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samedi 12 mai 2018

Procès du meurtre de Sophie Lionnet : " deux meurtriers " en accusation


12 mai 2018

Procès du meurtre de Sophie Lionnet : " deux meurtriers " en accusation

Pour le procureur, le couple d'expatriés a, " ensemble ", infligé un enfer à la jeune fille au pair

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D'un geste brusque, le procureur Richard Horwell abat son bras droit, mimant une tête que l'on plonge de force dans une baignoire pleine. " Sophie Lionnet a été torturée par ces deux-là, énonce-t-il devant Sabrina Kouider et Ouissem Medouni, le couple de Français qui comparaît depuis le 21  mars à Londres pour le -meurtre, fin septembre  2017 à  Wimbledon, de leur jeune fille au pair. Il n'y a pas un, mais deux meurtriers. Ensemble, ils lui ont infligé l'enfer. "
Alors que l'interminable procès touche à sa fin, le scénario du -calvaire de Sophie Lionnet est apparu dans toute son horreur, mercredi 9  mai. Pris dans un délire de persécution, le couple a tourmenté puis martyrisé la jeune Française, frêle et timide, issue d'un milieu modeste où l'on n'a pas l'habitude de se rebeller contre son patron. Manipulatrice, -Sabrina Kouider a progressivement accru son emprise sur elle, menaçant de la dénoncer pour des exactions insensées, la laissant sans ressources.
Enfermé dans son délire" Si je pouvais me payer un billet, je partirais ", écrit Sophie Lionnet à sa mère pendant l'été 2016.La mère, résidant à Sens (Yonne), elle, s'alarme mais se sent impuissante " à cause de la distance ".
Sabrina Kouider, 35 ans, installée à Londres depuis 2004 et vivant de petits boulots, forme avec Ouissem Medouni, 40 ans, ancien analyste financier à la Société générale, " une combinaison vraiment toxique ", a affirmé M. Horwell, avocat de l'accusation (équivalent d'un procureur français).
Sabrina Kouider avait convaincu son compagnon que l'un de ses ex – le chanteur irlandais Mark Walton –, père d'un de ses deux garçons, complotait avec Sophie Lionnet non seulement pour le droguer et abuser sexuellement de lui, Ouissem Medouni, mais également pour violer l'enfant. L'enquête a démontré que M. Walton ne se trouvait pas au Royaume-Uni au moment des faits imputés, et même que le chat qu'il était aussi censé avoir violé n'existait pas.
Emporté par sa propre obsession complotiste, le couple a infligé à la " nanny " une spirale de violence ponctuée d'interrogatoires enregistrés en vidéo où il- cherchait à lui faire avouer des crimes imaginaires. " De toutes les affaires que ces murs vénérables- la cour criminelle dite The Old Bailey, au cœur de la City de Londres - ont entendues, a insisté le procureur, celle-ci entre sans -hésitation dans la catégorie des plus bizarres. "
Richard Horwell s'est employé à détailler les derniers jours de la victime, dont les restes calcinés ont été retrouvés le 20  septembre 2017 dans le petit jardin de ses patrons grâce à des voisins alertés par une odeur de barbecue. Dans la soirée du 18  septembre, alors que Sophie Lionnet n'a pas été vue dans le quartier depuis douze jours, le couple lui impose un ultime interrogatoire. Elle y apparaît terrorisée et finit par avouer toutes les horreurs que ses patrons lui imputent.
Sur le moment, le couple est tellement enfermé dans son délire qu'il ne perçoit pas la preuve à charge que constitue cet enregistrement. Le médecin légiste a établi que la victime avait eu le sternum, la mâchoire et cinq -côtes cassés avant ces " aveux ". Mais, selon l'accusation, le -couple pense au contraire se -servir de la vidéo à l'appui de ses accusations contre Mark Walton. Encore lui faut-il éli-miner Sophie Lionnet dont les stigmates sont trop évidents et qui pourrait rétablir la vérité devant la police.
Accusations mutuelles" Nous ne saurons jamais quand ni comment Sophie Lionnet est morte parce que les accusés ont brûlé son corps, assène le procureur. Mais nous pouvons dire pourquoi : sa survie menaçait d'anéantir leurs plans. " Et d'insister sur le terrible témoignage d'un enfant qui a entendu les deux adultes s'activer dans la salle de bains, et sa " nanny " crier jusqu'au petit matin dans le bruit d'éclaboussures d'eau. La tête plongée dans la baignoire mimée par le procureur.
Interrogée mercredi, l'accusée, cheveux de jais bouclés tombant sur les épaules, sanglote mais elle interrompt sans cesse l'avocat de l'accusation. " Je n'ai pas tué Sophie ", répète-t-elle. Depuis son arrestation, Sabrina Kouider est détenue dans une prison pour personnes souffrant de troubles mentaux. Mais elle doit être -considérée comme " saine d'esprit ", a affirmé Richard Horwell, car son avocat n'a demandé aucune expertise psychiatrique.
Pour le procureur, les deux accusés ont agi de concert pour -torturer puis tuer Sophie Lionnet. Il veut torpiller leur stratégie : chacun nie formellement le meurtre et accuse l'autre tout en cherchant à accréditer la thèse d'un accident.
Ouissem Medouni affirme qu'il est allé dormir avant la fin de l'ultime interrogatoire puis qu'il a été réveillé par sa compagne auprès de qui gisait la victime. Sabrina Kouider, elle, se décrit strictement dans le même scénario. M.  Horwell pense qu'ils se sont concertés. Mais ces accusations mutuelles sont loin de produire un " crime parfait ". Personne n'a rien vu ni rien fait, mais Sophie Lionnet est morte à 21 ans alors qu'elle voulait apprendre l'anglais, aimait les enfants et rêvait d'avenir.
Philippe Bernard
© Le Monde

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