelles. Mais
" nous ne parlons pas de centres de traitement à l'étranger, c'est le point crucial ", a ajouté Leonard Doyle. L'OIM a exprimé son inquiétude
" insurmontable " quant à l'ouverture de
" plates-formes de débarquement " en Libye du fait de l'insécurité qui y règne et des mauvais traitements qui y sont infligés à des migrants.
Les seuls accords un peu consistants issus des nombreuses heures de négociations des derniers jours pourraient bien être ceux qu'Angela Merkel a commencé à négocier avec deux pays au moins, l'Espagne et la Grèce. Ils devraient permettre de systématiser le renvoi de " dublinés " d'Allemagne vers ces deux pays, par lesquels ils sont entrés dans l'Union européenne.
Vendredi après-midi, les corps de trois bébés morts dans un naufrage survenu quelques heures plus tôt, à six kilomètres au large des côtes africaines, ont été récupérés par les gardes-côtes libyens. Seize survivants ont été repêchés et on estime à 100 le nombre de disparus.
cécile ducourtieux, Jérôme Gautheret, Cédric Pietralunga, Jean-Pierre Stroobants
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