Pour La France insoumise (LFI), c'est le principal champ de bataille, le terrain qu'il faut absolument occuper. Celui d'où viendra " l'étincelle qui pourra mettre le feu à toute la plaine ", selon le vieux proverbe chinois repris par Mao Zedong. La jeunesse est l'une des priorités de LFI. La réforme de l'entrée à l'université, qui introduit, selon les " insoumis ", la sélection, est l'occasion pour la formation de gauche de réoccuper le terrain social et de prendre une revanche sur l'exécutif après l'échec de la mobilisation contre la réforme du code du travail, lancée en septembre 2017. Un rebond nécessaire pour faire oublier le passage à vide de la fin de l'année où LFI semblait moins sur le devant de la scène.
Mais si La France insoumise s'investit autant sur la question universitaire, c'est également parce qu'elle lui permet d'occuper un terrain laissé en friche par les partis historiques de la gauche, aussi bien socialiste que communiste, celui du mouvement étudiant. Jean-Luc Mélenchon a donné le ton dans sa note de blog hebdomadaire, en écrivant à ce propos :
" La lutte commence. " LFI sera donc présente, par un point fixe, lors de la manifestation nationale prévue à Paris le 1er février, à l'appel d'organisations syndicales de salariés, d'étudiants et de lycéens. Ses militants jeunes seront, eux, dans la manifestation.
Les députés insoumis ont été, avec les communistes, en pointe lors du débat parlementaire pour s'opposer à la réforme d'accès à l'université. Estimant que l'éducation est un
" thème majeur ", ils espèrent une large contestation étudiante et lycéenne.
Pour ce faire, LFI n'a pas ménagé ses efforts militants : ses dirigeants affirment ainsi que
" plus d'un million de tracts " ont été distribués devant
" les lycées et les salons étudiants ", une affiche a été dessinée et les autocollants sont commandés. LFI assure également avoir rencontré
" toutes les organisations syndicales lycéennes ".
" On met l'accent sur ce sujet, on essaie d'y mettre de l'énergie ", reconnaît Manuel Bompard, homme fort de La France insoumise.
Surtout, c'est l'occasion pour LFI d'approfondir son travail d'implantation dans la jeunesse. Les dirigeants n'ont pas oublié que 30 % des 18-24 ans ont voté pour Jean-Luc Mélenchon lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2017 (selon un sondage Ipsos). Le mouvement de l'ancien candidat est bien implanté dans des villes universitaires comme Lille, Lyon, Paris, Clermont-Ferrand ou Grenoble. La France insoumise a également des militants dans les rangs de plusieurs organisations de jeunes, entre autres au sein de l'Union des étudiants de France (UNEF) ou encore à l'Union nationale lycéenne-syndicale et démocratique (UNL-SD).
Malgré ces nombreux relais, LFI n'a pas une structure jeune à proprement parler. C'est donc le coauteur du livret jeunesse du programme présidentiel, David Guiraud, et Paul Vannier, enseignant et
" orateur national " de La France insoumise, qui ont été chargés de faire le lien avec le milieu étudiant et lycéen. A 25 ans, M. Guiraud a eu un bref engagement à l'UNEF, mais il s'est surtout impliqué dans le mouvement contre la loi travail, au printemps 2016.
De cette expérience, il en a tiré un goût et une stratégie portés vers
" l'action ".
" Lors de la loi travail, on n'a pas su incarner la radicalité. On aurait dû être plus offensif sur la tête de cortège - composée en grande partie par des militants autonomes, libertaires et antifascistes - ", estime-t-il aujourd'hui, prônant
" une action directe non violente ".
" On se fera déborder si on ne propose rien ", ajoute-t-il.
Dans la mobilisation contre la réforme dite ParcourSup, LFI a mis en place des structures souples, avec des référents régionaux qui coordonnent, en son sein, le travail sur le sujet. Rien ne dit que ce format sera pérennisé. Des
" cellules de coordination locale " entre différentes organisations pour mettre les militants en contact sont aussi à l'étude.
Une chose est sûre : il n'est pas question, pour l'heure, de monter un syndicat étudiant insoumis ? qui diviserait et
" organiserait une concurrence " ? ou même de créer des tendances au sein des organisations existantes.
" C'est une bonne chose qu'il existe des syndicats, cela reste un outil pertinent. On les laisse faire. Mais ils ne peuvent pas représenter l'ensemble des jeunes. Ce n'est plus possible qu'un parti ou un syndicat dirige le milieu ", avance M. Guiraud.
Droit d'ingérenceSes aînés prennent moins de précaution. Pour Alexis Corbière, député de Seine-Saint-Denis,
" plus personne n'a d'influence organisationnelle qui structure le milieu de la jeunesse. Je ne conseille plus aux jeunes d'aller s'enfermer à l'UNEF, c'est une perte de temps ". Eric Coquerel, député du même département, estime que
" les organisations traditionnelles du monde étudiant sont en perte de vitesse et ne sont plus capables de lancer seules des choses. On essaie de remplir ce rôle ". M. Coquerel continue :
" On ne se limite pas au champ politique traditionnel. A La France insoumise, on ne se sent pas comme une formation politique au sens strict du terme. On entend être un acteur sur le terrain. " En clair, LFI ne s'interdira pas une sorte de droit d'ingérence dans les mouvements étudiants si elle estime que c'est nécessaire.
Ces propos assez durs s'expliquent aussi par les mauvaises relations qu'entretiennent La France insoumise et l'UNEF. LFI compte plusieurs cadres anciens responsables de l'UNEF, comme William Martinet, ex-président, ou Yannis Zeghbib. Longtemps proche du PS, le syndicat étudiant assure avoir coupé les liens avec les " grands frères " des partis de gauche. Forte de cette volonté d'indépendance, la direction a, cet été, démis de leurs fonctions huit de ses membres sur une trentaine. Leur point commun : tous émargeaient à La France insoumise (LFI) ou en étaient proches et voulaient militer ouvertement pour LFI. Depuis, plusieurs sections locales de l'UNEF se sont unies à l'automne pour écrire un texte extrêmement virulent à l'égard de la direction. Cette dernière est persuadée que ce document de dix pages intitulé " Syndicalistes " a été dicté par quelques
" anciens militants aujourd'hui chez les “insoumis” ".
Les tensions sont encore pal-pables aujourd'hui. A la dernière réunion inter-organisations avant la manifestation du 1er février, l'UNEF s'est opposée à la signature de l'appel par les " insoumis " car ces derniers ne disposent pas de
" structure jeune ".
Après discussion, le problème s'est résolu et les jeunes LFI sont signataires.
" Il y a eu débat sur cette question, mais cela s'est réglé très simplement, reconnaît Pauline Raufaste, vice-présidente de l'UNEF, présente à la réunion.
Notre position reste la même : plus on est nombreux, mieux c'est. " M. Guiraud, lui, prend ces bisbilles avec distance.
" Ce sont des discussions hors sol… ", souffle-t-il. Personne ne sait encore si, le 1er février, le cortège étudiant entonnera le célèbre slogan :
" Tous ensemble, tous ensemble, hey ! Hey ! "
Abel Mestre
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