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dimanche 1 juillet 2018

Mexique : la soif de changement profite à " AMLO "


30 juin 2018

Mexique : la soif de changement profite à " AMLO "

Le candidat de gauche est en tête dans les sondages avant l'élection présidentielle à un tour du 1er juillet

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LE CONTEXTE
scrutin
Le 1er juillet, 89 millions d'électeurs sont appelés à élire leur président et 3 400 autres mandats locaux et nationaux, dont 500 députés, 128 sénateurs, huit gouverneurs et le maire de Mexico.
LES candidats
" AMLO "
A 64 ans, Andrés Manuel Lopez Obrador est le favori des sondages. Le vétéran de la gauche est à la tête d'une coalition réunissant deux partis de gauche, dont le sien, et un parti évangélique.
Ricardo Anaya
Il a fait exploser le clivage droite-gauche. Ce juriste de 39 ans a noué une alliance entre son parti conservateur et deux formations progressistes.
José Antonio Meade
Candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), cet ancien ministre des finances de 49 ans est à la tête d'une coalition avec un parti écologiste conservateur et un centriste. Il pâtit du discrédit de l'actuel président et du PRI.
Jaime Rodríguez
A 60 ans, il est le seul candidat indépendant. L'ancien gouverneur de l'Etat de Nuevo Leon (2015-2017) se fait appeler
" El Bronco " (" cheval fougueux ").
Dans les allées du marché de Medellin, dans le centre de Mexico, les conversations sur les élections du 1er  juillet vont bon train. Mais les visages se crispent quand on évoque le bilan du gouvernement. " Nos dirigeants sont des voleurs ", peste un marchand. Penchée sur son étal de fruits, une cliente acquiesce : " Qu'ils partent ! " Ce vent de " dégagisme " plane sur le Mexique, à la veille du plus vaste scrutin de son histoire, mêlant la présidentielle à des élections législatives, régionales et municipales.
" Il nous a menti ", s'énerve le commerçant contre le président sortant, Enrique Peña Nieto, du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre). Elu en  2012, M.  Peña Nieto assurait incarner un " nouveau PRI ", en rupture avec la corruption et le clientélisme de son parti. Sa victoire avait marqué le retour au pouvoir de ce parti hégémonique de 1929 à 2000, après douze ans d'alternance du Parti action nationale (PAN, droite). Le président promettait aussi d'endiguer l'insécurité galopante. Six ans plus tard, près de huit Mexicains sur dix condamnent sa gestion, selon les sondages.
Le ras-le-bol généralisé profite au vétéran de la gauche Andrés Manuel Lopez Obrador, qui est crédité entre 44  % et 51  % des voix dans les sondages. A 64  ans, le candidat du Mouvement de régénération nationale (Morena, gauche) fustige le " régime mafieux " du PRI mais aussi du PAN, qu'il a baptisé le " PRIAN ". Surnommé " AMLO " (ses initiales), il dispose de plus de vingt points d'avance sur son principal adversaire, Ricardo Anaya, ancien président du PAN (23 % à 29 %). Ancien député de l'Etat de Querétaro (centre), ce juriste de 39 ans tente de lui rafler la palme de l'antisystème en menant une coalition gauche-droite.
" Perte d'autorité morale "Loin derrière (de 8  % à 23  %), José Antonio Meade, candidat du PRI, peine à convaincre. Membre d'aucun parti, ce haut fonctionnaire de 49 ans a été ministre plusieurs fois (finances, énergie, développement social, affaires étrangères) au sein des gouvernements de M. Peña Nieto et de son prédécesseur, Felipe Calderon (2006-2012), du PAN. Il pâtit du discrédit de M.  Peña Nieto et du PRI, mêlé à une série de scandales de corruption.
En tête, l'affaire de la " Casa blanca " (" maison blanche "), somptueuse demeure achetée par l'épouse du président dans des conditions douteuses. Une quinzaine d'anciens gouverneurs, la plupart affiliés au PRI, sont inculpés, en prison ou en fuite. Quant à l'enquête sur les pots-de-vin -distribués par le géant brésilien du BTP Odebrecht, elle piétine. " Le 1er  juillet, les électeurs ne voteront pas pour un candidat mais contre un système d'impunité et d'abus de pouvoir colossaux ", explique José Luis Reyna, politologue à l'université Colegio de Mexico.
M.  Meade paie aussi le bilan macabre de la lutte contre les cartels de la drogue, lancée fin 2006 par M.  Calderon et poursuivie par M. Peña Nieto. L'offensive (50 000  militaires déployés) a fragmenté les mafias en gangs rivaux et ultraviolents, qui mettent le pays à feu et à sang. Bilan : plus de 200 000 morts en douze  ans. Enfin, la pauvreté a augmenté : plus de 53  millions de Mexicains sont démunis, contre 49  millions en  2008.
" La classe politique a perdu toute autorité morale ", note M. Reyna. Tous les candidats promettent pourtant de s'attaquer aux maux du Mexique. Mais AMLO fait mouche auprès des électeurs. Il a tenu son dernier meeting, jeudi 28  juin, dans le stade Azteca de Mexico, réunissant plus de 100 000  personnes.
Ses deux adversaires principaux se livrent une lutte féroce pour la deuxième place dans l'espoir d'une victoire à l'arraché lors de ce scrutin à un seul tour. M.  Anaya accuse M.  Meade d'être mêlé à des détournements de fonds publics et à un contrat frauduleux bénéficiant à Odebrecht quand il était au gouvernement. L'intéressé récuse, promettant de durcir les peines contre les corrompus. " Si, une fois président, je viole la loi, j'irai, moi-même, en prison ", assure-t-il. De son côté, M.  Anaya dénonce une cabale judiciaire orchestrée contre lui par le ministère public autour d'affaires d'enrichissement illicite et de blanchiment d'argent.
Climat anxiogèneAu-delà de leur bras de fer, les deux challengers focalisent leurs attaques contre AMLO, devenu l'homme à abattre. M.  Anaya répète qu‘AMLO a " passé un pacte d'impunité avec Peña Nieto ", depuis que le favori a annoncé qu'il ne poursuivra pas en justice le président au nom de la " réconciliation nationale ". Fernando Doval, porte-parole de M. Anaya, rappelle que son champion menace M.  Peña Nieto de poursuites judiciaires.
M.  Anaya et M. Meade diffusent des spots vidéo contre AMLO, avertissant des risques de crise si le favori est élu. Des milliardaires, inquiétés par la lutte anticorruption d'AMLO, ont tenté d'accentuer ce climat anxiogène. La presse a révélé que plusieurs grands groupes, dont le géant du pain Bimbo et la compagnie aérienne Aeromexico, ont envoyé des lettres à leurs employés et fournisseurs avertissant qu'une victoire d'AMLO affecterait leurs emplois.
Selon M. Reyna, " ces attaques n'ont pas d'impact sur des électeurs qui pensent que la situation ne pourrait pas être pire ". Et les agences de notation Goldman Sachs et Moody's donnent à AMLO le bénéfice du doute. " La plupart des grands patrons ont calmé leur courroux contre AMLO, prenant conscience que s'il gagne, ils devront composer avec lui ", observe Ricardo Uvalle, politologue à l'Université autonome du Mexique.
Mais le spectre d'une fraude électorale pèse sur le scrutin. Des achats de votes, en argent ou en nature, sont déjà dénoncés dans la presse. " L'avance d'AMLO est telle que leurs effets sur le résultat final devraient être limités ", tempère M. Reyna. AMLO appelle ses partisans à " défendre le vote " par une vigilance accrue le jour des élections. Lors des précédents scrutins de 2006 et 2012, il avait jugé ses défaites frauduleuses, canalisant les protestations dans des mobilisations pacifiques. Cette fois, AMLO a averti les élites dirigeantes que " si elles osent une fraude " qui l'empêcherait de l'emporter, il ne retiendra pas " le tigre " de la colère populaire.
Frédéric Saliba
© Le Monde

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