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jeudi 1 février 2018

Pourquoi la question du temps de travail ressurgit en Allemagne

1er février 2018

Pourquoi la question du temps de travail ressurgit en Allemagne

Le conflit se durcit dans l'industrie allemande, où IG Metall fait du droit individuel à la réduction de la durée du travail une revendication-clé

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Mercredi 31  janvier, au matin, des milliers de salariés de l'industrie métallurgique et électronique allemande n'ont pas rejoint leur poste. Ils devaient cesser le travail toute la journée. D'ici à vendredi, 250  entreprises dans tout le pays devraient être frappées par ce nouveau mode d'action du syndicat IG Metall : des grèves d'avertissement d'une journée entière. Contrairement aux arrêts de travail de quelques heures, jusqu'alors utilisés dans les conflits salariaux, ce mode d'action est susceptible de perturber considérablement la production d'une industrie qui fonctionne à flux tendus et dont les carnets de commandes sont pleins.
Le passage à des grèves d'une journée, après l'échec, samedi 27  janvier, d'un cinquième round de négociations qui n'a duré que seize heures, marque un durcissement du conflit social dans l'industrie. Au cœur des désaccords : la question de la réduction du temps de travail, mise en avant par le syndicat IG Metall comme revendication prioritaire, avant même les salaires. Pour les 3,9  millions de salariés de la branche, IG Metall demande, à côté d'une augmentation des rémunérations de 6  %, un droit individuel à la réduction du temps de travail jusqu'à 28  heures par semaine, avec une compensation partielle de rémunération (200  euros) pour les salariés qui désirent s'occuper d'un enfant ou d'un parent dépendant.
Depuis 2003, jamais le syndicat n'avait eu recours à des grèves prolongées. A l'époque, le conflit portait aussi sur la réduction du temps de travail : IG Metall revendiquait le passage à la semaine de 35  heures – au lieu de 38  heures – pour les travailleurs des régions de l'Est. Ce conflit s'était soldé par un échec douloureux, dont le syndicat a longtemps gardé les séquelles. Avec la forte hausse du chômage dans les années suivantes, il a fait preuve de modération, notamment en matière salariale.
Pourquoi la revendication de la réduction du temps de travail ressurgit-elle aujourd'hui, alors qu'il serait plus simple de réclamer de fortes hausses de salaires ? Il y a d'abord des facteurs économiques. L'Allemagne connaît depuis 2013 une croissance ininterrompue. La croissance du produit intérieur brut a atteint 2,2  % l'an dernier, elle pourrait atteindre 2,5  % l'an prochain, prévoient les économistes, dont certains redoutent même une surchauffe, tant les moyens de production sont utilisés à leur maximum. Le chômage est historiquement faible. IG Metall voit donc dans cette phase de prospérité une opportunité historique pour faire passer une avancée sociale emblématique.
Le syndicat prend acte d'un changement profond dans la société allemande : de plus en plus de femmes travaillent. " Contrairement à la France, ce phénomène est plutôt récent chez nous. Dans de nombreuses familles, les deux partenaires travaillent et la question se pose de savoir qui peut se dégager du temps pour s'occuper des enfants ou des parents âgés. Dans une société qui vieillit, c'est un vrai sujet de préoccupation ",explique Yvonne Lott, experte des questions de travail au centre de recherche de la fondation Hans-Böckler, liée aux syndicats. Dans ce contexte, IG Metall ne demande pas, comme en  2003, une réduction du temps de travail générale pour tous, mais une adaptation de ce temps aux différentes phases de la vie, limitée à deux ans.
" Apparaître plus moderne "Quelle que soit l'issue du conflit, le syndicat a déjà réussi sur un point : mettre la durée du travail au cœur du débat public. " Cette revendication a été très relayée dans les médias. Il y a l'idée que le temps est une ressource précieuse pour les gens, qui doit être protégée ", poursuit Mme Lott. Sur cette question, IG Metall a pris le relais du Parti social-démocrate allemand (SPD), qui a échoué, durant la précédente législature, à imposer le droit au retour à temps plein après un temps partiel, pourtant inscrit dans l'agenda du gouvernement.
Le conflit, pourtant, n'est pas sans risque. Y compris pour le syndicat. Car, " dans le sondage mené par IG Metall auprès de ses membres, qui a inspiré les revendications actuelles, trois quarts des personnes interrogées se déclaraient satisfaites de leur temps de travail. La base de soutien est potentiellement faible ", rappelle Karl Brenke, expert des questions de travail au DIW, l'institut économique de Berlin. " Avec cette revendication, le syndicat veut apparaître plus moderne : ces dernières années, il s'était principalement occupé des intérêts des travailleurs âgés. Je ne suis pas sûr que la priorité donnée à la réduction du temps de travail par rapport aux hausses de salaires soit la bonne manière de rajeunir le syndicat. Les jeunes familles ont aussi besoin d'argent ", estime-t-il.
Le patronat, lui, avance que le temps partiel est déjà largement utilisé dans les entreprises. Les horaires flexibles sont souvent proposés dans les offres d'emploi pour attirer les jeunes. La compensation partielle de salaire demandée par IG Metall induirait une inégalité entre les salariés au sein des entreprises, redoutent les patrons, qui craignent aussi une perte de compétitivité. " Au milieu de la prochaine décennie, les générations du baby-boom vont partir à la retraite. Pour financer les pensions, l'économie va devoir fournir un énorme effort. Les cotisations des jeunes générations vont peut-être devoir augmenter, cela va peser sur les salaires ", avertit Christoph Schröder, de l'institut économique de Cologne, proche du patronat. La baisse du nombre de travailleurs disponibles, dans un contexte de faible chômage, pourrait avoir des conséquences à long terme. " Le risque est qu'on investisse davantage à l'étranger. Ce n'est pas bon pour l'avenir de l'industrie allemande. "
Cécile Boutelet
© Le Monde

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