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Grande absente de la conférence de Lima : La justice climatique
Mondialisation.ca, 28 décembre 2014
«Les promesses n’engagent que ceux qui y croient»
Jacques Chirac ( ancien président de la République française)
Ça y est ! La conférence de Lima s’est achevée sur une demi-victoire – il n’y a pas de recul sur la nécessité de combattre les changements climatiques, c’est aussi un échec car il n’y a aucune avancée significative de ce que Ban Ki-moon a présenté comme une victoire, le fameux fonds d’aide aux PVD pour lutter contre les changements climatiques était acquis avant Lima. De plus, c’est un coup d’épée dans l’eau car avec 100 milliards de dollars c’est une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Retenons que le seul budget de la publicité (la glorification de l’éphémère) est de l’ordre de 500 milliards de dollars aux Etats-Unis. Pour rappel, il faut savoir que le coût de l’inaction va générer.
Il eut été plus louable de ne pas polluer pour ensuite essayer de bricoler des parades contre la furie des changements climatiques. Il faut savoir que les dégâts occasionnés dans les PVD par les changements climatiques sont sans commune mesure avec ceux subis par les pays développés. De plus et c’est le plus grave, si les morts se comptent sur les doigts pour chaque catastrophe dans les pays riches, il faut savoir que le prix humain payé par les PVD est de 10 à 50 fois plus important. En 2012, les pertes liées aux catastrophes naturelles ont atteint le montant de 318 milliards de dollars. En 2012, le typhon Bopha a fait plus de 1900 victimes aux Philippines.
Parmi les autres conséquences des changements climatiques, nous avons les réfugiés climatiques qui s’ajoutent aux réfugiés de la faim et des guerres. L’ambivalence occidentale est vue d’un côté, on pollue sans compter, de l’autre, on distribue des miettes aux PVD pour lutter contre les changements climatiques (100 milliards de dollars) par an jusqu’en 2020.
L’OMS pèse sur le débat climatique
Nous pouvons être sûrs que cet argent va servir à des conférences, des débats, des rapports, voire des honoraires des spécialistes et il ne restera rien de tangible aux PVD pour construire des parades contre l’érosion des sols, l’envahissement de la mer, la mise en place de nouvelles constructions qui résistent… Tant que le problème des changements climatiques est vu d’une façon fragmenté chacun se débrouillant tout seul, il n’y a aura pas d’issue. Les grands s’agitent parce que le coût de l’inaction commence à peser. Les dégâts annuels deviennent de plus en pesants pour les pays du Nord qui commencent à avoir des difficultés financières – non technologiques- pour y répondre. Les pays du Bric ont un problème de timing imposé par le développement qu’ils pensent nécessaire.
Il ne faut pas croire que les changements climatiques ce n’est que les inondations, tsunamis, vagues de chaleur, sécheresses et autres calamités immédiates, c’est aussi un problème de mort lente en différé qui se voit par une dégradation lente mais inexorable de la santé des populations. Ainsi, à titre d’exemple, la mauvaise qualité de l’air en Chine coûtera cher au pays dans un proche avenir.
Les conditions météorologiques extrêmes, la famine et la pollution de l’air sont autant de facteurs à l’augmentation sans changement climatique de morts. Les conséquences de santé publique drastiques du changement climatique pourraient fournir à l’ONU l’élan dont elle a besoin pour se faire entendre sur une nouvelle série d’objectifs climatiques ambitieux en 2015. Toutefois, les critiques ne sont pas convaincus.
Sir Nicholas Stern, professeur à la LSE, a déclaré lors d’une conférence récente que la santé «pourrait être l’une des clés de la sensibilisation aux questions de climat». Le spécialiste estime que la question prend de l’élan politique en Chine, où les maladies respiratoires causées par une mauvaise qualité de l’air pourraient coûter au pays jusqu’à 10% de son PIB d’ici à 2030. Deux siècles d’hydrocarbures brûlants de façon intensive ont eu un impact majeur sur la qualité de l’air, et des quelque 7 millions de décès dans le monde liés à la mauvaise qualité de l’air en 2012, près de la moitié est produite en Asie.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le coût total du préjudice causé à la santé publique par le changement climatique s’élèvera entre 2 et 4 milliards de dollars par an d’ici à 2030. L’organisation estime également que la malnutrition, le paludisme, la diarrhée et le stress causés par des températures élevées pourraient être responsables encore de 250 000 décès dans le monde entre 2030 et 2050. Naturellement, l’OMS est critiquée et un rapport britannique parle d’exagération. Leur principale critique est que la recherche de l’OMS n’a pas tenu compte de la capacité des populations à s’adapter au changement climatique, en particulier à la hausse du niveau des mers. (1)
Les pays du Sud une fois de plus déçus
Selon une dépêche de l’AFP, les pays du Sud exigeaient que les «contributions nationales» comprennent aussi des actions d’adaptation au réchauffement et des soutiens financiers à leur égard, deux points mentionnés dans l’accord, sans pour autant faire l’objet d’obligations. Le groupe Afrique, les petits Etats insulaires, l’Arabie saoudite, les Philippines, le Brésil avaient fortement insisté pour que l’adaptation puisse faire partie des contributions. Le Sud réclamait aussi, sans succès, des précisions sur les canaux de financement qui doivent permettre d’arriver à 100 milliards de dollars d’aide en 2020 et qui restent flous. (2)
«Les lignes rouges ne sont malheureusement pas évoquées», a également lancé le représentant de la Malaisie au nom d’un large groupe de pays en développement. «Les contributions doivent tenir compte de l’adaptation» au changement climatique, a-t-il plaidé sur un ton très ferme. En vue de l’accord de fin 2015, qui entrera en vigueur en 2020, les engagements des pays doivent être annoncés si possible d’ici le 31 mars ou bien avant la COP de Paris. Cela permettra de mesurer l’effort global par rapport à l’objectif de limiter la hausse du thermomètre de la planète à 2°C. Les contributions nationales doivent permettre une baisse globale des émissions de 40 à 70% d’ici à 2050: une nécessité absolue pour parvenir à ne pas dépasser le seuil de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle. (2)
L’avènement d’une conscience pour la justice climatique
Les pays développés veulent agir sur une base volontaire, les pays en développement veulent des engagements financiers plus élevés avant de se prendre les mesures nécessaires sur la réduction de leurs émissions. A ce titre Susann Scherbarth, de l’association «la justice climatique» et militant de l’énergie de l’ONG des Amis de la Terre, a déclaré: «Nous devons dire la vérité – la progression est pitoyable et ne nous a pas donné l’ampleur de l’urgence planétaire. Les gouvernements du monde sont loin d’un accord équitable et suffisant pour lutter contre le changement climatique mais la vérité est que l’Europe et d’autres pays industrialisés sont à l’origine de l’injustice climatique. Les gens à travers le monde, en particulier les plus pauvres, souffrent déjà de l’évolution du climat, les gouvernements des pays riches refusent encore de quitter l’énergie sale et embrasser un avenir propre et renouvelable», a déclaré Scherbarth. (2)
Du fait de la responsabilité des pays industrialisés, l’idée qu’il faille rendre justice aux victimes des changements climatiques dans les PVD se fait jour. Sécheresses, inondations et autres phénomènes climatiques extrêmes ont notamment des effets dévastateurs sur la faim dans le monde. Il est temps de changer le cours des choses! «Les solutions sont là, les impacts du réchauffement se multiplient et les gouvernements ne font pas assez»,dénonçait Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam international, lors de la marche climat organisée à New York, le 21 septembre, en amont du Sommet des chefs d’Etats sur le changement climatique. Aider à financer l’adaptation des pays en développement aux conséquences du changement climatique en contribuant à hauteur d’un milliard au Fonds Vert pour le climat; réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990 (conformément aux recommandations du Giec). Encourager l’utilisation d’énergies durables et renouvelables à hauteur de 45%. Mettre un terme aux subventions directes et indirectes aux projets énergétiques polluants; réaliser 40% d’économies d’énergie d’ici à 2030.(3)
Le réchauffement climatique a un impact direct sur les conditions météorologiques extrêmes de plus en plus, ainsi que l’accès des plus pauvres à la nourriture du monde. Les échecs de la désertification et des cultures ont tendance à réduire les ressources dans les zones où la nourriture est déjà une denrée rare. L’ONG Action Contre la Faim a mis en évidence le risque croissant de la famine, de dire à la Conférence sur le climat Lima qu’un enfant meurt toutes les 30 secondes de malnutrition. Dans un rapport publié le 6 Décembre, l’ONG a souligné la nécessité d’intégrer «le droit à la santé et la nutrition adéquate» dans le débat sur le changement climatique.
Dans cet ordre, plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées, lundi 22 septembre dans le quartier de Wall Street à New York alors qu’elles manifestaient pour dénoncer «la responsabilité de la finance dans le changement climatique». Au lendemain de la grande Marche du peuple pour le climat qui a rassemblé 400 000 personnes, selon les chiffres définitifs, l’Alliance pour la justice climatique qui regroupe des mouvements anticapitalistes avait appelé à cette action de désobéissance civile avec pour mot d’ordre «Flood Wall Street» (Couler Wall Street). (4)
Il faut agir de toute urgence contre le changement climatique. Ce slogan a été entonné hier par plusieurs centaines de milliers de personnes, partout dans le monde. A la différence de la plupart des organisations de défense de l’environnement qui ne contestent pas le rôle du marché, les mouvements pour la justice climatique considèrent que la crise écologique trouve ses racines dans le mode de production capitaliste et ne peut se résoudre sans répondre aux inégalités sociales. (4)
Justice climatique et justice sociale
Une étude faite par la Fédération Protestante place d’une façon rationnelle les enjeux réels en termes de justice à la fois climatique et sociale. En quoi le climat constitue-t-il un enjeu de justice? Pourquoi y a-t-il urgence? Dans quelle mesure cela regarde-t-il le chrétien, et plus largement, les Églises? Il apparaîtra que le changement climatique pose à l’humanité un problème crucial, pour ne pas dire vital. Voilà une réalité qui impacte très concrètement d’ores et déjà la vie de millions de personnes et qui, au XXIème siècle et au-delà, risque de devenir la mère ou la soeur de quasiment tous les enjeux humains, qu’ils soient plus particulièrement sociaux ou écologiques. La justice climatique pose rien de moins que la question de notre avenir. (5)
Nos émissions actuelles sont susceptibles de modifier notre climat pour le millénaire qui vient et au-delà. Si l’on accepte qu’une nouvelle génération naît tous les 30 ans, c’est au moins la trentaine de générations à venir qui risque de souffrir du mode de vie et des choix de quelques-unes, dont, en particulier, la nôtre, qui a entre ses mains les décisions cruciales. Ces générations ne disposeront pas des mêmes conditions naturelles de vie que la présente. Le changement climatique pose une question grave de justice intergénérationnelle.(5)
Enfin, les changements climatiques posent une question de justice sociale. Car les populations qui souffrent d’abord des changements, ce sont les couches les plus pauvres et les plus vulnérables de la société (femmes, enfants, personnes âgées et handicapées). Il se trouve que ce sont les pays en voie de développement et les pays les moins avancés qui se situent dans les zones géographiques qui seront probablement les plus exposés aux conséquences des changements climatiques. Ensuite, il est clair que les pays ou les couches sociales pauvres sont moins armés du point de vue économique pour répondre aux défis du changement climatique. Par exemple, si les Pays-Bas disposent des fonds nécessaires à la protection de leurs côtes contre l’élévation de la mer, il n’en va pas de même du Bengladesh où cette élévation jettera sur les routes des millions de réfugiés climatiques (5).
Pour Hervé Le Treut, climatologue, les objectifs scientifiques sont finalement très faciles à énoncer mais ils soulèvent des problèmes énormes. Dire qu’il faut essayer de limiter les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70% d’ici le milieu du siècle pour ne pas dépasser les 2°C de réchauffement revient à fixer une tâche considérable. Puisque plus de 80% de l’énergie utilisée dans le monde est tirée du charbon, du gaz naturel ou du pétrole, il faut une mutation complète des systèmes de tous les pays en 30 ou 40 ans: de transports, de production industrielle, d’habitat. Or, si l’énoncé scientifique met en jeu des transformations économiques et sociales très fortes, elles sont assez peu débattues.
Les changements climatiques en Algérie
La politique environnementale est à inventer !Nous devons nous préparer au pire, les études du Giec montrent que l’Afrique du Nord sera impactée à la fois par des vagues de chaleur importantes mais aussi par des inondations de plus en plus brutales, imprévisibles et catastrophiques. De plus, la désertification sera accélérée. Ce qui induira forcément des pertes de productivité si on ne s’y adapte pas dès maintenant. En l’aménagement du littoral, plus largement des villes devra s’appuyer sur les études historiques des régions.
A titre d’exemple, les crues de l’oued El Harrach sont connues dans l’histoire et on pense que (la débâcle de) «l’invincible armada espagnole de Charles Quint en 1541 a été vaincue en partie grâce aux éléments naturels, indépendamment de la légende de Sidi Abderahmane Boukabrine qui, dit-on, remplissait une grande jarre et la vidait brutalement simulant ainsi la houle. L’Espagne aurait perdu la moitié de sa flotte à l’embouchure de l’oued El Harrach.
Dans tous les cas, la politique des changements climatiques n’est qu’un élément d’une problématique d’ensemble, celle d’une transition énergétique vers le développement durable, seule utopie réelle qui nous permettra de sortir de la hantise de la rente.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-eu.dz
1. L’OMS pèse sur le débat climatique 12/12/2014 Euractiv. 12 12 2014
2.Climat: les négociateurs concluent à l’arraché un accord à Lima:14/12/ 2014 AFP)
4.Laurence Caramel: Des militants pour la «justice climatique» arrêtés Le Monde.fr 23.09.2014
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