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lundi 14 mai 2018

Année après année, l'échec à prévenir les expulsions locatives perdure


13 mai 2018

Année après année, l'échec à prévenir les expulsions locatives perdure

Le manque et la cherté des logements en région parisienne ne permettent pas de trouver des solutions pérennes. Au détriment des familles, comme celle de Noudjoud Tailoul

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La politique du " logement d'abord ", que prône l'actuel gouvernement, consiste à épargner aux personnes qui sont à la rue un parcours heurté, d'hôtels en centres d'hébergement ou en logements -passerelles, et à proposer directement un logement pérenne, -social ou pas. C'est non seulement plus efficace mais aussi moins cher pour les finances -publiques. Ce bon principe se heurte néanmoins au manque de logements et, dans le Grand Paris, à leur cherté.
Le cas de Noudjoud Tailoul, mère de famille franco-algérienne, illustre l'échec de la prévention en la -matière. " Le logement, c'est tout ", rappelle-t-elle : le 13  avril, elle a été expulsée manu militari avec ses cinq enfants. Ils se retrouvent aujour-d'hui entassés dans deux chambres d'hôtel, à Longjumeau, dans l'Essonne, coincés entre une zone industrielle et des boîtes de nuit. " Quand je suis arrivée avec mes valises, je voulais me jeter par la fenêtre. J'avais l'impression d'être une merde ", a-t-elle confié, en larmes, aux travailleurs sociaux de la Fondation Abbé Pierre (FAP).
La trêve hivernale s'achevant le 31  mars, le printemps et l'été sont propices aux expulsions. Au fil des ans, le nombre de décisions n'a cessé d'augmenter. Il avait atteint 126 946 en  2015 -(dernier chiffre connu), en hausse de 80  % depuis 2000. Les exécutions avec le concours de la force publique ont plus que doublé, passant, dans le même temps, de 5 936 à 14 127.
Cette année encore, les expulsions vont bon train, selon les -associations. Les dispositifs de prévention, dont la circulaire du 22  mars 2017 qui demande aux préfets de veiller au relogement des expulsés, la priorité en principe accordée aux situations d'urgence, sans oublier la procédure de droit au logement opposable (DALO), ne fonctionnent tout simplement pas.
A 42 ans, Mme Tailoul vit seule avec ses cinq enfants de 18 ans à 21 mois. Et se retrouve sans travail ni logement. Elle a été agent de service à l'hôpital Georges-Pompidou, auxiliaire de vie auprès de personnes âgées, et ne demande qu'à être embauchée. " Dès que je peux, je fais des heures, et j'avais même trouvé une garderie pour la dernière ; mon but n'est pas de vivre du RSA. " Dix années durant, elle a payé rubis sur l'ongle à son propriétaire privé un loyer de 800  euros par mois pour un appartement de 57 mètres carrés, porte de -Clichy (Paris 17e).
Une " famille brisée "Un nouveau propriétaire a repris l'appartement pour le vendre, et la résiliation du bail a été -confirmée, en  2013, par le tribunal d'instance. " Je ne conteste pas sa décision, mais je n'ai rien trouvé d'autre, car les agences -immobilières ne voulaient même pas regarder mon dossier, et ma demande de logement social, déposée dès 2005, n'a jamais abouti ", raconte-t-elle.
La famille a, en  2015, été reconnue prioritaire et même bénéficiaire du DALO, ce qui aurait dû la protéger de toute expulsion sans relogement. L'Etat a d'ailleurs à deux reprises, les 23  septembre 2016 et 13  mars 2018, été -condamné par le tribunal administratif à la reloger et à l'indemniser. La commission de prévention des expulsions a aussi été saisie, tout comme le Défenseur des droits et le comité de suivi de la loi DALO, en vain.
" Tous les leviers ont été actionnés, c'est désespérant, juge Sophie Chambefort, de la FAP. C'est une famille brisée. L'aîné, étudiant en droit, est en passe d'abandonner, la scolarité de ses frères et sœurs est compromise, l'asthme redouble chez un des enfants… " Chaque matin, la tribu réalise un périple d'une heure trente en transports en commun pour rejoindre l'école du 17e  arrondissement. Mme Tailoul patiente dans le quartier, sa paperasse sous le bras pour les démarches, et son bébé dans la poussette, jusqu'à récupérer les écoliers à la fin des classes, et repartir à Longjumeau.
En région parisienne, le parc privé est désormais inaccessible aux foyers même un peu aisés, et le parc social de plus en plus -cadenassé. A Paris, moins de 4  % des 250 000 HLM se libèrent chaque année, un plus bas historique. " Plus personne ne quitte son HLM : les seuls départs sont les -décès ", résumait sans détour Jean-Claude Driant, professeur à l'Ecole d'urbanisme de Paris et membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, lors de la présentation du 12e rapport de l'institution, le 2  mai.
Isabelle Rey-Lefebvre
© Le Monde

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