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dimanche 29 juillet 2018

Malaise Place Beauvau après l'affaire Benalla........


28 juillet 2018

Malaise Place Beauvau après l'affaire Benalla

Le comportement du ministre de l'intérieur face à la crise est décrié par une partie de la hiérarchie policière

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C'est une des conséquences de l'affaire Benalla. Les auditions qui se tiennent, depuis le 23  juillet, devant les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat risquent de laisser des traces durables au sein de la hiérarchie policière.
Le comportement décrié de l'ancien chargé de mission élyséen organisant les déplacements du président, en particulier lors d'une manifestation le 1er  mai, à Paris, où il était présent en tant qu'observateur, ont révélé les diverses inimitiés et cloisonnements au sein de la maison " intérieur ". L'occasion d'une brutale mise au jour de la crise de confiance larvée, depuis de longs mois, entre les hauts responsables de la police et de la gendarmerie nationale d'un côté, et Gérard Collomb, leur ministre de tutelle de l'autre.
Alors que devant les parlementaires la plupart des hiérarques relevant de l'autorité de M.  Collomb se sont efforcés à la contrition et ont assumé bon gré mal gré une part de responsabilité dans les dérives de M. Benalla, le ministre de l'intérieur, lui, entendu en début de semaine, a refusé d'endosser la moindre faute. Une défense perçue par beaucoup de fonctionnaires, au-delà même des cercles syndicaux qui se sont largement exprimés dans les médias, comme une façon inélégante de sauver sa place, même si les faits n'ont pas été démentis par la suite.
Depuis, cette attitude interroge sur la façon dont l'hôte de la Place Beauvau va pouvoir reprendre la main sur ses troupes, alors que, le 24  juillet, le président de la République a pris de court beaucoup de monde en refusant la " République des fusibles ".Une situation qui questionne au passage, une nouvelle fois, le positionnement de M. Collomb au sein de l'équipe gouvernementale.
Troupes déstabiliséesRares sont ceux, au sein de l'institution policière, qui s'attendaient à l'aveu d'impuissance public du ministre de l'intérieur, les 23 et 24  juillet, lorsqu'il a été interrogé par les députés et les sénateurs. Ses dénégations évasives sur le fait qu'il ne connaissait pas M. Benalla – ou seulement de loin – et son apparente légèreté sur le fait qu'il aurait évoqué le " moins possible " le dossier Benalla avec M. Macron alors qu'une information judiciaire est ouverte, ont surpris. Ne serait-ce que sur la forme.
Même si M. Collomb a renvoyé certaines balles vers l'Elysée, il a fortement déstabilisé ses troupes en désignant nommément plusieurs de ses interlocuteurs haut placés. Parmi eux : le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, qui a assumé depuis avoir accordé le grade de  lieutenant-colonel à M. Benalla au sein de la réserve opérationnelle. Mais aussi le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, à qui il a reproché de l'avoir sous-informé dans cette affaire – une " note technique " ne lui a jamais été transmise – et d'avoir octroyé un port d'arme à M. Benalla, auquel ses services s'étaient opposés.
Aujourd'hui, Place Beauvau, nul n'est dupe du fait que le ministre sort affaiblide cet épisode. Mais le style Collomb est ainsi, défend-on dans son entourage : " On est droit dans nos bottes, on a simplement dit la vérité. " La Préfecture de police (PP) a toujours été un " Etat dans l'Etat ", souvent en lien direct avec l'Elysée. Lors de son audition, M.  Delpuech a admis le caractère " perfectible " de la PP, dont l'autonomie ne date pas de sa prise de fonction. La " réorganisation " annoncée par M. Macron le 23  juillet pourrait aller au-delà des murs de l'Elysée et s'attaquer à la forteresse PP, veut-on croire au ministère de l'intérieur.
Les mois qui viennent s'annoncent dans tous les cas tendus Place Beauvau. Même si le directeur général de la police nationale (DGPN), Eric Morvan, auditionné le 25  juillet, au Sénat, est apparu plus libéré que ses prédécesseurs. " J'aurais pris la même décision ", a-t-il assuré en défendant les quinze jours de mise à pied décidés par Patrick Strzoda, le directeur de cabinet de M. Macron, à l'égard de M. Benalla. " On n'est pas dans un système de -fonctionnaires robots ! ", a plaidé aussi M. Morvan, justifiant la sanction prise en raison de l'écart entre la rigidité du droit - l'article  40 du code de procédure  pénale permettant à tout fonctionnaire de dénoncer des faits à la justice - et " la vraie vie administrative ".
Solidarité de rigueur entre préfets ayant tous les deux travaillé au côté de l'ancien ministre socialiste Bernard Cazeneuve ? Ou façon très flegmatique de resserrer les rangs ? M.  Morvan n'en a pas moins admis, le 25  juillet, avoir appris l'affaire Benalla dans la presse. " Je n'étais pas dans la boucle apparemment restreinte de ceux qui savaient ", a-t-il glissé, sibyllin, devant les sénateurs, alors que c'est à lui, en tant que DGPN, que reviendra in fine la responsabilité des éventuelles sanctions administratives à l'encontre des trois fonctionnaires de la PP mis en examen pour avoir transmis des images de vidéoprotection à M. Benalla. Les trois seuls fonctionnaires de police mis en cause, à ce stade, dans l'affaire Benalla.
Crise de confianceAujourd'hui, les risques de relations fragilisées avec les cercles gestionnaires de la sécurité intérieure sont d'autant plus grands pour M. Collomb qu'ils s'ajoutent à une confiance déjà érodée avec le monde préfectoral. L'éviction, en octobre  2017, du préfet du Rhônes, Henri-Michel Comet, après l'attentat de la gare Saint-Charles, à Marseille, le 1er  octobre 2017, a laissé des traces. Celui-ci avait remis en liberté un sans-papiers inexpulsable, qui avait tué deux jeunes femmes trois jours après.
Depuis, des consignes ont été transmises aux préfets pour -placer en rétention tous les étrangers en situation irrégulière, quel que soit leur profil. Une politique appliquée avec scepticisme par les sphères préfectorales, pourtant peu enclines au laxisme sur le sujet.
L'affaire Benalla porte en germe une crise de confiance qui pourrait dépasser la seule base policière, comme l'ont connu de façon sporadique François Hollande ou même Nicolas Sarkozy. Celle-ci guette en effet désormais la hiérarchie, jusque-là toujours habilement ménagée. Exemple parmi d'autres de cette distance : alors qu'il lui était demandé si M. Benalla assurait " la fonction de garde du corps " de M. Macron, le patron du service de la -protection, Frédéric Aureal, a répondu, lapidaire, aux sénateurs, le 25  juillet : " Le lien de confiance qui pouvait exister entre le -président et lui, je n'ai pas à le -juger (…). Je n'ai pas d'autres -commentaires. "
Une situation à l'image des interrogations plus larges qui traversent les cercles régaliens vis-à-vis de la gouvernance élyséenne. Alors que Place Beauvau on se vit en " bon soldat ", cette loyauté au président et à son premier ministre rend souvent peu lisible l'action du ministère. Le travail des membres du cabinet de M. Collomb, souvent salué en interne, apparaît régulièrement dilué par la fuite des arbitrages vers l'Elysée ou Matignon, qui s'emparent ensuite de la communication. Un cas de figure qui s'est notamment produit lors du dernier plan de lutte contre le terrorisme présenté le 13  juillet. La création d'un parquet national antiterroriste – mesure très controversée – a été tenue secrète jusqu'au dernier moment, y compris pour les plus hauts responsables de la lutte antiterroriste.
Un mode de gestion qui -complique aussi l'avancement des dossiers peu médiatiques. A l'instar de la crise des vocations en police judiciaire, de plus en plus préoccupante. Selon nos -informations, lors du dernier mouvement de fonctionnaires, la très prestigieuse sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire disposait de plusieurs dizaines de postes ouverts… Mais seules quelques unités ont été pourvues, faute de candidats. " On sent la haute hiérarchie accaparée par le stratégique et la gestion des événements, mais la réforme de la police de sécurité du quotidien est un tambour vide ", alerte notamment Jérémie Dumont, secrétaire général adjoint du syndicat de la police nationale.
Élise Vincent
© Le Monde


28 juillet 2018

Le témoignage d'Alain Gibelin mis en cause par M. Benalla

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Parmi tous les fonctionnaires de police ou de gendarmerie qui ont défilé devant les parlementaires depuis le 23  juillet pour être auditionnés dans le cadre de l'affaire Benalla, Alain Gibelin, le directeur de la puissante direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la Préfecture de police de Paris, est sans doute l'un des moins haut placés. Mais son témoignage est aujourd'hui l'un des plus vivement contestés. En particulier par Alexandre Benalla, dont Le Monde a publié la version des faits, jeudi 26  juillet.
Une situation très inconfortable pour ce policier, visiblement ému au moment de sa deuxième audition. M.  Gibelin a tout fait pour défendre sa bonne foi, jeudi, alors qu'il était de nouveau interrogé, à sa demande, par les députés, afin de rectifier sa première audition au cours de laquelle il avait fait une " erreur " en indiquant que M. Benalla avait participé à des réunions de travail durant la période où il était suspendu. Une affirmation aussitôt démentie par l'Elysée et puis par M. Gibelin lui-même, qui s'était ensuite excusé par écrit auprès de la commission d'enquête. Le patron de la DOPC a confirmé jeudi devant les parlementaires qu'il avait " mal entendu " la question de Marine Le Pen et commis de ce fait une confusion de date dont les députés lui ont donné acte. " Cela fait trente-trois ans que je me suis engagé au service de la République (…), c'est mon honneur qui est en jeu ! ", s'est-il justifié.
Mais à l'occasion de cette seconde audition, M.  Gibelin a dû affronter une autre difficulté. Au cœur du litige cette fois : un déjeuner de travail. Selon Alexandre Benalla, aujourd'hui mis en examen notamment pour violences en réunion, M.  Gibelin a menti aux parlementaires. Pour le jeune homme de 26 ans, le patron de la DOPC était bien informé de sa venue à la manifestation du 1er-Mai, puisqu'il en avait parlé lors de ce fameux déjeuner de travail. " On a déjeuné quelques jours avant avec le général Bio-Farina au 2, rue de l'Elysée. C'était une réunion de travail à propos des policiers qui font la sécurité autour du palais. A la fin de ce déjeuner, - M. Gibelin - m'a demandé si je venais toujours le 1er-Mai et si j'avais reçu l'équipement que je devais recevoir ", a déclaré au Monde M. Benalla.
Lors de sa première audition, M.  Alain Gibelin avait mentionné que M. Benalla s'était certes enquis de savoir s'il pourrait participer à une manifestation, mais sans " flécher "directement le 1er-Mai. Et qu'" en aucun cas - il - s'était enquis de son équipement ". Une version qu'il a réitérée jeudi. Seule la justice devrait pouvoir trancher désormais ce " parole contre parole ". M.  Gibelin a tenté de faire valoir, jeudi, que son témoignage sous serment avait plus de valeur qu'une interview de presse. Mais cela n'a en rien tari les nombreuses questions à son égard.
É. V.
© Le Monde

28 juillet 2018

Du pic du Midi à Madrid, Macron veut prendre de la hauteur

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Trois jours loin de Paris et de l'affaire Benalla. Du pic du Midi à Lisbonne, en passant par Madrid. Et autant de belles images à montrer aux Français, celles d'un président qui manie la proximité aussi bien avec ses concitoyens qu'avec ses homologues européens. Emmanuel Macron s'est offert une parenthèse bienvenue, mercredi  25 et jeudi 26  juillet, profitant d'un déplacement dans les Hautes-Pyrénées, puis d'une visite de travail en Espagne, pour tenter de retrouver un peu d'oxygène, après dix jours empoisonnés par l'affaire Benalla.
Jeudi, en fin de matinée, le chef de l'Etat, qui affiche un sourire ostensible, savoure sa rencontre avec les habitants de La Mongie, la station de ski où, enfant, il passait ses vacances. Quelque cinq cents personnes sont venues l'accueillir. Le président prend les mains qui se tendent, embrasse le front des enfants. Des impatients qui veulent le faire venir vers eux entonnent une Marseillaise. Au même moment, au Sénat, le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, est entendu par la commission d'enquête liée à l'affaire Benalla.
Si, au pied des montagnes, il n'y a personne pour rappeler à Emmanuel Macron les dérapages de son ancien collaborateur, les médias ne le lâchent pas. Ils se glissent dans la foule pour tendre leurs micros, multiplient les questions. " Vous êtes très excités par ces sujets. Moi ça fait deux heures que je suis avec les gens. Vous êtes les seuls à m'en parler ", fait mine de s'esclaffer le président, qui a vivement attaqué la presse ces derniers jours. " Ils sont excités comme tout ", insiste-t-il en se tournant vers les badauds, les prenant à témoin. L'affaire Benalla, " c'est une tempête dans un verre d'eau. Et, pour beaucoup, c'est une tempête sous un crâne ", a-t-il lancé dans la matinée, à Campan, où il rencontrait des agriculteurs.
Puis, le chef de l'Etat inaugure le " ponton du ciel " du pic du Midi de Bigorre, une passerelle suspendue au-dessus de 1 000 mètres de vide, aux côtés de son allié François Bayrou, maire de Pau et président du MoDem, et de Carole Delga, présidente de la région Occitanie. " Le pic, ce point fixe. Même quand tout est bousculé, il y a des choses inaltérables ", commente M. Macron. " Est-ce que vous êtes venu chercher du réconfort ici ? ", lui demande une femme dans la foule. " Non, je suis venu au contact de nos concitoyens avec le même plaisir que d'habitude ", lui répond le président, qui effectue là sa dernière " déambulation " de la journée avant de s'envoler vers Madrid, où il doit dîner avec le roi Felipe VI d'Espagne. Il retrouve d'abord le président socialiste du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, lui aussi au cœur d'une crise politique, pour s'être rendu en avion officiel à un concert.
" Comme à son habitude, le président ne prendra aucune question nationale à l'étranger ", avait exceptionnellement prévenu l'Elysée en amont de ce voyage, consacré à la zone euro et aux migrations. Un code de conduite que le chef de l'Etat respecte de manière aléatoire et auquel il a dérogé, jeudi soir. " Il y a eu par voie de presse un emballement, a-t-il répété. Il y a un président de la République qui est au travail, qui continue et que rien ne troublera. "" Laissons tomber les polémiques artificielles et intéressons-nous aux vrais problèmes des citoyens ", a ajouté Pedro Sanchez, interpellé sur ses propres démêlées, en justifiant l'usage de l'avion par " des règles de sécurité ". Un vrai front européen.
Jean-Baptiste Chastand (Madrid, envoyé spécial), et Virginie Malingre
© Le Monde

28 juillet 2018

L'affaire Benalla creuse le fossé entre le pouvoir et l'administration

Dans les hautes sphères administratives, la recherche des responsables tout comme l'ascension rapide de M. Benalla à l'Elysée dérangent

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Le seul responsable de cette affaire, c'est moi et moi seul. " Dans son discours adressé aux députés de la majorité, mardi 24  juillet, le président de la République a voulu assumer toute la responsabilité des conséquences de l'affaire Benalla, du nom de l'ex-chargé de mission élyséen impliqué dans une opération de maintien de l'ordre musclée le 1er  mai à Paris. Emmanuel Macron a rejeté " la République des fusibles, celle où on fait trinquer un fonctionnaire ici, un collaborateur là ". Faisant mine d'oublier le limogeage du préfet Henri-Michel Comet, en octobre  2017, à la suite d'un attentat perpétré à Marseille, le chef de l'Etat a insisté : " Je ne donnerai pas des têtes parce que je ne fonctionne pas comme ça. "
" Comme avant… "Il n'empêche. La semaine qui vient de s'écouler a particulièrement irrité un certain nombre de hauts fonctionnaires. Malgré les mots présidentiels, qui se voulaient apaisants, beaucoup d'entre eux ont le sentiment de servir, une fois de plus, de boucs émissaires commodes. Et considèrent que la haute fonction publique ne sort pas grandie de l'épisode.
L'ascension rapide de M.  Benalla – qui avait accédé au grade de lieutenant-colonel – a en effet fait grincer des dents dans la gendarmerie, tout comme la manière dont était organisée la protection du chef de l'Etat. " J'ai du mal à comprendre, pourquoi forme-t-on des super gendarmes et policiers du GSPR - groupe de sécurité de la présidence de la République - , alors qu'un ancien vigile militant PS peut assurer la protection du président de la République ? ", a tweeté le 19  juillet l'ancien commandant du GIGN Frédéric Gallois.
Le défilé des hauts fonctionnaires, responsables de police et de gendarmerie ou conseillers de l'Elysée, devant les commissions d'enquête parlementaires a été aussi particulièrement mal perçu. D'autant plus que certains auditionnés ont été sévèrement mis en cause à cette occasion : le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, a notamment chargé le préfet de police de Paris, Michel Delpuech. De son côté, Alexandre Benalla, dans un entretien accordé au Monde, a accusé le directeur de l'ordre public et de la circulation à la préfecture de police de Paris, Alain Gibelin, de mensonge.
Autant de mises en cause qui ont laissé un goût amer dans la haute fonction publique. " C'est choquant, souffle une directrice d'administration centrale (DAC). On se rend compte qu'Emmanuel Macron n'a rien changé, contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer. L'impression que laisse cette affaire, c'est qu'un proche du prince n'avait plus de limites et qu'on demande des comptes aux lampistes. Bref, ça continue comme avant… "
Le chef de l'Etat l'avait dit et répété : s'inscrivant dans une tradition gaullienne, son pouvoir s'appuierait largement sur la haute fonction publique. Il avait souhaité que les ministres travaillent davantage avec les directeurs de leur administration, sans hésiter à limiter les moyens de leur cabinet. Les habitudes sont cependant difficiles à changer et, dans plusieurs ministères, la révolution annoncée n'a pas eu lieu. L'épisode Benalla " décrédibilise le discours sur la revalorisation de la haute fonction publique, poursuit la même DAC. Cela ne va guère inciter les fonctionnaires à prendre des risques, contrairement à ce qui nous était demandé. C'est dommage. "
Or, insiste un haut fonctionnaire qui travaille dans les services du premier ministre, la fonction publique a un rôle décisif dans le respect de l'Etat de droit. " Les décisions politiques ne sont pas toujours sans ambiguïté, note-t-il. Elles ne sont pas toujours au service de l'intérêt général et confinent parfois à des compromissions dangereuses. Dans ce genre de cas, le fonctionnaire est un garde-fou : il est là pour appliquer la loi, point barre, même si le politique lui ordonne le contraire… "
" Bouc émissaire "Pour ce cadre important du précédent quinquennat revenu dans l'administration, l'affaire Benalla est très représentative d'une certaine " confusion du pouvoir "désormais installée au sommet de l'Etat. " Il y a un problème de transparence des délégations. Les titres officiels ne correspondent pas toujours aux fonctions. Souvent, le positionnement est étrange : on ne sait jamais trop qui est habilité à faire quoi… Et  qui irait porter la contradiction à un collaborateur du président de la République ? Personne. "
Un recteur parle, lui, de " perte de sens " : " Beaucoup de responsables politiques ne savent plus ce qu'est la haute fonction publique, regrette-t-il. Ils méconnaissent les grandeurs et les servitudes de notre rôle. La loyauté des fonctionnaires est fondée sur l'attachement à des valeurs et la défense de l'intérêt général. Les élus le comprennent de moins en moins, considérant que nous sommes de simples exécutants, à leur service. Cette dérive s'est beaucoup accentuée ces dernières années : il y a de plus en plus de pression. "
En réalité, l'affaire Benalla " met en lumière un phénomène ancien ", estime un autre haut fonctionnaire, qui souhaite lui aussi rester anonyme : " Un malaise profond entre la haute fonction publique et le pouvoir politique. Il n'est pas nouveau, mais cette affaire le fait monter à ébullition. " Selon ce cadre, " une grande incompréhension "s'est installée au sommet de l'Etat, qui " tient beaucoup au comportement des politiques : ils assument plus difficilement leurs responsabilités et se défaussent plus souvent sur l'administration ".
A Bercy, un inspecteur des finances constate : " Le populisme a le vent en poupe et la haute fonction publique sert de bouc émissaire, regrette-t-il. On flatte les gens en leur expliquant que tous leurs malheurs viennent d'une petite élite dans laquelle la haute fonction publique tient une belle place. La pression des extrêmes est tellement forte que le pouvoir politique en rajoute. Dans le passé, les ministres défendaient davantage leurs fonctionnaires. "
Benoît Floc'h
© Le Monde


28 juillet 2018

L'opposition dénonce une commission juge et partie

Le corapporteur Guillaume Larrivé (LR) a claqué la porte jeudi 26 juillet

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LA MOTION DE CENSURE LR DISCUTÉE MARDI
Le groupe des députés Les Républicains a déposé jeudi 26  juillet une motion de censure du gouvernement, consécutive à l'affaire Benalla. Celle-ci sera discutée mardi 31  juillet à 15  heures. Jeudi,
la présidente du groupe socialiste Valérie Rabault a ouvert la voie au dépôt d'une seconde motion de censure, " de gauche ". Jean-Luc Mélenchon, le premier à avoir évoqué ce scénario mais qui ne disposait pas des troupes nécessaires pour déposer lui-même une motion, a rejoint l'initiative. Mme Rabault et M. Mélenchon ont appelé les élus communistes à se joindre à eux. Les groupes de gauche ont jusqu'à dimanche – date limite de dépôt d'une motion – pour se mettre d'accord sur un texte commun.
Chronique d'un échec annoncé. Jeudi 26  juillet, en fin d'après-midi, le député Les Républicains (LR) Guillaume Larrivé a annoncé ce qui semblait inéluctable depuis plusieurs jours. " Je suis contraint de suspendre ma participation à ce qui n'est devenu, hélas, qu'une parodie ", a déclaré le corapporteur de la commission d'enquête parlementaire lancée à l'Assemblée nationale dans la continuité de l'affaire Benalla. Dans son sillage, l'ensemble des groupes d'opposition ont annoncé qu'ils tournaient également le dos à cette commission censée " faire la lumière sur les événements survenus lors de la manifestation parisienne du 1er-Mai ". Depuis lundi, ses membres tentent, dans un climat très tendu, d'identifier comment fut rendue possible la présence d'Alexandre Benalla, chargé de mission à l'Elysée, place de la Contrescarpe à Paris, où il a molesté deux personnes.
C'est à la suite d'un désaccord entre majorité et opposition sur la liste des personnes auditionnées que la commission d'enquête a implosé. Aux yeux de la première, les vœux formulés par la seconde étaient injustifiés. Mais le casting proposé par la majorité semblait trop restrictif pour les oppositions, de droite comme de gauche. Ces dernières réclamaient notamment de pouvoir auditionner, comme les sénateurs jeudi matin, le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler. Mercredi, le MoDem, allié de la majorité, avait soutenu cette position. Seule La République en marche s'y est opposée.
UltimatumUne audition " inutile ", avait finalement tranché la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, également corapporteure de la commission d'enquête. Cette dernière s'était expliquée en déclarant que " les auditions menées jusqu'à ce jour nous ont montré qu'ils - M. Kohler et d'autres conseillers - n'avaient aucun lien avec cette affaire ". Cette position avait été confirmée par un vote de la commission des lois, où La République en marche est majoritaire. Une étincelle sur la poudrière. " Quand vous avez une affaire qui touche au président de la République et que vous êtes dans la majorité, vous êtes juge et partie ! "ne décolère pas le député communiste Stéphane Peu. Guillaume Larrivé avait lancé un ultimatum de vingt-quatre heures à sa corapporteure pour changer d'avis. En vain.
" La commission a été torpillée par les relais du prince à l'Assemblée. Les macronistes resteront donc entre eux pour bâcler un rapport dont les conclusions leur ont déjà été dictées par l'Elysée ", a dénoncé, jeudi, le député LR. D'autres députés de l'opposition ne disent pas autre chose, évoquant une commission " verrouillée " par la majorité. Les parlementaires -critiques n'ont notamment pas apprécié que Mme  Braun-Pivet tire, mercredi lors d'une conférence de presse, soit trois jours seulement après le début des travaux, des -premières conclusions, évoquant des " dérives individuelles de M. Alexandre Benalla et de certaines autorités de police "" Cette commission a travaillé de façon très correcte ", a défendu, jeudi, Mme  Braun-Pivet. " Nos oppositions ont pu s'exprimer. Elles ne voulaient toutefois pas poser de questions mais en faire une tribune médiatique ", a-t-elle à son tour -dénoncé.
" La commission d'enquête est morte à cause de certains excès de l'opposition et de la servilité et de la partialité de la présidente ", s'indigne pour sa part le député UDI Jean-Christophe Lagarde, -remettant la balle au centre. " C'est consternant car on passe à côté des vrais sujets sur lesquels nous ne pourrons plus enquêter ", insiste-t-il.
La " suspension " de la participation de M. Larrivé ouvre en effet une fenêtre d'incertitudes sur le devenir de cette commission lancée en urgence jeudi 19  juillet après les révélations du Monde. A l'issue des auditions, le rapport attendu devrait être rédigé par Mme  Braun-Pivet, présidente et corapporteure de la commission d'enquête, sans le député de droite. Mais sans la cosignature d'un membre de l'opposition, le rapport final pourrait perdre toute crédibilité politique.
Manon Rescan
© Le Monde

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