Le projet de loi " pour la liberté de choisir son avenir professionnel ", présenté le 27 avril, comprend une série de mesures censées organiser le " big bang " de la formation professionnelle, parmi lesquelles la possibilité de s'inscrire et de payer directement une formation, sans passer par un intermédiaire, par le biais d'une application numérique.
Le rapport Villani, remis un mois plus tôt, faisait le point sur les études qui, depuis le début de la décennie 2000, mesurent l'ampleur des mutations engendrées par le déploiement de l'intelligence artificielle sur l'emploi. Le fameux article de deux chercheurs d'Oxford, en 2013, qui annonçait de gigantesques destructions d'emplois aux Etats-Unis (" The Future of Employment : How Susceptible Are Jobs to Computerisation ? ", par Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne), a certes été l'objet de nombreuses critiques, et les évaluations postérieures ont annoncé des pertes d'emploi moins nombreuses (entre 9 % et 10 %). Reste que 50 % des emplois devraient, selon ces études, subir des transformations.
La plupart de ces analyses prospectives se terminent par un vibrant appel au développement massif de la seule réponse envisagée : la formation, initiale et continue. Le rapport Villani n'y échappe pas, qui recommande une révision des compétences dispensées au cours de la scolarité et de la vie active.
Mais la cœxistence dans le débat public de ces deux productions – le rapport Villani et le projet de loi – suscite des questions. On peut d'abord se demander si et comment les organismes officiels qui produisent des prospectives des métiers et des qualifications intègrent dans leurs projections les effets attendus de la révolution technologique et d'une reconversion écologique qui apparaît chaque jour plus urgente et nécessaire.
Ensuite, ces études posent plus généralement la question de l'orientation : vers quels emplois orienter jeunes et actifs ? Qui doit organiser ce processus et comment ? Or, il est clair que des préoccupations tant vitales que stratégiques doivent guider les politiques publiques : l'engagement dans la reconversion écologique va conduire à diminuer drastiquement, voire à interrompre, l'activité de certains secteurs, à modifier profondément nos modes de production, à rebâtir de fond en comble notre système énergétique, à engager des programmes massifs dans des domaines précis, comme la rénovation thermique des bâtiments ou le recyclage. Le vieillissement de la population va également entraîner des besoins sociaux qu'il faudra satisfaire. Bref, une grande partie des métiers " utiles ", c'est-à-dire ceux qui répondent aux besoins écologiques et sociaux, est donc déjà parfaitement connue.
La nécessité d'une planificationToute la difficulté va donc être d'organiser une gigantesque restructuration, sans doute bien plus lourde que celle des années 1960, pour conduire ce que la Confédération syndicale internationale appelle
" une transition juste ". Il s'agit de disposer d'une cartographie précise des métiers à développer, d'anticiper les fermetures, réductions et transformations de postes, de connaître assez finement les qualifications et les compétences des salariés en place, des jeunes et des demandeurs d'emploi pour accompagner efficacement leur reconversion ou leur insertion.
On ne voit pas bien comment se passer, pour réussir une opération d'une telle ampleur et d'une telle précision, d'une coordination et d'un pilotage nationaux, sinon européens, d'une articulation forte entre les différentes échelles territoriales et les politiques industrielles, de l'emploi et de la formation – bref, osons le terme, d'une véritable planification.
C'est là qu'un doute surgit, et que la principale nouveauté de la réforme vantée par le gouvernement – permettre à chaque individu, seul face à son smartphone, d'accéder à la formation
" de son choix " – paraît soudain dramatiquement inadaptée…
par Dominique Méda
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