Dimanche 1er juillet, la vitesse maximale autorisée va diminuer sur 400 000 kilomètres de routes départementales et nationales à double sens, particulièrement meurtrières, en raison des chocs frontaux qui s'y produisent. Sur ces routes à fort trafic, dépourvues de séparateur central (muret ou glissière de sécurité), -la vitesse passera de 90 à 80 km/h comme le signaleront quelque 11 000 panneaux qui auront été débâchés dans la nuit.
Les automobilistes qui s'agaceront de devoir lever le pied seront invités à comprendre, grâce à un film,
13 mètres, diffusé par la délégation à la sécurité routière, -que ce ralentissement sauvera des vies. En cas de freinage d'urgence, celui qui roule à 80 km/h parcourt 13 mètres de moins que celui qui roule à 90 km/h.
Ce sera la marque d'un changement de politique lié à l'élection présidentielle 2017 : le principe de l'
" acceptabilité " (une mesure n'est prise et appliquée que si elle est acceptable), défendu par -Bernard Cazeneuve sous le quinquennat de François Hollande, -a
fait place à une forme de fermeté politique. Son successeur à Matignon, Edouard Philippe, s'est dit prêt à
" assumer l'impopularité pour sauver des vies ".
L'affaire n'a pas été sans peine, tant cette décision, rapidement critiquée dans les campagnes et par les élus locaux, y compris ceux de La République en marche, a été discutée, jusqu'au sein du gouvernement et même de l'Elysée. Vendredi 29 juin, le premier ministre, en visite dans un centre de formation des pompiers, expliquait encore que
" l'objectif, ça n'est pas d'emmerder le monde " mais
" de faire en sorte qu'il y ait moins de morts et moins de blessés graves ".
Grande cause nationaleIl aura donc fallu près de cinq ans, et quelques échéances électorales, pour en arriver là. C'est en septembre 2013 que des experts en sécurité routière proposent cette mesure, alors que la France est en retard sur les objectifs européens de mortalité qui lui sont fixés (fin 2012, elle comptabilisait 3 653 tués, au lieu de 3 000). Abaisser la vitesse maximale entraîne en effet une réduction des vitesses moyennes de circulation, qui a pour conséquence une diminution des accidents mortels, comme l'a mis en évidence -Jan-Eric Nilsson, chercheur à l'Institut suédois des routes, en 1982.
En réduisant la vitesse maximale de 10 km/h sur l'ensemble de ce réseau considéré comme le plus meurtrier, il sera possible d'épargner
" 350 à 400 vies par an ", indique le comité des experts du -Conseil national de la sécurité routière (CNSR), instance consultative.
En le faisant sur une partie seulement de ce réseau, il sera possible d'en épargner
" 210 à 240 ".
Au sein du CNSR, sorte de " parlement " de la sécurité routière, la Ligue contre la violence routière est la seule ou presque à approuver la première proposition. Depuis sa création en mai 1983, cette association n'a cessé d'aiguillonner les pouvoirs publics pour qu'ils agissent sur les causes des accidents. Elle a contribué à obtenir, entre autres, la diminution des seuils d'alcoolémie (1987), l'abaissement de la vitesse autorisée en ville (1990), l'instauration du permis à points (1992), la mise en place de radars automatiques (2002) ou la suppression de l'amnistie présidentielle pour les délits routiers (2007). Sa présidente depuis 2002, Chantal Perrichon, ancienne chargée de communication au CNRS, avait déjà réclamé la mesure aux candidats à la présidentielle de 2012. En effet, rappelle-t-elle, le modèle de Nilsson a pu être vérifié entre 2002, date à laquelle Jacques Chirac a élevé la sécurité routière au rang de grande cause nationale, et 2010.
D'autres associations, comme la Prévention routière, préfèrent la seconde solution, jugée plus
" acceptable " par l'opinion publique. L'association 40 millions d'automobilistes, en revanche, ne veut aucune des deux. Elle dénie tout fondement au modèle de Nilsson. Elle conteste d'ailleurs que la sécurité routière puisse faire l'objet d'études scientifiques, et ne reconnaît pas que les radars aient pu sauver des vies. Tout nouvel abaissement de la vitesse n'est, selon elle, qu'un moyen de faire flasher ces radars et de remplir les caisses de l'Etat, en
" punissant " ceux qui sont obligés de rouler.
En cette rentrée de 2013, la proposition des experts embarrasse le gouvernement. Il craint l'impopularité à la veille d'élections municipales qui s'annoncent difficiles pour la gauche. Le CNSR, présidé par un député de la majorité, Armand Jung (PS, Bas-Rhin), ne se presse donc pas de la faire voter, avec le soutien du délégué à la sécurité routière d'alors, Frédéric
-Péchenard, proche de Nicolas Sarkozy dont il a été directeur général de la police nationale. Il laisse ainsi passer les municipales, puis le scrutin des européennes.
Mais, la mortalité remontant pour la première fois depuis 2002, le gouvernement doit reprendre le dossier. Il trouve vite la parade : diminuer la vitesse, mais à titre
" expérimental " seulement. Sans attendre l'avis du CNSR, qui, le 16 juin 2014, se prononce en faveur d'une baisse
" généralisée ", le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve annonce qu'il procédera à une simple
" expérimentation " sur
" certains axes très accidentogènes " afin de vérifier le bien-fondé de la mesure. Un moindre mal pour 40 millions d'automobilistes qui salue ce
" pragmatisme ". Mme Perrichon déplore le
" manque de courage politique ".
Il faut encore attendre le 1er juillet 2015 pour que le gouvernement sélectionne les axes -concernés et lance l'expérimentation : censée durer deux ans, elle permet d'enjamber l'élection présidentielle de 2017. Pendant ce temps, la mortalité routière -remonte : 3 384 tués en 2014, 3 461 tués en 2015, 3 477 tués en 2016… Bien que, pendant la campagne de 2017, le candidat Emmanuel Macron ne se soit pas prononcé en faveur d'une baisse de certaines vitesses, il ne peut que s'orienter dans cette direction, une fois élu président. En septembre 2017, jugeant
" inacceptable " le chiffre de neuf morts par jour sur les routes, le chef de l'Etat réclame
" une réaction ambitieuse et collective ". Son premier ministre, Edouard Philippe, décide alors d'imposer le 80 km/h.
Phénomène d'" anticipation "En dépit de l'opposition des élus ruraux, qui relaient les craintes de certains automobilistes de ne plus pouvoir doubler les camions, Edouard Philippe réunit un comité interministériel de la sécurité routière le 9 janvier. Il annonce que la vitesse baissera, de 90 à 80 km/h, à partir du 1er juillet, sur l'ensemble du réseau bidirectionnel sans séparateur. Malgré les manifestations d'automobilistes ou de motards, malgré les sondages négatifs (74 % de Français défavorables, selon un sondage BVA pour la presse régionale, effectué entre le 19 et le 23 avril auprès de 1 200 personnes),
il ne change pas de cap, répétant que
" passer de 90 à 80 km/h sur un trajet de quarante kilomètres représente trois minutes supplémentaires ".
L'ancien maire du Havre refuse d'accéder à la demande des sénateurs qui réclament une mise en place du 80 km/h sur certaines routes à double sens seulement. Il recadre même son ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, lorsque ce dernier manque à la solidarité gouvernementale en demandant le droit de
" prendre un -joker " alors qu'il est interrogé pour donner son avis sur l'abaissement de la vitesse.
Le décret d'application a été publié le 17 juin. Pour tempérer les mécontentements, le premier ministre a promis une
" clause de rendez-vous " dans deux ans. En fait, bien avant le 1er juillet 2020, il sera possible de voir si le nombre de morts a diminué. D'ores et déjà, selon un phénomène connu d'
" anticipation " (les gens croient que la mesure s'impose), c'est le cas : depuis mars, les statistiques mensuelles de la sécurité routière se sont améliorées.
Rafaële Rivais
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