Un simple café au lait servi dans une boulangerie de Caracas, la capitale du Venezuela, se payait, jeudi 26 juillet, 2 millions de bolivars. Fin avril, la note s'élevait à " seulement " 190 000 bolivars.
S'il est hasardeux de convertir ces montants en euros ou en dollars dans un pays qui jongle entre trois taux de change différents, l'explosion de l'addition nous renseigne mieux sur l'envolée des prix. Celle-ci équivaut à un taux annuel d'inflation de… 1 227 638 %, selon ce
Café con leche Index, inventé en 2016 par l'agence financière Bloomberg pour traquer la valse des étiquettes.
Artisanal, l'indice recoupe à peu près les estimations du Fonds monétaire international (FMI). Lundi, l'institution prédisait une inflation de 1 000 000 % en 2018 au Venezuela, symptôme le plus spectaculaire de la grave crise dans laquelle le pays s'enfonce chaque jour davantage. La situation y est désormais comparable aux épisodes d'hyperinflation vécus par l'Allemagne après la première guerre mondiale, ou par le Zimbabwe à la fin des années 2000, écrit dans un post de blog Alejandro Werner, le directeur du FMI pour l'Amérique latine.
Face à ce dérapage incontrôlable, le président vénézuélien Nicolas Maduro a proposé, mercredi, une solution aux airs de formule magique : la suppression de cinq zéros au bolivar. Le plan avait déjà été annoncé en mars. Il portait alors sur trois zéros, mais n'a jamais été appliqué depuis. Cette fois, la nouvelle monnaie, baptisée le " bolivar souverain ", est censée entrer en circulation à compter du 20 août.
La recette de M. Maduro a, dans le passé, été testée par son prédécesseur, Hugo Chavez. En 2008, celui-ci avait ôté trois zéros à la monnaie. Il s'agissait alors déjà de combattre une hausse de prix forçant à sortir chaque mois toujours plus de bolivars pour l'achat d'un même bien. De fait, l'inflation est un fléau ancien au Venezuela. Mais elle s'est dramatiquement accélérée depuis 2017, avec la débâcle de cette économie qui fut un temps la plus prospère d'Amérique latine.
Le pays devrait voir son produit intérieur brut (PIB) se contracter de 18 % en 2018, selon le FMI. Soit une récession à deux chiffres pour la troisième année de suite. Laminée par des années de sous-investissement et de corruption, la production de pétrole s'est effondrée. Or, le Venezuela n'a quasiment pas d'industrie et tire plus de 90 % de ses revenus des exportations de brut. Aujourd'hui, les réserves de change sont presque vides et les finances publiques, exsangues. Pour couvrir ses dépenses et financer les déficits, le gouvernement s'en remet à la planche à billets, alimentant d'autant l'inflation.
Pénurie de cashActuellement, la plus grande coupure – soit 100 000 bolivars – vaut moins de 1 cent de dollar selon le taux de change pratiqué sur le marché noir. Le Venezuela devient le pays des millionnaires pauvres. Ainsi, le salaire minimal, 5 millions de bolivars mensuels, ne permet même plus de s'offrir un repas. Il a pourtant été relevé quatre fois cette année.
En sus, une pénurie de cash règne à travers le pays, où les retraits quotidiens d'argent liquide sont strictement limités.
" Tout cela conduit à une certaine “
dollarisation”
informelle et au développement d'une économie de troc ", décrit Jean-Paul Leidenz, du cabinet d'analyse vénézuélien Ecoanalitica. Sur place, les récits témoignent de la hausse de ces transactions où une coupe de cheveux s'échange contre des œufs, et du dentifrice contre du lait pour bébé.
Face à tel délabrement, la " reconversion monétaire " annoncée par M. Maduro ressemble fort à une mesure essentiellement symbolique et cosmétique
" Cela a tout d'une réaction désordonnée et désespérée ", juge l'économiste Orlando Ochoa, de l'Université catholique de Caracas. Sans réformes profondes s'attaquant aux causes de l'hyperinflation, souligne M. Ochoa, celle-ci aura tôt fait de réduire la valeur des nouvelles coupures à presque rien.
" La seule solution, c'est un programme de transformation budgétaire et monétaire soutenu par un financement externe, et un plan de réorganisation du secteur pétrolier, énumère-t-il.
Malheureusement, c'est impossible avec Maduro. "
Le président socialiste a été réélu en mai, au terme d'un scrutin dénoncé par une grande partie de la communauté internationale. La détérioration rapide de la situation peut-elle changer les choses ?
" Peut-être qu'en 2019, la crise sociale finira par avoir un impact politique et forcer les chavistes à adopter une politique économique plus raisonnable ", estime M. Leidenz, qui ne prévoit pourtant aucun changement
" rapide ".
En attendant, la crise économique se double d'une crise humanitaire. Les pénuries et l'hyperinflation accélèrent l'appauvrissement de la population. Selon certaines estimations, 80 % des Vénézuéliens seraient dans le dénuement et 1,6 million d'entre eux auraient émigré depuis 2016.
Marie de Vergès
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