C'est une des conséquences de l'affaire Benalla. Les auditions qui se tiennent, depuis le 23 juillet, devant les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat risquent de laisser des traces durables au sein de la hiérarchie policière.
Le comportement décrié de l'ancien chargé de mission élyséen organisant les déplacements du président, en particulier lors d'une manifestation le 1er mai, à Paris, où il était présent en tant qu'observateur, ont révélé les diverses inimitiés et cloisonnements au sein de la maison " intérieur ". L'occasion d'une brutale mise au jour de la crise de confiance larvée, depuis de longs mois, entre les hauts responsables de la police et de la gendarmerie nationale d'un côté, et Gérard Collomb, leur ministre de tutelle de l'autre.
Alors que devant les parlementaires la plupart des hiérarques relevant de l'autorité de M. Collomb se sont efforcés à la contrition et ont assumé bon gré mal gré une part de responsabilité dans les dérives de M. Benalla, le ministre de l'intérieur, lui, entendu en début de semaine, a refusé d'endosser la moindre faute. Une défense perçue par beaucoup de fonctionnaires, au-delà même des cercles syndicaux qui se sont largement exprimés dans les médias, comme une façon inélégante de sauver sa place, même si les faits n'ont pas été démentis par la suite.
Depuis, cette attitude interroge sur la façon dont l'hôte de la Place Beauvau va pouvoir reprendre la main sur ses troupes, alors que, le 24 juillet, le président de la République a pris de court beaucoup de monde en refusant la " République des fusibles ".
Une situation qui questionne au passage, une nouvelle fois, le positionnement de M. Collomb au sein de l'équipe gouvernementale.
Troupes déstabiliséesRares sont ceux, au sein de l'institution policière, qui s'attendaient à l'aveu d'impuissance public du ministre de l'intérieur, les 23 et 24 juillet, lorsqu'il a été interrogé par les députés et les sénateurs. Ses dénégations évasives sur le fait qu'il ne connaissait pas M. Benalla – ou seulement de loin – et son apparente légèreté sur le fait qu'il aurait évoqué le "
moins possible " le dossier Benalla avec M. Macron alors qu'une information judiciaire est ouverte, ont surpris. Ne serait-ce que sur la forme.
Même si M. Collomb a renvoyé certaines balles vers l'Elysée, il a fortement déstabilisé ses troupes en désignant nommément plusieurs de ses interlocuteurs haut placés. Parmi eux : le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, qui a assumé depuis avoir accordé le grade de lieutenant-colonel à M. Benalla au sein de la réserve opérationnelle. Mais aussi le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, à qui il a reproché de l'avoir sous-informé dans cette affaire – une
" note technique " ne lui a jamais été transmise – et d'avoir octroyé un port d'arme à M. Benalla, auquel ses services s'étaient opposés.
Aujourd'hui, Place Beauvau, nul n'est dupe du fait que le ministre sort affaibli
de cet épisode. Mais le style Collomb est ainsi, défend-on dans son entourage :
" On est droit dans nos bottes, on a simplement dit la vérité. " La Préfecture de police (PP) a toujours été un " Etat dans l'Etat ", souvent en lien direct avec l'Elysée. Lors de son audition, M. Delpuech a admis le caractère
" perfectible " de la PP, dont l'autonomie ne date pas de sa prise de fonction. La
" réorganisation " annoncée par M. Macron le 23 juillet pourrait aller au-delà des murs de l'Elysée et s'attaquer à la forteresse PP, veut-on croire au ministère de l'intérieur.
Les mois qui viennent s'annoncent dans tous les cas tendus Place Beauvau. Même si le directeur général de la police nationale (DGPN), Eric Morvan, auditionné le 25 juillet, au Sénat, est apparu plus libéré que ses prédécesseurs.
" J'aurais pris la même décision ", a-t-il assuré en défendant les quinze jours de mise à pied décidés par Patrick Strzoda, le directeur de cabinet de M. Macron, à l'égard de M. Benalla.
" On n'est pas dans un système de -fonctionnaires robots ! ", a plaidé aussi M. Morvan, justifiant la sanction prise en raison de l'écart entre la rigidité du droit - l'article 40 du code de procédure pénale permettant à tout fonctionnaire de dénoncer des faits à la justice - et
" la vraie vie administrative ".
Solidarité de rigueur entre préfets ayant tous les deux travaillé au côté de l'ancien ministre socialiste Bernard Cazeneuve ? Ou façon très flegmatique de resserrer les rangs ? M. Morvan n'en a pas moins admis, le 25 juillet, avoir appris l'affaire Benalla dans la presse.
" Je n'étais pas dans la boucle apparemment restreinte de ceux qui savaient ", a-t-il glissé, sibyllin, devant les sénateurs, alors que c'est à lui, en tant que DGPN, que reviendra in fine la responsabilité des éventuelles sanctions administratives à l'encontre des trois fonctionnaires de la PP mis en examen pour avoir transmis des images de vidéoprotection à M. Benalla. Les trois seuls fonctionnaires de police mis en cause, à ce stade, dans l'affaire Benalla.
Crise de confianceAujourd'hui, les risques de relations fragilisées avec les cercles gestionnaires de la sécurité intérieure sont d'autant plus grands pour M. Collomb qu'ils s'ajoutent à une confiance déjà érodée avec le monde préfectoral. L'éviction, en octobre 2017, du préfet du Rhônes, Henri-Michel Comet, après l'attentat de la gare Saint-Charles, à Marseille, le 1er octobre 2017, a laissé des traces. Celui-ci avait remis en liberté un sans-papiers inexpulsable, qui avait tué deux jeunes femmes trois jours après.
Depuis, des consignes ont été transmises aux préfets pour -placer en rétention tous les étrangers en situation irrégulière, quel que soit leur profil. Une politique appliquée avec scepticisme par les sphères préfectorales, pourtant peu enclines au laxisme sur le sujet.
L'affaire Benalla porte en germe une crise de confiance qui pourrait dépasser la seule base policière, comme l'ont connu de façon sporadique François Hollande ou même Nicolas Sarkozy. Celle-ci guette en effet désormais la hiérarchie, jusque-là toujours habilement ménagée. Exemple parmi d'autres de cette distance : alors qu'il lui était demandé si M. Benalla assurait
" la fonction de garde du corps " de M. Macron, le patron du service de la -protection, Frédéric Aureal, a répondu, lapidaire, aux sénateurs, le 25 juillet :
" Le lien de confiance qui pouvait exister entre le -président et lui, je n'ai pas à le -juger (…)
. Je n'ai pas d'autres -commentaires. "
Une situation à l'image des interrogations plus larges qui traversent les cercles régaliens vis-à-vis de la gouvernance élyséenne. Alors que Place Beauvau on se vit en
" bon soldat ", cette loyauté au président et à son premier ministre rend souvent peu lisible l'action du ministère. Le travail des membres du cabinet de M. Collomb, souvent salué en interne, apparaît régulièrement dilué par la fuite des arbitrages vers l'Elysée ou Matignon, qui s'emparent ensuite de la communication. Un cas de figure qui s'est notamment produit lors du dernier plan de lutte contre le terrorisme présenté le 13 juillet. La création d'un parquet national antiterroriste – mesure très controversée – a été tenue secrète jusqu'au dernier moment, y compris pour les plus hauts responsables de la lutte antiterroriste.
Un mode de gestion qui -complique aussi l'avancement des dossiers peu médiatiques. A l'instar de la crise des vocations en police judiciaire, de plus en plus préoccupante. Selon nos -informations, lors du dernier mouvement de fonctionnaires, la très prestigieuse sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire disposait de plusieurs dizaines de postes ouverts… Mais seules quelques unités ont été pourvues, faute de candidats.
" On sent la haute hiérarchie accaparée par le stratégique et la gestion des événements, mais la réforme de la police de sécurité du quotidien est un tambour vide ", alerte notamment Jérémie Dumont, secrétaire général adjoint du syndicat de la police nationale.
Élise Vincent
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