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lundi 14 mai 2018

Sinouar : " Gaza est comme un tigre affamé "......En Israël, une économie robuste mais inégalitaire..........


13 mai 2018
International

" Gaza est comme un tigre affamé "

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Le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinouar, soutient la marche du grand retour des 14 et 15 mai mais se dit prêt au dialogue avec Israël. A ce jour, la répression des manifestations a fait 48 morts
page 2 et cahier éco – page 5
© Le Monde




13 mai 2018

Sinouar : " Gaza est comme un tigre affamé "

Le chef du Hamas dans la bande de Gaza soutient pleinement la marche du grand retour des 14 et 15 mai

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Il arrive sourire aux lèvres, veste grise sur chemise sombre, yeux perçants et barbe blanche, puis salue l'assistance de quelques mots courtois. Les coupures de courant, lors de son allocution, ne lui inspirent aucune irritation. Ainsi va la vie à Gaza.
Rompu à la clandestinité, détenu pendant près d'un quart de siècle dans les prisons israéliennes, Yahya Sinouar n'aime pas les caméras. Il se montre pourtant à l'aise, en ce jeudi 10  mai, lors de sa première rencontre avec des journalistes étrangers depuis sa désignation comme chef du Hamas à Gaza, il y a quinze mois.
La curiosité est grande. C'est lui qui pousse le mouvement islamiste, maître affaibli d'un territoire à l'agonie, sur deux voies délicates : la réconciliation avec le Fatah du président Mahmoud Abbas, actuellement dans l'impasse, et la " résistance populaire ". " Nous croyons que s'il y a un moyen de résoudre pacifiquement le conflit - avec Israël -sans causer de destructions, ça nous convient ", estime-t-il. Délaissant pour l'heure la lutte armée, le -Hamas a choisi de soutenir la " marche du grand retour ", qui mobilise des milliers de Gazaouis, chaque vendredi, depuis le 30  mars, à la frontière avec l'Etat hébreu. A ce jour, les soldats israéliens ont tué 48 personnes et blessé par balles plus de 2 000 autres.
Voici qu'approche le grand final de cette mobilisation, les 14 et 15  mai, à  l'occasion du déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem, puis de la commémoration de la Nakba, l'exode de centaines de milliers de Palestiniens lors de la création d'Israël, en  1948. L'hypothèse d'un bain de sang sans précédent, au cas où les manifestants tenteraient massivement de franchir la clôture, est évoquée de part et d'autre. " Ces barbelés ne sont pas une vache sacrée ou un tabou auquel personne ne pourrait toucher ", souligne Yahya Sinouar. " Quel est le problème si des centaines de milliers - de manifestants - passent la clôture, qui n'est pas une frontière reconnue ? ",s'interroge-t-il, faussement naïf.
Le Hamas appelle-t-il les -Gazaouis, dès lors, à franchir la démarcation et à passer de l'autre côté, pour une victoire symbolique dont le prix humain serait terrible ?Son chef prétend que les manifestants sont libres de leur engagement. " Gaza est comme un tigre affamé qui a passé onze ans en cage - depuis l'instauration du blocus égypto-israélien - , qui a été humilié par Israël, mais a fini par s'en échapper. Il se cache et -personne ne sait ce qu'il va faire ", dit Yahya Sinouar.
Profil pacifiqueA plusieurs reprises, ce dernier a insisté sur le profil pacifique des manifestants, même si certains brûlent des pneus, lancent des pierres et essaient de cisailler la clôture. " Pendant ces quarante jours de marche pacifique, il n'y a pas eu un seul tir contre les soldats israéliens, pas une seule roquette déclenchée ", souligne-t-il. Mais à aucun moment Yahya Sinouar n'appelle, par exemple, les enfants et les femmes à se tenir loin de la clôture pour ne pas s'exposer aux balles israéliennes. Depuis des semaines, de nombreux cadres du Hamas utilisent la même formule : tout vaut mieux que de " mourir à petit feu ".
Un haut responsable de l'appareil sécuritaire israélien estime que le Hamas utilise la marche comme une " catharsis pour le peuple ", mais que sa vraie stratégie ne se dessinera qu'au terme de la mobilisation. Selon un diplomate européen, le Hamas chercherait à faire monter les enchères et à inquiéter Israël, avant les 14 et 15  mai, sans souhaiter un bain de sang qui pourrait précipiter une confrontation militaire. " Ce qui est en jeu, c'est la survie même du Hamas à Gaza, dans la  perspective d'un éventuel plan de paix proposé par Trump, qui comporterait des mesures pour -alléger les conditions de vie des habitants ", explique ce diplomate. L'Egypte essaie de réduire la tension, en ouvrant opportunément pour quatre jours le point de passage de Rafah.
" Bombe à retardement "De son côté, la presse israélienne a fait état de contacts indirects entre le Hamas et Israël, en vue de la conclusion d'une trêve à long terme, sur dix ou quinze ans.
Conscient de la supériorité militaire écrasante de l'Etat hébreu et du marasme ambiant à Gaza, le  Hamas y serait prêt. Yahya -Sinouar nie toute négociation en cours. Pourtant, selon deux sources diplomatiques, l'Allemagne et le Qatar, en plus de l'Egypte, s'activeraient en vue d'un compromis sur des sujets-clés, comme le sort des deux civils israéliens détenus à Gaza, ou bien les prisonniers palestiniens.
Pour sa part, Israël se dit prêt à favoriser des projets de développement dans le territoire, mais -réclame au préalable la fin des branches armées. " Le Hamas n'a pas de problème avec l'idée de négociations politiques, c'est Israël qui en a et pose des conditions très difficiles, comme le désarmement, explique l'analyste Ibrahim Al-Madhoun, proche du mouvement islamiste. Le Hamas ouvre la porte, il est flexible. Mais Israël doit aussi donner en échange. "
Condamné pour assassinat – il était notamment chargé de la traque des informateurs israéliens à la fin des années 1980 –, Yahya -Sinouar a fait souvent référence, jeudi, à sa vie carcérale. Il a pris en exemple la grève de la faim de vingt jours qu'il avait suivie, avec d'autres prisonniers palestiniens, pour obtenir le droit à un stylo et à un carnet. Il n'hésite pas à faire le parallèle avec les conditions de vie à Gaza, estimant qu'elles sont bien pires qu'en prison, du point de vue sanitaire ou de la nourriture. " Le plus dangereux est que la jeunesse a commencé à perdre foi dans la possibilité d'une vie digne ", transformant le territoire " en bombe à -retardement ".
Pas d'alignement avec TéhéranInterrogé sur la responsabilité du Hamas dans cette misère, Yahya Sinouar a évoqué les " projets d'envergure " menés à bien malgré le blocus. En réalité, les seules infrastructures construites l'ont été par le Qatar, tandis que -l'Unrwa, la mission de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, a aidé à la réhabilitation des logements, après la guerre de l'été 2014.
Enfin, le leader du mouvement islamiste rejette l'idée d'un alignement sur Téhéran, parfois évoqué par des responsables israéliens. " Nos relations avec l'Iran, le Qatar et la Turquie étaient bonnes ces dernières -années, car ces pays soutenaient le peuple -palestinien. Cela ne nous a pas empêchés, en même temps, d'établir de bonnes relations, équilibrées, avec l'Egypte. " Depuis octobre  2017, Le  Caire joue un rôle-clé de médiateur entre le Hamas et le Fatah, pour les pousser à la réconciliation.
Mais la récente et mystérieuse tentative d'attentat contre le convoi du premier ministre, Rami Hamdallah, à Gaza, puis la tenue du Conseil national palestinien, à Ramallah, le 30  avril, dénoncée par le Hamas et le Jihad islamique, ont confirmé le pessimisme ambiant.D'autant que Mahmoud Abbas a décidé, une nouvelle fois, de sabrer les salaires des fonctionnaires à Gaza, pour accroître la pression sur le Hamas.
" Nous ne disons pas que la porte - de la réconciliation - s'est refermée, mais ce qui s'est passé compromet les chances de réussite ", résume Yahya Sinouar. Il ne semble nullement préoccupé par la confrontation à venir avec le " raïs ". Comme si l'horizon s'arrêtait, pour l'heure, aux barbelés à franchir mardi.
Piotr Smolar
© Le Monde

13 mai 2018

A Jérusalem, un déménagement très symbolique et contesté

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Les ouvriers s'affairent,des fleurs aux couleurs du drapeau américain sont déjà disposées, la police finalise son dispositif. Les derniers préparatifs étaient en cours vendredi 11  mai, avant l'inauguration de l'ambassade américaine à Jérusalem, prévue lundi. Ce déménagement, annoncé en écembre 2017 par Donald Trump lors de sa reconnaissance historique de la ville comme capitale d'Israël, est le cadeau suprême de son administration à son allié stratégique, à l'occasion du 70e anniversaire de l'Etat.
Il s'agit d'un déménagement symbolique, d'un changement de plaque sur un bâtiment du consulat américain, dans le quartier d'Arnona, au sud de Jérusalem. Le déplacement éventuel de tous les services actuellement présents à Tel-Aviv vers un site pour l'heure non identifié réclamerait sans doute plusieurs années et un investissement énorme. " Des centaines de millions de dollars ", a même estimé sur Twitter l'ancien ambassadeur américain Dan Shapiro, devenu analyste en Israël. Après avoir laissé planer le suspens, Donald Trump a renoncé au déplacement. Il adressera un message vidéo à l'assistance, lundi.
Trois Etats de l'UE présentsUne grande cérémonie d'accueil est prévue dimanche au ministère des affaires étrangères, en présence du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, de l'ensemble du gouvernement et de dizaines de diplomates étrangers. La Hongrie, la Bulgarie et la République tchèque, trois Etats membres de l'Union européenne, qui s'est opposée à la reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale par Washington, vont pourtant participer à cette soirée. Du côté américain, la délégation sera conduite par le secrétaire au trésor, Steven Mnuchin, Ivanka Trump et son mari, Jared Kushner, conseiller du président.
Tandis que la fête battra son plein du côté israélien, les Palestiniens comptent se rassembler et manifester contre ce déménagement. Une attention particulière sera portée à la bande de Gaza. Les 14 et 15  mai, qui sera le jour de commémoration de la Nakba, l'exode de centaines de milliers de Palestiniens au moment de la création de l'Etat hébreu, une foule nombreuse est attendue le long de la frontière avec Israël, faisant craindre de nouvelles violences. Vendredi, le bilan des manifestations, qui ont rassemblé 15 000 personnes selon l'armée, s'est élevé à un mort et environ 140 blessés par balles.
P. Sm.
© Le Monde


13 mai 2018

En Israël, une économie robuste mais inégalitaire

Soixante-dix ans après sa naissance, l'Etat hébreu est confronté à de fortes disparités de revenus et de niveau de vie

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LES CHIFFRES
3,4 %
C'est le taux de croissance que devrait afficher Israël cette
année, le même qu'en 2017.
18,6 %
C'est le taux de pauvreté en
Israël, le plus élevé parmi les pays de l'Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE).
6 000
C'est le nombre de start-up actives recensées par le cabinet Deloitte en Israël, considéré comme le deuxième écosystème mondial derrière la Silicon Valley.
Officiellement né le 14  mai 1948, Israël a matière à célébration pour son soixante-dixième anniversaire : une croissance solide (3,4 % en  2017), un chômage au plus bas (4,2  % de la population active), des finances publiques saines et une réputation d'excellence mondiale dans le domaine des technologies. Des prouesses remarquables pour un pays en état de guerre presque permanent, faiblement doté en ressources naturelles et dont l'économie faillit s'effondrer, dans les années 1980, sous le coup d'une hyperinflation.
" On peut marquer un temps d'arrêt et regarder en arrière avec satisfaction ", louait, il y a quelques semaines, Karnit Flug, la gouverneure de la Banque d'Israël. Parmi les plus belles réussites figure sans conteste le savoir-faire développé par l'Etat hébreu dans le secteur de l'innovation. L'an dernier, les levées de fonds des firmes technologiques nationales ont atteint un niveau record (5,24  milliards de dollars, soit 4,4  milliards d'euros).
Nombreux laissés-pour-compteAu Nasdaq, la Bourse des valeurs technologiques américaines, ce pays de 8,5  millions d'habitants se classe troisième, derrière les Etats-Unis ou la Chine, en matière de sociétés cotées. Les géants de la high-tech américaine sont d'ailleurs solidement implantés en Israël : d'Intel à Google ou Facebook, pas une multinationale qui n'ait son centre de recherche (R&D) et son incubateur entre Tel-Aviv (ouest) et Haïfa (nord).
" Globalement, si l'on regarde sur 70 ans, c'est une “success story” ", estime l'économiste Eytan Sheshinski. Au rang des faits les plus marquants, ce professeur à l'université hébraïque de Jérusalem cite l'absorption réussie de centaines de milliers d'immigrants. Ceux de l'ex-URSS, venus en masse à partir de la fin des années 1980 et souvent très diplômés, jouèrent un rôle déterminant dans l'établissement d'un Israël de la connaissance.
" Nos performances ont de quoi nous rendre fiers, mais il ne faut pas se leurrer, de gros nuages pointent à l'horizon ", nuance pourtant M. Sheshinski. Un avis de gros temps lié au sous-investissement dont souffre le pays dans l'éducation et les infrastructures, et qui pèse sur la productivité, environ 30  % plus basse que la moyenne des pays européens.
Dans son dernier rapport sur le pays, publié mardi 1er mai, le Fonds monétaire international (FMI) exhorte les autorités à dépenser davantage pour remettre les infrastructures au niveau. Pour l'anecdote, les routes d'Israël sont les plus congestionnées parmi les économies avancées, trois fois plus que la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Plus inquiétantes encore, les carences socio-économiques dessinent un Israël à deux vitesses, où les laissés-pour-compte sont nombreux. " Il y a la nation start-up, avec ses universités de pointe, mais il y a aussi toute une population qui ne reçoit pas les outils pour pouvoir prendre part à cette économie ", alerte Dan Ben-David, président de l'Institut -Shoresh pour la recherche socio-économique et professeur à l'université de Tel-Aviv.
Ce décrochage résulte largement des disparités qui existent au sein du système scolaire, avec des enfants ultraorthodoxes et arabes israéliens recevant trop souvent " une éducation digne du tiers-monde ", se désole M. Ben-David. Or ces deux commu-nautés constitueront la moitié de la population d'ici à 2060. Déjà, les classements internationaux liés aux performances scolaires placent régulièrement Israël en queue de peloton des pays industrialisés.
Ces faiblesses se répercutent sur le marché du travail, avec des populations sous-employées et peu productives. Résultat, les inégalités de revenu et de niveau de vie atteignent des niveaux stratosphériques. Quant au taux de pauvreté (18,6 %), il est le plus élevé au sein de l'OCDE. Une situation renforcée par la cherté de la vie en Israël, où les salaires ont stagné ces dernières années, tandis que le prix des logements explosait. Aujourd'hui, 50  % de la population ne paie pas d'impôt sur le revenu, faute de moyens.
A côté de cela, la scène high-tech est de plus en plus régulièrement dépeinte comme l'apanage d'un petit club de privilégiés aux salaires mirobolants : moins de 10 % de la population active travaille pour le secteur. Si rien ne change dans un proche avenir, ses performances risquent d'être mises en péril par une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. D'ores et déjà, les entreprises s'alarment du déficit d'ingénieurs et de programmeurs.
A moins de parvenir à réduire de manière significative les écarts entre les différents segments de la population, " la croissance et la stabilité pourraient être ébranlées dans les prochaines décennies ", mettait en garde le FMI dans son dernier rapport.
" Lors de ses premières années, le pays manquait de tout, même de quoi manger. Pourtant, nos parents ont construit des routes, des écoles, des universités, tout ce qui a constitué le fondement de nos succès d'aujourd'hui, décrit Dan Ben-David.Aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus riches, mais nous ne dépensons pas comme il faut pour assurer la cohésion de la société. Il faut changer, et vite, si nous ne voulons pas régresser. "
Marie de Vergès
© Le Monde

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