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mercredi 4 juillet 2018

Centres de rétention : des associations dénoncent des « abus » de la politique d’enfermement des migrants




Centres de rétention : des associations dénoncent des « abus » de la politique d’enfermement des migrants

LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par 
Davantage de migrants ont été enfermés en 2017 dans des centres de rétention. Une politique coercitive peu efficace, seuls 40 % d’entre eux ont été expulsés.


Au centre de rétention du quartier du Canet, à Marseille.

Au centre de rétention du quartier du Canet, à Marseille. BORIS HORVAT / AFP

Des abus répétés et de tristes records : le rapport annuel sur les centres de rétention administrative, présenté mardi 3 juillet par six associations d’aide aux migrants (AssFam, Forum Réfugiés, France Terre d’asile, la Cimade, l’Ordre de Malte et Solidarité Mayotte), dresse un bilan sévère de la politique de la France vis-à-vis des migrants.

25 274 personnes enfermées, dont 304 enfants

Les centres et locaux de rétention administrative (CRA et LRA) sont des« prisons qui ne disent pas leur nom », selon David Rohi, responsable de la rétention à la Cimade. Les étrangers en situation irrégulière ne sont pas « détenus » mais « retenus », car ils sont enfermés par l’administration et non par des juges, en attendant d’être renvoyés vers leur pays d’origine ou un autre pays de l’Union européenne.
+ 10 %
Au cours de l’année 2017, 25 274 personnes de 140 nationalités différentes ont été enfermées en métropole, et 19 683 personnes en outre-mer, principalement dans le CRA de Mayotte, le plus grand de France, qui a vu défiler à lui seul 17 934 personnes.
Si les chiffres en outre-mer ont décru par rapport à 2016, les associations déplorent une hausse de près de 10 % du nombre de placements d’étrangers dans les centres de rétention de métropole en 2017, soit des niveaux comparables aux débuts de la crise migratoire en 2014, alors que trois centres sont restés fermés durant toute l’année, à Hendaye, à Strasbourg et à La Réunion.

La rétention d'étrangers a augmenté de 10 % en métropole en 2017

Le placement dans des centres ou locaux de rétention administrative s'est accentué en 2017, sauf en outre-mer. Environ 1 150 personnes ayant été transférées d'un CRA à l'autre sont comptées deux fois.
010000200003000040000en métropoleen outre-mer20102011201220132014201520162017
SOURCE : CIMADE
Les associations déplorent en particulier le doublement du nombre d’enfants placés en CRA avec leur famille pour faciliter leur expulsion : ils étaient 304 en 2017, contre 172 l’année précédente, et seulement 41 en 2013. L’enfermement de mineurs, contraire aux droits de l’enfant, a étécondamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, et la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, ont dénoncé récemment cette expérience traumatisante pour des enfants parfois très jeunes — plus de la moitié d’entre eux avaient moins de 7 ans.

Le nombre d'enfants en rétention administrative au plus haut depuis cinq ans

Etrangers de moins de 18 ans placés dans des CRA de métropole, selon les rapports de la Cimade (jusqu'en 2015) et de contrôleur général des lieux de privation de liberté.
010020030040035631299414510617230477201020112012201320142015201620172018 (janv-avril)
SOURCES : CIMADECGLPL

Un taux d’éloignement en baisse

La Cimade dénonce « l’emballement de la machine à expulser » qui conduit à des procédures abusives : « Plus les préfets enferment hâtivement sans examiner les situations individuelles, plus les violations de droits se multiplient : les libérations par les juges atteignent un niveau record de 40 %, alors qu’on n’avait jamais atteint plus de 34 % depuis 2010 », déplore M. Rohi. Ainsi, l’enfermement des « dublinés », les étrangers ayant laissé leurs empreintes dans un autre pays de l’Union européenne, a été poursuivi durant toute l’année alors qu’il avait été jugé illégal en septembre 2017.

Plus de la moitié des étrangers placés en rétention ont été libérés en 2017

Le taux de 40,7 % de libération par les juges constitue un record selon les associations.
0 %10 %20 %30 %40 %50 %40.7 %11.4 %4.2 %1.4 %23.2 %17.2 %2.6 %32.3 %16.6 %3.7 %1.2 %25.1 %18.9 %2.2 %Métropole 2017Métropole 2016libération par les jugeslibération par la préfectureexpiration du délai légalassignation à résidencerenvoi vers un pays hors del'Union européennerenvoi vers un pays de l'UEautres
SOURCE : CIMADE
En outre-mer, et en particulier à Mayotte, un statut dérogatoire rend difficile l’accès au juge, et la plupart des expulsions se décident très rapidement d’où un taux d’éloignement de 94 %. Mais en métropole, la rétention administrative, qui est l’option la plus coercitive, après la notification d’obligation de quitter le territoire (OQTF), l’aide au retour ou l’assignation à résidence, n’aboutit pourtant à une expulsion que dans 40,4 % des cas. Un taux d’« efficacité » en recul par rapport à 2016 (44 %).

Des taux d’expulsions très inégaux

D’un centre à l’autre, le taux d’expulsion varie fortement : il n’est que de 18 % à Rennes, et de 27 % à Coquelles, près de Calais, contre 59 % à Lyon et 69 % à Perpignan.

Le taux d'éloignement varie fortement selon les centres de rétention administratifs

Sort des personnes retenues dans les CRA de France métropolitaine en 2017.
01000200030004000Autres/inconnuAssignésLibérésEloignésVincennesMesnil-AmelotCoquellesLilleMetzLyon-Saint-ExupéryMarseille Le-CanetOisselRennesToulouseNiceNîmesPerpignanPalaiseauPalais de justice de ParisSètePlaisirBordeaux
SOURCE : CIMADE
Les associations attribuent ces fortes disparités aux différentes sensibilités des juges de la liberté et de la détention, mais aussi à un détournement des centres de rétention à des fins politiques. « Le but n’est pas tant d’expulser les étrangers que de les éloigner de leurs lieux de campement pour éviter qu’ils ne se reforment, comme à Calais ou à Paris », estime M. Rohi. En effet, parmi les nationalités les plus représentées en centre de rétention figurent des Afghans, Irakiens ou Erythréens, qui proviennent de pays à risque, où la France ne peut en théorie pas les renvoyer. Mais elle peut les expulser vers le pays d’Europe où ils sont arrivés.

Les Algériens sont les plus nombreux en rétention, mais les Albanais sont les plus souvent expulsés

Principales nationalités présentes en centres de rétention, et nombre de décisions d'éloignement en 2017
0500100015002000250030003500317728802103204217641143867801719550542516510497458108421666764655629297628529321019214720019360personnes retenuespersonnes éloignéesAlgérienneAlbanaiseMarocaineAfghaneTunisienneRoumaineIrakiennePakistanaiseSoudanaiseGuinéenneMalienneEgyptienneSénégalaiseIvoirienneErythréenne

15 % de rétention en plus après l’attentat de Marseille

L’attentat commis le 1er octobre à la gare Saint-Charles, à Marseille, par un Tunisien qui était en situation irrégulière et aurait dû se trouver en rétention a constitué un coup d’accélérateur. Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, avait exhorté, fin novembre, les préfets à « agir rapidement » pour expulser davantage, mais l’événement avait déjà eu des répercussions sur l’arrestation et l’enfermement d’étrangers en situation irrégulière.
Les Algériens, Tunisiens et Marocains ont été les premières victimes de cette politique du chiffre, avec un « pic » d’entrée dans les centres de rétention dès le mois d’octobre.

Le nombre de Maghrébins en centre de rétention a presque doublé après l'attentat de Marseille le 1er octobre 2017

Evolution mensuelle des cinq premières nationalités des personnes en centre de rétention en métropole.
50100150200250300350400450AlgérieAlbanieMarocAfghanistanTunisieJanvierFévrierMarsAvrilMaiJuinJuilletAoûtSeptembreOctobreNovembreDécembre
Décembre
 Algérie: 322
 Albanie: 209
 Maroc: 202
 Afghanistan: 124
 Tunisie: 166
SOURCE : CIMADE
Si le nombre d’étrangers enfermés a augmenté de 15 % à l’automne, cela ne s’est pas traduit par un plus grand nombre d’expulsions, au contraire : on constate proportionnellement une augmentation des libérations judiciaires ou administratives durant les trois derniers mois de l’année.

Hausse des rétentions constatée après l'attentat de Marseille, le 1er octobre 2017

Les associations dénoncent une augmentation des arrestations hâtives, se traduisant par des libérations judiciaires.
050010001500200025003000Inconnu/autrePersonnes libéréesPersonnes assignéesPersonnes éloignéesJanvierFévrierMarsAvrilMaiJuinJuilletAoûtSeptembreOctobreNovembreDécembreInconnu
SOURCE : CIMADE

Une durée plus longue, pas forcément plus efficace

12,8 JOURS EN MOYENNE
Au-delà de la description du fonctionnement des centres de rétention, le rapport 2017 est un plaidoyer contre la nouvelle loi asile et immigration, en cours d’examen au Parlement. L’allongement de la durée de rétention, de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, est notamment critiqué pour son inefficacité. En effet, la durée moyenne de séjour est bien loin de ce maximum, et reste à 12,8 jours, très proche de l’an dernier (12,7 jours).
Les données compilées par les six associations d’aide aux migrants montrent que la moitié des expulsions sont en réalité prononcées dans les dix premiers jours de rétention. « Garder des personnes trois mois va créer des tensions alors que les centres sont déjà pleins, craint M. Rohi. Il y a des tentatives de suicide, des automutilations, des bagarres. Tout le monde est très inquiet : les associations, les médecins et les présidents des centres eux-mêmes. » A Marseille, un Albanais est mort en décembre 2017après s’être pendu durant sa rétention.

La moitié des expulsions ont lieu dans les dix premiers jours de rétention

Nombre de mesures d'éloignements prononcées en fonction de la durée de l'enfermement (en jours).
0100025050075012501er jour3e jour5e jour7e jour9e jour11e jour13e jour15e jour17e jour19e jour21e jour23e jour25e jour27e jour29e jour31e jour33e jour35e jour37e jour39e jour41e jour43e jour45e jour
SOURCE : CIMADE
Mise à jour à 13 h 30 : correction d’une formulation sur l’attentat de Marseille.

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