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vendredi 29 juin 2018

HISTOIRE et MEMOIRE - Les Crises.fr - Jour 2 : L’enquête s’est terminée sans que justice soit faite. Par Michael D. Sallah et Mitch Weiss

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                                  Les Crises


27.juin.2018 // Les Crises


Jour 2 : L’enquête s’est terminée sans que justice soit faite. Par Michael D. Sallah et Mitch Weiss





 suite de notre mini série – Prix Pulitzer 2004 du journalisme d’investigation
L’armée a étayé de nombreuses accusations – puis a abandonné l’affaire des crimes de guerre au Vietnam.
Sept ans après avoir quitté le Vietnam, James Barnett a craqué.

Hanté par le massacre de civils, l’ancien sergent de la Tiger Force a invité des enquêteurs de l’armée à son domicile pour leur offrir des aveux inattendus.
Il a admis avoir tiré sur une jeune mère désarmée. Il a admis que son peloton traitait cruellement les villageois.
Il a demandé l’immunité contre toute poursuite, mais en fin de compte, il n’a jamais eu besoin de protection juridique.
Personne n’en aurait besoin.
Bien que l’armée ait prouvé 20 crimes de guerre commis par 18 soldats de la Tiger Force en 1967 – avec de nombreux témoins oculaires – aucune inculpation n’a été déposée.
Une enquête qui aurait dû faire justice à la plus longue série d’atrocités commises par une unité de combat américaine au Vietnam a atteint le Pentagone et la Maison-Blanche, mais jamais un tribunal – ni le public américain.
Au lieu de cela, l’affaire a été enfouie dans les archives de l’armée et les principaux suspects ont été autorisés à poursuivre leur carrière militaire.
À la fin de l’enquête, un système judiciaire qui promettait de poursuivre les criminels de guerre a fini par les protéger.
À chaque fois, le système a échoué.
Une enquête de huit mois menée par The Blade, basée sur des milliers de documents militaires et d’entrevues, montre que :
  • Les officiers étaient au courant des atrocités commises par le peloton en 1967, mais ils ont refusé d’enquêter.
  • Les soldats se sont rendus auprès des officiers de l’armée en 1967 pour se plaindre du meurtre de civils, mais leurs demandes ont été ignorées.
  • Les enquêteurs de l’armée ont appris les atrocités en février 1971, mais il a fallu un an pour interroger les témoins.
  • Deux enquêteurs de l’armée ont fait semblant d’enquêter tout en encourageant les soldats à se taire pour ne pas être poursuivis.
  • Lorsque l’enquête s’est achevée en juin 1975, six suspects-clés ont été autorisés à quitter l’armée – échappant ainsi à l’action des procureurs militaires.
Lorsque le rapport final de l’armée est parvenu aux officiers supérieurs en 1975 en vue d’éventuelles poursuites contre quatre suspects restants, les enquêteurs ont fourni des informations inexactes et parfois incomplètes.
Dans trois cas où le rapport final accusait les gens de « meurtre », les commandants n’ont rien fait.
Les enquêteurs ont découvert que cinq autres soldats avaient commis des atrocités, mais leurs noms n’ont jamais été mentionnés dans le rapport final.
Quatre experts juridiques militaires qui ont examiné le rapport pour The Blade se sont demandé pourquoi l’affaire a été classée si brusquement.
« Il aurait dû y avoir une enquête [du grand jury militaire] sur cette affaire », a déclaré le lieutenant-colonel à la retraite Wayne Elliott, ancien professeur de droit de l’Armée de terre. « Je n’arrive pas à croire que ce n’était pas quelque chose de si important au Pentagone. »
L’enquête de 4 ans et demi de l’armée a commencé en 1971.
Dans une histoire qui n’a jamais été racontée, le peloton d’élite a incendié des villages, exécuté des prisonniers et massacré un nombre incalculable de civils non armés entre mai et novembre 1967, selon les archives de l’armée.
Lors d’entretiens récents avec The Blade, d’anciens membres du peloton affirment que des centaines de personnes ont été tuées – en violation du droit militaire et des Conventions de Genève de 1949.
L’unité volontaire de 45 hommes de la 101ème Aéroportée – créée en 1965 pour localiser l’ennemi dans la jungle – fut envoyée sur les Hauts Plateaux du Centre du Sud Vietnam pour aider à empêcher les Nord-Vietnamiens de s’emparer de la région.
Mais à mesure que la guerre s’intensifiait, les soldats du peloton ont commencé à tuer les villageois sans discrimination.
Les atrocités ont été gardées secrètes jusqu’en 1971, lorsque l’armée a entamé une enquête qui a duré 4 ans et demi, conduisant des agents dans 63 villes des États-Unis, de l’Allemagne, de la Corée et des Philippines.
Plus de trois décennies plus tard, le porte-parole de l’armée Joe Burlas a déclaré qu’il ne pouvait pas expliquer les défaillances dans la plus longue affaire de crimes de guerre du Vietnam.
Mais une chose est claire : les preuves des atrocités ont atteint les niveaux supérieurs du gouvernement.
Les synthèses de l’affaire Tiger Force ont été transmises en 1973 à la Maison-Blanche du Président Richard Nixon et aux bureaux du Secrétaire à la Défense James Schlesinger et du Secrétaire de l’Armée Howard « Bo » Callaway, selon les archives nationales.
Par l’intermédiaire de son secrétaire, M. Schlesinger a refusé de commenter. M. Callaway a dit qu’il ne se souvenait pas de l’enquête.
Au-delà de la hiérarchie militaire, il y avait une autre solution de recours en place où l’affaire pouvait être entendue.
Un comité spécial américain a été créé à la suite du massacre de My Lai de 1968 – le meurtre d’environ 500 civils vietnamiens par une unité de l’armée – pour examiner les cas de crimes de guerre afin d’empêcher les dissimulations.
Mais le comité, connu officieusement sous le nom de Groupe de travail sur les crimes de guerre et composé de six officiers militaires, ne s’est jamais réuni, selon quatre de ses membres.
Plus de 2 000 pages de témoignages – y compris les aveux de 1974 de l’ancien sergent de peloton Barnett – ont été enfouies dans les archives de l’armée pendant des années.
M. Barnett, décédé en 2001, a résumé les actions de son peloton aux enquêteurs lorsqu’ils se sont rendus chez lui au Tennessee : « La plupart de ces incidents pourraient être considérés comme des crimes de guerre aujourd’hui. »
Les chefs militaires n’ont rien fait pour mettre un terme aux atrocités.
Il y a trente-six ans, le capitaine Carl James a fait une visite surprise dans la vallée de Song Ve.
Il espérait rencontrer le nouveau chef de peloton pour parler d’approvisionnement, mais au lieu de cela, il l’a trouvé se tenant debout sur le cadavre d’un fermier âgé.
Il n’y avait pas d’armes ou de tirs ennemis dans la zone.
Il a demandé au lieutenant James Hawkins pourquoi il avait tué l’homme non armé, se souvient M. James lors d’une récente interview.
Mais le chef de peloton n’a pas pu fournir de réponse.
M. James a dit qu’il a admonesté le lieutenant ce jour-là en juillet 1967, mais qu’il n’a jamais déposé de plainte comme l’exige la loi militaire.
« Je pensais avoir réglé le problème en l’avertissant », a dit M. James.
Sa réticence à aviser les responsables de l’armée a été l’un des premiers manquements connus des officiers à enquêter sur les pratiques de la Tiger Force – et à mettre fin au massacre.
À de nombreuses reprises, les chefs de bataillon étaient au courant des atrocités, mais n’y ont pas mis fin.
Par exemple :
  • Harold Austin, l’ancien commandant de bataillon qui a supervisé la Tiger Force, a déclaré dans un récent interview que son quartier général a reçu des rapports selon lesquels des soldats mutilaient les corps de Vietnamiens morts au début de 1967, mais aucune enquête n’a été menée.
  • Le lieutenant Donald Wood et le sergent Gerald Bruner se sont plaints à plusieurs reprises à leurs supérieurs en août 1967 au sujet de soldats de la Tiger Force qui tuaient des civils, selon les déclarations de témoins. Mais il n’y a pas eu d’enquête.
  • Le Capitaine Robert Morin a dit aux responsables de l’Armée qu’il a assisté à une fête des officiers en 1967 où plusieurs officiers ont plaisanté au sujet de soldats de la Tiger Force qui avaient noyé un fermier dans la rivière Song Ve. Mais encore une fois, pas d’enquête.
M. Hawkins a déclaré dans une récente interview qu’il ne se rappelle pas avoir été réprimandé dans la vallée de Song Ve pour avoir tué un agriculteur âgé, mais a admis avoir tiré sur des civils qui refusaient de déménager dans des camps de relocalisation.
La plupart des commandants ne voulaient pas poursuivre une enquête sur Tiger Force parce qu’ils craignaient de trouver des crimes de guerre, a déclaré Bradford Mutchler, ancien chirurgien de bataillon, aux enquêteurs en 1975.
« C’était quelque chose que tu essayais juste de balayer sous le tapis et d’oublier parce que tu ne voulais vraiment pas savoir si c’était vrai ou non. »
Les enquêteurs n’ont pas suivi leurs propres règles.
Tout a commencé par un renseignement en 1971 : un soldat de la Tiger Force avait décapité un bébé vietnamien.
La déclaration de l’ancien sergent Gary Coy déclenchera une enquête de l’armée qui durera jusqu’en 1975.
Menée par un agent de terrain à Los Angeles, l’affaire a finalement fait appel à plus de 100 agents pour questionner 137 personnes. Dans les années qui ont suivi le massacre de My Lai en 1968, les responsables militaires ont promis de prendre les crimes de guerre au sérieux.
Mais une inspection de milliers de dossiers de l’affaire Tiger Force montre que les agents n’ont pas suivi leurs propres règles.
Ils étaient censés enquêter dès le dépôt de la plainte. Ils étaient censés surveiller les principaux suspects. Ils étaient censés retrouver les victimes.
Ces procédures ont été ignorées, compromettant gravement une enquête qui allait révéler certaines des pires atrocités de la guerre.
Au moins six suspects ont été autorisés à quitter l’armée pendant l’enquête, échappant ainsi à d’éventuels procès en cour martiale. L’armée aurait pu mettre fin à leurs démobilisations tant que l’affaire était en cours. Trois autres suspects sont morts au combat.
Alors que les suspects étaient autorisés à quitter l’armée, les témoins l’étaient aussi. Comme il a fallu un an aux enquêteurs pour donner suite à la plainte de M. Coy, 11 soldats ont été libérés et ne pouvaient être contraints de témoigner.
D’autres témoins incluaient des civils vietnamiens. Mais les enquêteurs américains n’ont pas voulu se rendre au Sud-Vietnam pour retrouver des témoins – une pratique dans de tels cas, selon les archives nationales.
Trente-six ans plus tard, The Blade s’est rendu au Vietnam et a trouvé 11 villageois qui connaissaient les détails précis de trois atrocités commises par la Tiger Force.
Même lorsque les soldats ont fourni des détails clairs sur les crimes, les enquêteurs n’ont pas poursuivi les pistes.
Lorsque M. Barnett a invité des enquêteurs chez lui en 1974, l’ancien sergent a admis avoir tué la mère d’un enfant de six mois – mais il a dit que c’était sur les ordres de son chef d’équipe, le sergent Harold Trout.
Il a dit qu’il lui a tiré dessus avec un fusil après qu’un médecin lui eut donné un sédatif et que le sergent Trout l’eut escortée dans un bunker.
Lorsque le sergent et la femme sont sortis du refuge, a dit M. Barnett, son chef d’équipe lui a dit « de la buter », a-t-il dit aux enquêteurs.
« Je sentais que ce n’était pas bien », a-il-dit, « mais je pensais que je faisais mon travail quand je l’ai fait. C’était, pour moi, comme n’importe quel autre jour au Vietnam. »
Il a identifié un autre témoin, mais les enquêteurs n’ont pas interrogé le soldat au sujet de l’affaire, selon les dossiers. Le sergent Trout a refusé de parler aux enquêteurs en 1973 et a récemment refusé de parler à The Blade. La guerre « a eu lieu il y a longtemps », a-t-il dit, « et maintenant je ne veux réellement rien dire à ce sujet. »
Au-delà des défaillances, un autre aspect de l’affaire soulève des questions troublantes quant à savoir si les agents de l’Armée de terre ont fait tout leur possible pour protéger les soldats.
Deux anciens soldats de la Tiger Force – y compris un ancien suspect de meurtre – ont déclaré lors de récents entretiens qu’ils étaient encouragés par les enquêteurs à ne rien dire – des violations manifestes du droit militaire.
Dan Clint, qui n’était pas un suspect de crime de guerre, a dit à The Blade qu’il a été contacté pour un deuxième entretien au cours de l’enquête par l’agent Robert DeMario.
« Il a dit, “Hey, faites-moi une faveur. Dites que vous ne vous souvenez de rien, pour que je puisse en finir avec ça” », a dit M. Clint.
Et il a obéi à l’agent. Lors de son entretien avec M. DeMario le 17 janvier 1974, M. Clint a déclaré qu’il n’avait vu aucun crime de guerre.
Mais ce n’était pas vrai.
Dans un récent entretien avec The Blade, il a déclaré qu’un sergent de la Tiger Force a violé une personne du village, et que des soldats ont tiré sur des civils et des prisonniers qui ne représentaient aucune menace. « Les meurtres n’ont pas été freinés », a-t-il dit.
M. DeMario est décédé en septembre 1984.
L’autre ancien soldat de peloton qui a déclaré qu’on lui avait dit de ne pas signaler les crimes de guerre était William Doyle. L’ancien sergent et suspect de meurtre dans l’enquête a dit qu’il a suivi les conseils de l’agent.
Les dossiers montrent qu’il a été interviewé le 17 février 1975 à Saint-Pétersbourg, en Floride, et qu’il a répondu « pas de commentaire » à la question de savoir s’il était au courant des crimes commis par les soldats de la Tiger Force.
Mais lors d’un récent entretien, il a déclaré non seulement avoir été témoin de l’assassinat de villageois non armés, mais aussi les avoir commis.
« Si vous vouliez presser la détente, vous avez pressiez la détente. Si vous vouliez brûler un village, vous le brûliez. Tu fais ce que tu veux. Qui va te dire quelque chose ? »
Il a refusé de donner le nom de l’enquêteur qui lui a dit de se taire. « Il m’a informé de ce qui se passait, de ce qu’ils cherchaient et de ce qu’ils essayaient de faire », a dit M. Doyle, maintenant âgé de 70 ans et vivant dans le Missouri.
Le rapport final jette le doute sur des cas essentiels
Malgré les problèmes de l’enquête, les agents de l’armée ont corroboré 20 crimes de guerre, y compris des meurtres.
Cela signifie qu’il y avait suffisamment de preuves pour démontrer l’existence d’un motif probable dans ces affaires, ce qui était essentiel à la poursuite.
Mais les enquêteurs ont donné une version différente des événements aux commandants.
Dans le rapport final de 1975 sur les poursuites possibles, l’enquêteur principal Gustav Apsey a présenté des informations incomplètes ou inexactes sur les crimes – jetant le doute sur des cas-clés.
Par exemple, personne n’a contesté le fait que les soldats de la Tiger Force ont tiré sur 10 fermiers âgés dans la vallée de Song Ve en juillet 1967.
Le seul débat entre les quatre soldats qui ont parlé aux enquêteurs était de savoir combien d’agriculteurs ont été frappés par des balles.
Mais dans le rapport, M. Apsey a inexplicablement affirmé qu’il ne pouvait pas prouver que l’atrocité a eu lieu.
Il manquait dans son rapport les déclarations sous serment de quatre soldats qui avaient été témoins oculaires de l’événement.
Spécialiste William Carpenter : « Nous avons tué une dizaine de fermiers, puis nous avons cessé le feu. »
Sgt Forrest Miller : « Nous n’avions subi aucun tir venant du village et des gens dans le champ, une dizaine de personnes, hommes et femmes, ont été abattus ».
Les déclarations des deux autres étaient essentiellement les mêmes : les fermiers ont été abattus sans sommation.
Dans une autre faille majeure de l’affaire, M. Apsey a conclu que des soldats non identifiés étaient impliqués dans l’attaque. Mais ce n’était pas exact : le lieutenant James Hawkins a été identifié par deux soldats comme étant à la tête de l’assaut.
En fait, l’un d’eux a dit que le lieutenant avait donné l’ordre de tirer sur les fermiers.
Lors d’une récente entrevue avec The Blade, M. Hawkins a admis qu’il avait ordonné la fusillade.
Il a affirmé que les agriculteurs auraient dû se trouver dans un camp de relocalisation et non dans un champ agricole.
« Tout ce qui se trouvait dans [cette zone] était un jeu. Si c’était vivant, on pouvait l’éliminer. »
D’autres cas dans le rapport final contenaient des informations inexactes.
Les enquêteurs ont interrogé quatre soldats qui avaient été témoins du massacre de femmes et d’enfants dans trois bunkers souterrains près de Chu Lai, mais le rapport final a fourni des informations mensongères.
Dans ce rapport, M. Apsey a écrit qu’il ne savait pas si ces personnes tuées étaient des combattants.
Mais tous les soldats qui avaient assisté à l’événement ont dit aux enquêteurs que les personnes qui se cachaient dans les bunkers comprenaient des femmes et des enfants, et que personne ne portait d’armes.
Un témoin, l’ancien soldat de peloton Ken Kerney, a déclaré dans une déclaration sous serment « qu’il n’y avait aucun signe que les personnes tuées étaient liées à l’ennemi ».
Il a dit qu’il a vu les enfants courir dans les bunkers mais n’a jamais amené d’interprète à l’entrée pour leur ordonner de sortir.
Dans les dossiers de l’armée sur l’incident – non mentionnés dans le rapport final – le soldat Kerney a dit aux enquêteurs que la Tiger Force avait reçu l’ordre de se rendre au village.
A l’arrivée des membres du peloton, « tout le monde s’est précipité dans les bunkers. Aucun interprète n’était disponible pour parler aux gens. Mais la Tiger Force savait quoi faire. »
Ils ont jeté des grenades dans les ouvertures.
Plus tard, une fouille des bunkers « n’a montré aucun signe d’activités des Viet Cong » ou d’autres liens avec l’ennemi.
Deux autres allégations de crimes de guerre corroborées par les enquêteurs de l’armée n’ont jamais été mentionnées dans le rapport final : une attaque par balles contre plusieurs villageois non armés près de Chu Lai, et le meurtre de deux hommes malvoyants dans la vallée de Song Ve.
Lors d’un récent entretien, M. Apsey a déclaré qu’il ne pouvait pas expliquer pourquoi le rapport contenait des informations inexactes.
« Quand j’y pense maintenant, ça me préoccupe. J’ai merdé. Je ne sais pas quoi dire d’autre », dit-il. « Le meurtre de femmes et d’enfants dans les bunkers était “un crime de guerre”. Il n’y a aucun doute là-dessus. Je ne sais pas pourquoi j’ai écrit ce que j’ai écrit. »
Il a dit qu’il n’a pas essayé de compromettre l’enquête. « Je n’aurais jamais fait ça », a-t-il dit.
Il a déclaré que les procureurs auraient eu du mal à porter plainte dans la plupart des cas de crimes de guerre parce que trop de temps s’était écoulé et que le délai de prescription avait expiré dans certains cas.
Mais les dossiers montrent que les témoins étaient encore disponibles pour témoigner en 1975, et dans les affaires de meurtre, il n’y a pas de prescription.
Le « calendrier politique » cité dans l’échec de l’enquête
Bien que le rapport final contînt des inexactitudes, M. Apsey a présenté trois cas de meurtre à des commandants en vue d’éventuelles poursuites – l’un d’eux désignant le commandant de la Tiger Force James Hawkins.
Mais même à ce moment-là, aucune inculpation n’a été faite.
Pas même une audience en vertu de l’article 32 – l’équivalent d’un grand jury militaire – n’a été tenue, le premier pas vers une cour martiale
Dans le rapport final, M. Apsey avait écrit :
  • Le chef de peloton, le lieutenant James Hawkins « a assassiné un vieil homme vietnamien non armé en lui tirant dans la tête ».
  • Le chef d’équipe, le sergent Harold Trout « a assassiné un Vietnamien blessé et non armé en lui tirant dessus plusieurs fois avec un pistolet de calibre.45 ».
  • L’ancien soldat de peloton James Cogan « a exécuté un vieil homme vietnamien non armé en lui tirant deux balles dans la tête avec un calibre.45. »
M. Cogan a été démobilisé des forces armées au moment où le rapport final a été déposé en 1975 et, comme tant d’autres suspects, il ne relevait plus de la compétence d’un tribunal militaire.
Selon les lois militaires, c’est aux généraux en charge de chaque soldat de décider s’il y a lieu d’engager des poursuites.
Le porte-parole de l’armée Joe Burlas a dit que c’est ce qui est arrivé dans cette affaire. Les commandants ont choisi de ne pas porter plainte sur la base des preuves.
Mais M. Hawkins a déclaré que ce n’est pas ce qui lui est arrivé.
Il a dit que son cas a été tranché par des pouvoirs bien au-delà de son commandant, le major-général William Maddox.
Lors d’une récente interview, M. Hawkins a déclaré qu’il avait été convoqué au Pentagone en novembre 1975, soit cinq mois après l’achèvement du rapport final. A ses côtés se trouvait le général Maddox.
Il a dit qu’on leur a présenté un « mémoire » juridique qui indiquait que l’affaire était close. Il ne se souvient pas qui lui a montré le document, mais il a dit qu’il se souvenait du contenu.
« Ce qu’ils ont dit, c’est : “Ouais, il y a eu des actes répréhensibles là-bas, et nous le savons. Mais fondamentalement, ce n’est pas… dans le meilleur intérêt de ceci, de cela, et de l’autre d’essayer de donner suite à ça”. On aurait dit que c’était la conclusion de l’affaire », a-t-il dit.
Il a dit que l’enquête de la Tiger Force était « une grosse affaire, mais elle a été gardée terriblement discrète. C’était un dossier brûlant. Vous voyez, c’était après [My Lai], et l’armée ne voulait certainement pas subir l’attention des médias. »
Le général Maddox est décédé en 2001.
L’ancien sergent Trout a refusé de commenter son cas.
Indépendamment de qui a décidé de ne pas porter plainte, M. Burlas a déclaré que les affaires de meurtre auraient été difficiles à poursuivre pour plusieurs raisons, y compris le manque d’accès sur les lieux du crime et de preuves matérielles.
Mais pendant plusieurs années jusqu’au rapport final, les enquêteurs auraient pu se rendre sur les lieux du crime au Sud Vietnam et interroger des témoins.
De plus, les preuves matérielles, comme un cadavre ou une arme, ne sont pas essentielles dans ces types d’affaires, selon les experts juridiques militaires.
L’enquêteur principal, M. Apsey, maintenant à la retraite et vivant dans l’État de Washington, a dit qu’il ne sait pas pourquoi les commandants n’ont jamais porté plainte contre M. Trout et M. Hawkins.
Il a dit qu’un élément de la cause pourrait être du au fait que le rapport final a été déposé deux ans après la signature du traité de paix entre les États-Unis et le Nord Vietnam. Le rapport a aussi été complété deux mois après l’effondrement du Sud Vietnam.
« Je savais que cette foutue chose n’irait nulle part », a-t-il dit. « Le fait est que le moment politique était mal choisi. »
M. Apsey a déclaré que tout au long de son enquête ses supérieurs étaient préoccupés du fait que les médias puissent découvrir l’affaire Tiger Force.
« Laissez-moi vous dire ceci : à l’époque, c’était considéré comme une priorité de première classe », a déclaré M. Apsey, qui a ajouté que les agents sur le terrain étaient tenus d’interroger les témoins dans les 24 heures suivant la notification.
Les quatre experts qui ont examiné le rapport final pour The Blade ont déclaré que l’armée de terre avait peut-être réussi à porter des accusations dans certaines allégations fondées, mais que pour d’autres cela aurait été difficile.
William Eckhardt, le procureur principal dans l’affaire My Lai, a déclaré que l’armée a peut-être hésité à porter une telle affaire devant les tribunaux à cause de l’attention des médias.
« Peut-être pensaient-ils qu’ils ne voulaient plus de My Lai », a-t-il dit, ajoutant que même cette affaire constituait un défi à poursuivre en raison de la réticence des soldats à témoigner.
« Si vous regardez l’incroyable bataille que le gouvernement a menée avec My Lai, le fait qu’une partie de cette bataille n’a pas été poursuivie ne me surprend pas. »
Mais cela n’a pas empêché l’armée de porter plainte dans d’autres atrocités.
Sur les 242 enquêtes de l’armée sur les crimes de guerre au Vietnam, un tiers ont été étayées, menant à 21 condamnations pour des accusations allant de coups sur des prisonniers à l’assassinat de civils, selon un examen des Archives nationales.
Dix soldats ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 30 jours à 20 ans, bien que de nombreuses peines aient été réduites par la suite.
Mais dans le cas de la Tiger Force, il n’y a pas eu de punition. En fait, trois suspects ont été promus par la suite.
Le capitaine James, qui a été accusé de ne pas avoir signalé un crime de guerre, est devenu major. M. Trout a quitté l’armée en 1985 en tant que sergent-major.
M. Hawkins a été promu major et a ensuite été instructeur de vol civil à Fort Rucker, en Alabama, après avoir pris sa retraite en 1978.
La Maison-Blanche a gardé un œil sur l’enquête.
On ignore encore beaucoup de choses de l’enquête sur la Tiger Force.
Des dizaines de dossiers de cas manquent aux Archives nationales, et l’armée refuse de publier ses propres rapports, invoquant le droit à la vie privée des anciens soldats.
Ce que l’on sait, c’est que des résumés de l’enquête ont été envoyés à la Maison-Blanche entre 1971 et 1973, selon les archives.
Pendant que le président Nixon était en fonction, son avocat en chef, John Dean, a ordonné à l’armée, en mai 1971, de déposer des mises à jour hebdomadaires sur l’état d’avancement des enquêtes sur les crimes de guerre – 10 cas, y compris la Tiger Force. En 1973, les rapports étaient envoyés mensuellement.
Une note de service du 2 mars 1973 donne une description de l’affaire, avec cinq suspects et d’autres « membres non identifiés de la Tiger Force » sous enquête pour des crimes allant du meurtre à la mutilation corporelle.
Le même document a été acheminé au bureau du secrétaire de la défense à partir du bureau du secrétaire de l’armée.
Mais en juin 1973 – cinq mois après le retrait des États-Unis – l’armée a cessé d’envoyer des mises à jour sur les cas à la Maison-Blanche.
Une note de service du major-général DeWitt Smith à d’autres responsables de l’Armée de terre note que « l’intérêt des médias et du public pour le sujet s’est estompé avec le désengagement des États-Unis au Vietnam ».
Il a poursuivi en déclarant que l’envoi régulier de rapports « continue inutilement à mettre le problème en évidence tous les mois ».
M. Dean, qui a quitté la Maison-Blanche en avril 1973, a déclaré dans une récente interview qu’il ne se souvenait pas de l’affaire Tiger Force, mais qu’il n’était pas surpris que l’enquête ait été abandonnée. « Le gouvernement n’aime pas les histoires laides », a-t-il dit.
L’ancien secrétaire de l’armée Howard « Bo » Callaway a également déclaré qu’il ne se souvenait pas de l’affaire, mais qu’il aurait pris les allégations « très au sérieux ».
« Je vous garantis qu’il n’y aurait pas de balayage sous le tapis. »
Avec l’enquête sur la Tiger Force toujours en cours, Gerald Ford a pris la présidence après la démission de Richard Nixon en août 1974.
En cinq mois, il n’y avait plus qu’une seule affaire de crimes de guerre en cours : Tiger Force.
A l’époque, le Président Ford exhortait le public américain à « guérir les blessures du Vietnam ».
En avril 1975, le Nord Vietnam s’est emparé de Saïgon, réunissant le pays. En novembre, l’affaire de la Tiger Force était close.
Un porte-parole de l’ancien président Ford a déclaré qu’il avait refusé de commenter les atrocités commises pendant la guerre du Vietnam.
David Anderson, un ancien combattant du Vietnam qui a écrit le livre Facing My Lai, a déclaré qu’une nouvelle ère politique avait commencé en 1975, les questions économiques éclipsant la guerre. « Personne ne voulait entendre parler de crimes de guerre à l’époque », a-t-il dit. « Ça aurait été embarrassant ».
Joe Mahr, rédacteur de Blade Staff, a contribué à cet article.
(Histoire publiée le 20 octobre 2003)
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]

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