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dimanche 1 juillet 2018

HISTOIRE et MEMOIRE - Les Crises.fr - Jour 3 : La douleur persiste 36 ans après le déchaînement mortel. Par Michael D. Sallah et Mitch Weiss

HISTOIRE et MEMOIRE


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30.juin.2018 // Les Crises
                     


Jour 3 : La douleur persiste 36 ans après le déchaînement mortel. Par Michael D. Sallah et Mitch Weiss

Les réminiscences de 1967 ne sont jamais bien loin pour les habitants de la vallée de Song Ve au Vietnam.
VALLÉE DU SONG VE, Vietnam – La fumée de l’encens s’élevait au-dessus de la tombe alors que Tam Hau s’agenouillait sur le monticule herbeux.
Les mains tremblantes, elle priait en silence son oncle qui était tombé sur les soldats il y a si longtemps.
Comme tant d’autres, il n’a pas survécu.
Déchiré par les balles, le corps de Dao Hue a été retrouvé près de la rivière, à 1 km 6 de la maisonnette qu’il partageait avec sa nièce.
Le vieux charpentier fut l’un des premiers civils tués par les soldats de la Tiger Force dans un enchaînement d’atrocités qui ont changé à jamais la vallée du Song Ve.
Les traces sont partout : les tombes non marquées le long des sentiers, le coude de la rivière où les hommes ont essayé de se cacher des soldats, la rizière où les corps ont été retirés de la boue.
Les histoires des troupes tirant sur des civils non armés pendant l’été 1967 sont racontées dans les écoles, les centres communaux et les réunions de prière.
Les villageois âgés décrivent encore les hélicoptères de l’armée en train de larguer des tracts, avertissant les gens de se rendre dans les camps de délocalisation.
En quelques jours, les soldats portant les « écussons de poulets » – l’insigne de l’aigle de la 101e Division aéroportée porté par la Tiger Force – ont regroupé les familles, confisqué leur nourriture et incendié leurs maisonnettes.
Au cours des six semaines suivantes, les membres du peloton ont tué un nombre indéterminé de personnes qui ont refusé d’aller dans les camps délabrés, selon une enquête de The Blade basée sur les dossiers de l’armée et des entretiens avec plus de 100 anciens soldats de la Tiger Force et des villageois vietnamiens.
Jusqu’à ce jour, les morts par balles suscitene de la colère chez ceux qui ont survécu au carnage – certaines personnes demandant que les anciens soldats soient poursuivis en justice.
« Les personnes qui ont commis ces crimes doivent être tenues responsables », a déclaré Vo Thanh Tien, 50 ans, un fonctionnaire provincial local. « Ils ont rendu la vie très difficile pour les gens qui vivent le long de la rivière ».
En sept mois d’atrocités – de mai à novembre 1967 – un tiers a eu lieu dans cette vallée de la province de Quang Ngai, un endroit si éloigné et intemporel que les effets sont visibles des décennies plus tard.
De nombreux villageois ont dit qu’ils continuent de payer le prix pour les actions des soldats qui ont enfreint les règles de la guerre.
« Même après 30 ans, ça fait mal », a dit Mme Tam, maintenant âgée de 70 ans, en montrant du doigt son estomac. « Je me demande pourquoi mon oncle a dû mourir. Il n’avait rien fait de mal ».
Les détails de sa mort sont encore dans les mémoires des gens du hameau de Hanh Tin, un groupe de huttes et de maisons de ciment aux toits d’argile où les gens partagent les routes boueuses et étroites avec les buffles.
Chaque jour, des paysans passent devant sa tombe en se rendant dans les rizières ainsi que des enfants qui se rendent à l’école à pied.
Les villageois plus âgés disent qu’ils ne comprennent toujours pas pourquoi l’homme qui a aidé à construire leurs maisons a été tué. « Il n’a rien fait », a dit Lu Thuan, 67 ans. « Ils lui ont juste tiré dessus. Sans raison. Rien ».
Les villageois continuent de parler des « personnes disparues ».
Le brume qui recouvrait la vallée de Song Ve avait disparu, révélant une bande de rizières.
Vo Tai Can, 12 ans, et ses deux amis n’étaient plus en sécurité.
Les trois enfants avaient essayé de se cacher des soldats pour éviter d’être envoyés dans un camp de relocalisation.
Maintenant, ils étaient dans le champ de vision de la Tiger Force.
En quelques minutes, ils ont été capturés, le garçon emmené par hélicoptère, ses compagnons – des malvoyants d’une vingtaine d’années – ont été conduits dans une rizière.
Sans avertissement, les hommes ont été exécutés, selon les registres de l’armée, leurs corps jetés dans des fosses.
Les deux civils faisaient partie des nombreuses personnes tuées dans la vallée pour ne pas avoir respecté l’ordre de délocalisation de l’armée.
Trente-six ans plus tard, personne ne sait combien d’entre eux ont été exécutés par des membres du peloton pour ne pas être partis. Sur les quelque 5 000 personnes qui vivaient dans la vallée en 1967, certaines ont fui vers les montagnes, tandis que d’autres ont été forcées de vivre dans les camps.
Des centaines de personnes sont toujours portées disparues aujourd’hui.
Les villageois parlent encore des « personnes disparues » – leurs noms et leur lieu de résidence, mais leur localisation reste un mystère.
Ce n’est qu’à la fin de la guerre que les villageois ont commencé à réaliser que beaucoup ne reviendraient jamais.
L’un d’eux était Vo Tai Can.
Peu de temps après sa capture, le garçon au large sourire qui jouait souvent le long des chemins de terre du village de Van Xuan a été envoyé dans un camp de relocalisation, a expliqué Nguyen Dam, un riziculteur de 66 ans. Mais après la guerre, on ne l’a jamais revu dans la vallée.
Comme un membre de la génération perdue, « il était juste disparu », a dit M. Nguyen. « Nous n’avons aucune idée d’où il est allé ».
Certains ont dit qu’il a été forcé de vivre dans le camp de Nghia Hanh, entouré de murs de béton et de barbelés.
M. Nguyen a dit qu’il a peut-être été la dernière personne dans la vallée à voir le garçon alors qu’il était transporté dans l’hélicoptère, mais qu’il n’avait rien pu faire pour l’aider.
De peur d’être tué, M. Nguyen avait fui dans les montagnes.
L’attaque contre les paysans définit la guerre pour beaucoup de gens.
Dans les maisons dispersées dans la vallée se trouvent des certificats de décès portant les noms des personnes tuées par les soldats de la Tiger Force au cours de l’été 1967.
Pour Kieu Trac, le papier est un rappel du dernier jour de son père.
Il faisait partie des 10 fermiers âgés qui travaillaient dans une rizière lorsque les soldats du peloton ont ouvert le feu, tuant quatre d’entre eux.
Des années après, l’attaque du 28 juillet continue de caractériser les années de guerre pour les habitants de la vallée du Song Ve.
Chaque année, les parents prient pour les victimes lors de cérémonies bouddhistes et allument de l’encens et des bougies sur leurs tombes.
Les villageois disent que l’assaut est devenu l’atrocité la plus évidente de 1967 – une atrocité dont ils parlent encore lorsque le sujet de la guerre surgit.
L’attaque a marqué la dernière fois où quelqu’un a librement cultivé des récoltes pendant la guerre, disent les villageois.
Mais plus que l’agriculture, elle a changé les vies.
Soudain, Kieu Trac est devenu le chef de famille – chargé de s’occuper de sa mère, de ses quatre frères et sœurs et de sa propre jeune famille.
« La vie est devenue plus dure », dit M. Kieu, aujourd’hui âgé de 72 ans.
A cause d’une seule attaque brutale, a-t-il dit, il a été contraint d’accepter des responsabilités qu’il assume encore aujourd’hui.
Chaque année, il réunit sa famille – 16 membres vivant dans la même maison en béton et en bambou – pour leur rappeler l’homme qui lui a appris à cultiver la terre.
Kieu Cong était un gentil père de famille qui passait de longues journées dans les champs, avec peu de temps à partager avec ses cinq enfants. Mais quand il rentrait à la maison, il s’asseyait souvent avec son fils et donnait des conseils sur la façon de vivre une vie droite.
« Il m’a dit de ne pas voler », dit-il, les yeux mouillés. « Il m’a encouragé à éviter les mauvaises choses dans la vie ».
Son père ne faisait pas partie du mouvement de guérilla et il n’a pas non plus pris parti dans la guerre, a-t-il dit.
Fixant pensivement l’autel avec de l’encens dans son séjour à l’étroit, il a indiqué le nom de son père sur le mur et dit : « Il voulait juste être un fermier ».
La violence de 1967 a changé des vies pour toujours.
Dans la vallée, une partie d’une génération grandit sans parents et grands-parents.
Dans presque toutes les maisons, il y a une histoire.
Les soldats tirant sur les paysans dans la rizière. Les soldats tirant sur l’ancien du village à la lisière du hameau. Les soldats tirant sur le vieil homme près du coude de la rivière.
« Il y avait tellement de gens qui mouraient », a dit Vo Thanh Tien, un responsable communal.
C’est pourquoi lui et d’autres disent que les gouvernements américain et vietnamien devraient enquêter sur les atrocités commises dans la vallée il y a près de quarante ans.
M. Vo et d’autres ont dit qu’ils voulaient savoir pourquoi l’armée a laissé ses troupes perdre le contrôle, surtout parmi les non-combattants qui n’avaient pas pris parti dans la guerre.
Contrairement à d’autres régions de la province de Quang Ngai, la vallée – reliée à la côte par des routes de terre tortueuses – n’était pas un centre de rébellion, disent les historiens vietnamiens. Pendant des centaines d’années, les paysans se sont installés dans ce bassin fertile, pour y cultiver le riz dans l’une des régions les plus productives du pays.
« Ce sont des gens qui ne faisaient rien de mal », a dit Lu Thuan, qui s’est caché dans les montagnes pour éviter d’être abattu.
M. Vo a déclaré que les attaques contre des civils entre juin et août 1967 étaient des crimes de guerre que les Américains n’ont jamais publiquement admis.
« Nous pensons que le gouvernement américain devrait prendre ses responsabilités et se pencher sur ce qui s’est passé pendant la guerre pour ces gens », a-t-il dit.
Les archives nationales – pour la plupart des rapports de bataillon de 1967 – n’indiquent pas que les villageois de la vallée de Song Ve se sont montrés hostiles aux troupes américaines.
Les anciens membres du peloton de la Force du Tigre ont dit que leur mission était d’arrêter l’agriculture dans le Song Ve pour priver les Viet Cong d’une source potentielle de nourriture.
Au cours d’une enquête de l’armée de 4 ans et demi sur les atrocités commises par la Force du Tigre – de 1971 à 1975 – 14 soldats ont déclaré avoir été témoins ou avoir participé à l’assassinat d’au moins neuf villageois non armés dans la vallée. Mais ce ne sont que des las documentés.
Lors d’entretiens récents avec The Blade, plusieurs anciens soldats de peloton ont déclaré avoir tiré sur de nombreux villageois qui n’ont jamais été comptés parmi les morts.
Plusieurs assauts ont été perpétrés après que la vallée a été déclarée « zone de tir libre » – une désignation militaire souvent interprétée à tort par les soldats comme signifiant qu’ils pouvaient tirer librement sur des civils non armés. Alors qu’il ne permettait aux soldats d’attaquer que lorsqu’ils essuyaient des tirs, et seulement de tirer sur l’ennemi, et non sur des civils non armés.
Aucun registre n’a été tenu sur le nombre de personnes tuées par la Tiger Force dans la vallée de Song Ve, ont déclaré plusieurs anciens membres du peloton.
« Nous avons tué tout ce qui marchait », se souvient l’ancien sergent William Doyle, chef d’équipe de peloton. « Peu importe qu’il s’agisse de civils. Ils n’auraient pas dû être là ».
Pour les jeunes de la vallée, on se demande encore pourquoi l’armée a tué tant de villageois.
La petite-fille d’un fermier abattu par des soldats de la Tiger Force a dit qu’elle est toujours troublée par sa mort. « Ce n’était qu’un civil. Il n’était qu’un fermier », dit Kieu Thi Lan, 29 ans, enseignante de maternelle.
Comme tant d’autres qui sont nés après la guerre, elle dit que d’autres membres de sa famille lui parlent souvent de son grand-père, Kieu Cong.
Sa voisine, Nguyen Thi Que, 37 ans, a appris comment est morte sa mère par des membres de sa famille.
Elle a dit qu’elle avait 6 mois quand sa mère a été tuée par balle par un soldat en juin 1967 – son corps a été laissé dans un bunker.
« Quand je pense à ma mère, je suis en colère à cause des soldats américains qui l’ont tuée. »
Maintenant mère de trois enfants, elle dit qu’elle pense souvent à la façon dont sa vie aurait pu être différente si sa mère était encore en vie. « Quand je regarde mes amies avec leurs mères, je suis triste », dit-elle en se tenant debout dans une rizière, sa fille de 9 ans jouant à ses côtés.
Même les villageois plus âgés qui ont vécu la guerre disent qu’ils ne peuvent pas fournir les réponses.
A genoux devant la tombe de son oncle, Tam Hau secouait lentement la tête en parlant de Dao Hue, un veuf sans enfants.
L’homme de 68 ans transportait des oies à sa hutte après avoir traversé à gué la rivière Song Ve lorsqu’il a été abattu par un lieutenant de la Force du Tigre.
« C’était un homme pauvre », dit-elle. « C’était quelqu’un de gentil. Il n’avait jamais fait de mal à personne. Pourquoi lui ont-ils fait ça ? »
(Histoire publiée le 21 octobre 2003)
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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Commentaire recommandé

RGT // 30.06.2018 à 08h20
Mes parents étaient allés dans les années 90 à Hanoï pour des séminaires médicaux.
L’accueil avait été très chaleureux et ils ont lié des liens très forts avec de nombreux médecins vietnamiens qui étaient très heureux de rencontrer des médecins français.
Au hasard des discussions (mes parents ayant vécu les souffrances de la guerre de manière importante) ils en étaient venus à discuter de la guerre.
Les vietnamiens leur avaient alors révélé qu’en tant que civils ils avaient une rancœur importante vis à vis des USA, largement pire que celle que les français avaient pu ressentir vis à vis des allemands.
Ils se souvenaient particulièrement des bombardements massifs des B52 sur les populations civiles durant lesquelles des villes entières étaient réduites à des monceaux de gravats, les quelques survivants étant enterrés vivants sous les décombres.
Ils disaient qu’ils ne pouvaient RIEN faire : La stratégie du “tapis de bombes” avait pour seul objectif de faire un maximum de victimes civiles et de détruire TOUS les bâtiments sans aucun discernement.
Les B52 volaient si haut qu’il était impossible de prévoir leur arrivée et si on en apercevait un il était de toutes façons beaucoup trop tard car il avait déjà fini de larguer sa cargaison mortelle.
“Nous avions l’impression d’être dans une fourmilière écrasée par un éléphant”…
La “Tiger Force”, bien qu’étant ignoble, n’était pas la pire arme utilisée par les stratèges US.
Les équipages de ces raids de bombardements contre des cibles civiles étaient responsable de massacres largement plus importants mais ils étaient moins “sensibilisés” à leurs crimes car à plus de 10 000 m d’altitude il est impossible de voir le sang des victimes projeté sur les murs.
Et les hauts gradés le savaient bien : Si l’URSS n’avait pas elle aussi possédé des “bombinettes” ils ne se seraient pas gênés pour larguer des tapis de bombes thermonucléaires sur les villes “rebelles”.
Pour les plus hauts responsables de toutes armées du monde les civils ne sont que des “nuisibles” juste bons à être exterminés jusqu’au dernier afin de “stériliser” le champ de bataille.
Et par tous les moyens.
Il suffit juste d’éviter d’être pris la main dans le pot de confiture.

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