29
Déc
2014
La gauche morale est devenue le substitut de la religion, par Jean Bricmont
Reprise d’un article de 2010 (qui n’a pas pris une ride !) de Jean Bricmont, physicien et essayiste belge, proche de Noam Chomsky…
Jean Bricmont était à Montpellier le 8 avril 2010 à l’invitation des Amis du Monde diplomatique. L’intellectuel belge, proche de Noam Chomsky, a brossé un « panorama idéologique de l’histoire de la gauche et du socialisme ». Il a fustigé « la gauche des valeurs ». Ce qui prend un relief particulier au moment où Martine Aubry, la première secrétaire du PS, et plus localement, Hélène Mandroux, maire de Montpellier, choisissent de mettre en avant « les valeurs de la gauche » (1). Jean Bricmont a aussi évoqué quelques rares pistes pour agir« quand on n’est ni Lénine ni Cohn-Bendit ».
Les questions sont parfois synthétisées ou réduites à un mot ou une expression, et certaines parties des réponses non essentielles pour le discours remplacées par des [...]. Pour écouter l’intégralité de cette partie : télécharger le fichier
Une critique de l’anti-système
Il est possible que je dise des choses qui vous choquent. Ma position dans le fond est très modérée. Sur certaines choses, ma position paraît radicale uniquement parce que l’époque dans laquelle on vit, est radicale. Dans la mauvaise direction mais radicale. [...] Je souhaite faire une critique idéologique de la situation actuelle. Ce n’est pas une critique du système mais de l’anti-système ou une critique de la gauche. Je fais une critique de la gauche d’un point de vue de gauche. [...]
Je vais partir d’un constat : on se trouve aujourd’hui dans une crise du système. Tout le monde est d’accord y compris les économistes libéraux (qui disent que peut-être la crise est passée mais qui reconnaissent qu’il y a eu une grosse crise). Mais je remarque qu’il n’y a rien comme opposition. La crise de la gauche, à l’heure où il y a crise du système, est d’autant plus grave et manifeste que la crise du système est grave. On peut se réjouir que le système soit en crise mais que fait-on pour y répondre ? Que fait-on ? Rien et personne ne sait que faire. Quand j’ai donné ce titre un peu provocateur ["Que faire quand on n’est ni Lénine ni Cohn-Bendit ?"], je me suis dit que ma réponse n’est pas la réponse communiste classique, ce n’est pas Lénine. Ce n’est pas Cohn-Bendit première version de mai 68 ni Cohn-Bendit deuxième version, social-libérale.
Mais que peut-on faire ? Et en fait je n’ai pas beaucoup de réponses à la question. Mais je voudrais commencer par faire un panorama de l’histoire de la gauche et du socialisme depuis les origines jusqu’à la crise de 1981-1983, me concentrer sur ce qui s’est passé après et expliquer pourquoi la gauche mitterrandienne nous a mis dans une impasse, dont je ne sais pas très bien comment sortir.
La gauche est toujours anti
Marx est un enfant des Lumières et du libéralisme des Lumières, il ne faut pas l’oublier. Rien ne m’énerve plus que l’expression « gauche anti-libérale » parce que, quand la gauche se dit anti-libérale, elle veut dire qu’elle est anti-néolibérale et elle devrait dire qu’elle est anti-capitaliste. Mais elle ferait mieux de dire qu’elle est pro quelque chose. La gauche est toujours anti. : anti-raciste, anti-fasciste, anti-capitaliste, anti-libérale, anti-OGM, anti-nucléaire. Mais pourquoi ? On y reviendra.
Les libéraux actuels n’ont rien à voir avec le libéralisme classique. Les libéraux classiques étaient des gens qui voyaient deux pouvoirs oppressifs en face d’eux, l’État absolutiste et l’Église, et qui pensaient s’en libérer afin que l’individu puisse réaliser son plein potentiel. Leur version du marché libre n’avait rien à voir avec la version actuelle parce que c’était une société essentiellement de petits producteurs. Et disant : si ces petits producteurs peuvent se libérer de la tutelle de l’État absolutiste et de l’Église, ils pourront alors interagir et ça mènera à une situation d’humanité. [...] Ce projet a échoué parce qu’en libérant les forces du marché, on a eu, en même temps, avec la révolution industrielle, la naissance de la grande industrie. Et, avec celle-ci, on a eu une concentration de pouvoir entre les mains des capitalistes qui n’était pas tellement différente du pouvoir concentré contre lequel les libéraux s’étaient battus : celui de la féodalité, de la monarchie, de l’Église.
La concentration des médias fait que l’information et la liberté de débat sont perverties
À partir du moment où des individus possèdent les moyens de production, ils peuvent dicter aux gens qui n’ont à vendre que leur force de travail, leurs conditions de vie, d’habitat, etc....
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