Translate

vendredi 4 avril 2014

L’Afghanistan tourne la page de l’ère Karzaï

L’Afghanistan tourne la page de l’ère Karzaï

LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par 
On l'appelle la « Montagne de l'éléphant ». Dressée un peu comme un fortin naturel à la sortie nord de Kandahar, la grande cité du sud afghan, l'excroissance rocheuse suggère un pachyderme à genoux. Le mollah Omar, chef suprême des talibans, avait jadis habité au pied de ce massif. Et au-delà du col qui plonge vers la vallée d'Arghandab, il y a ces murs grimés de slogans. « Le vote est le droit de tout homme et toute femme », « Le vote apporte l'unité », « L'élection est la fondation de la société ».
S'il fallait une image pour résumer la campagne en vue de l'élection présidentielle en Afghanistan du samedi 5 avril, on retiendra celle-là : l'apologie graphique du bulletin de vote au coeur de l'ex-berceau du mouvement taliban. Car en dépit de la nuée d'orages qui ne cesse de plomber le ciel afghan, des attentats des talibans, du désenchantement de la population face à bien des promesses non honorées, l'Afghanistan va se livrer samedi à un exercice de démocratie électorale.
Huit candidats sont en lice pour tenter de succéder à Hamid Karzaï, le président sortant qui ne pouvait pas se représenter pour un troisième mandat. Depuis la chute du régime taliban fin 2001, précipitée par l'intervention militaire d'une coalition internationale dirigée par les Américains, c'est la cinquième fois que les Afghans sont appelés aux urnes après deux scrutins législatifs (2005 et 2010) et deux présidentiels (2004, 2009).
Cette édition 2014 marque toutefois une première. Elle se déroule sur fond de retrait des troupes de l'OTAN dont le mandat s'achèvera à la fin de l'année. Contrairement aux exercices précédents, les Occidentaux ont joué un rôle marginal dans l'organisation technique du scrutin comme dans les combinaisons politiques entourant les candidats, une nouvelle donne qui illustre la réappropriation par les Afghans de l'essentiel de leur souveraineté politique.
Les Américains en particulier, qui se sont brûlé les doigts lors du scrutin de 2009 – leur intervention dans la controverse sur les fraudes électorales avait provoqué leur rupture avec Hamid Karzaï – brillent cette fois par leur discrétion.
UNE TRANSITION INÉDITE
A l'échelle de l'histoire longue, le scrutin de samedi constitue surtout un précédent. Si aucun accident ne vient faire dérailler in extremis le processus, il s'agira de la première transition démocratique en Afghanistan d'un chef d'Etat à un autre.
Depuis la fin de la monarchie en 1973, la chronique politique afghane n'avait été rythmée que par des prises de pouvoir par la force : coup d'Etat communiste (1978) préludant à l'invasion soviétique (1979) ; conquête militaire de Kaboul par les moudjahiddine formés dans le djihad anti-Moscou (1992) ; conquête militaire de Kaboul par les talibans (1996) puis renversement du régime taliban du mollah Omar par l'intervention militaire occidentale post-11-Septembre 2001.
Le scénario qui se profile cette fois-ci est bien différent. Hamid Karzaï remettra, constitutionnellement les clés du palais présidentiel à son successeur élu. L'événement est d'envergure. Cette transition inédite s'annonce toutefois grevée d'aléas et de périls. Trois incertitudes dominent. La première tient dans la menace proférée par l'insurrection des talibans de déstabiliser le processus électoral.
Le portrait d'Hamid Karzaï (en édition abonnés) : Hamid Karzaï, le rêve afghan brisé
 DES ATTAQUES MEURTRIÈRES
Les attentats insurgés ont été particulièrement meurtriers ces dernières semaines, frappant des cibles symboliques à Kaboul dont l'impact médiatique est soigneusement recherché dans le cadre de la guerre psychologique menée par la rébellion. Vendredi 4 avril, une photographe allemande de l'agence américaine Associated Press (AP) a été tuée dans l'est du pays. Elle était accompagnée d'une journaliste canadienne qui a été blessée.
Le succès de cette stratégie de la violence des talibans se mesurera au degré de mobilisation électorale de la population samedi.
La seconde incertitude a trait à l'ampleur des fraudes risquant de polluer la consultation. Les dirigeants des deux structures de supervision – la Commission électorale indépendante et la Commission des plaintes – ont été nommés par M. Karzaï lui-même, ce qui jette un doute sur leur réelle indépendance. Un autre fait troublant suscite l'inquiétude : 20,5 millions de cartes d'électeur ont été émises alors que le corps électoral est évalué à 13 millions de personnes –, ce qui signifie que 7,5 millions de documents falsifiés circulent. Si le danger de fraudes n'est pas désamorcé, la transition politique est menacée.
« Des fraudes massives ne seraient pas acceptées par le peuple afghan », avertit Abdullah Abdullah, l'un des candidats de l'opposition à M. Karzaï, sans trop s'appesantir sur les risques de violences qui pourraient en découler.
 L'INFLUENCE DU PRÉSIDENT SORTANT
Enfin, troisième hypothèque : quelle sera la réalité de la retraite politique de M. Karzaï ? Si le président sortant s'apprête à quitter formellement le pouvoir, le Tout-Kaboul bruisse déjà de rumeurs sur son intention de continuer à jouer un rôle de premier plan en coulisse.
On lui prête en particulier le plan de s'arroger le statut de mentor de facto du prochain président. Le fait qu'il se fasse aménager une belle résidence en marge du palais présidentiel – dotée d'une porte communicante – serait l'illustration de cette ambition. Mais la réussite de son projet dépendra bien sûr de la personnalité de son successeur.
Parmi les huit candidats, trois figures se détachent : Abdullah Abdullah, ex-lieutenant du commandant Massoud (le « Lion du Panchir ») qui l'avait déjà mis en ballottage en 2009 ; Ashraf Ghani, anthropologue de formation ayant fait sa carrière à la Banque mondiale ; et Zalmaï Rassoul, ex-ministre des affaires étrangères de M. Karzaï dont il est très proche. La logique voudrait que M. Rassoul soit l'héritier pressenti. Mais la campagne moyenne qu'il a menée fait douter de sa capacité à s'imposer dans les urnes.
Aussi M. Karzaï pourrait-il devoir « cohabiter » avec un successeur qui n'est pas forcément de son goût. Là, tout autant que dans les risques liés à l'organisation du scrutin, réside l'inconnue de la transition afghane.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire