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samedi 24 mars 2018

Bolton, un va-t-en-guerre à la Maison Blanche


24 mars 2018

Bolton, un va-t-en-guerre à la Maison Blanche

Farouche partisan de l'invasion de l'Irak en 2003, John Bolton devient conseiller à la sécurité nationale

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LE CONTEXTE
stratégique
Organe discret mais stratégique, le Conseil de sécurité nationale (NSC) est au cœur de la formulation de la politique étrangère américaine. Henry Kissinger et Colin Powell ont occupé ce poste. La promotion comme membre permanent du NSC, fin janvier 2017, du chef stratège de la campagne de Trump, Stephen Bannon, associé à l'extrême droite, avait fait l'objet de critiques contre la " politisation " du Conseil. Il avait été évincé trois mois plus tard.
Créature
Le NSC a été créé par le National Security Act de 1947 pour conseiller de manière neutre le président " en intégrant l'ensemble des facteurs militaires, civils, intérieurs et internationaux de la sécurité nationale ". Les principes n'ont pas résisté à la pratique du pouvoir et le NSC s'est transformé en créature du président, dotée des moyens nécessaires pour planifier et mettre en œuvre la politique étrangère en concurrence avec le département d'Etat.
INQUIÉTUDES EN ASIE
La nomination de John Bolton a été accueillie avec appréhension, vendredi 23 mars, en Corée du Sud, où on redoute que l'arrivée de ce faucon complique les préparatifs d'un possible sommet -entre Donald Trump et Kim Jong-un. Ces derniers mois, l'ex- ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU s'est dit partisan d'une action militaire préventive contre la Corée du Nord. Pékin aussi semble s'inquiéter. " Quelle coopération en matière de sécurité peut être menée avec la Chine ? Les armes nucléaires, la Corée du Nord, Taïwan, la mer de Chine méridionale, le cyberespace : où y a-t-il un espoir de coopération ? ", s'interroge Shi Yinhong, spécialiste des relations sino-américaines à l'université Renmin de Pékin.
Donald Trump n'est pas réputé pour son goût pour les dossiers, mais il connaît sans doute dans le détail les positions de son nouveau conseiller à la sécurité nationale, John Bolton. L'ancien – et bref – ambassadeur américain aux Nations unies est en effet un chroniqueur régulier de la chaîne conservatrice Fox News, régulièrement encensée publiquement par le président des Etats-Unis.
En le nommant, jeudi 22  mars, Donald Trump s'adjoint donc en toute connaissance de cause les services d'un faucon assumé, un interventionniste vintage, grand défenseur des guerres préventives. Ses positions maximalistes auraient pu contrarier une nomination à un poste requérant une confirmation par le Sénat. Le choix du conseiller à la sécurité nationale, en revanche, ne relève que du bon plaisir du président.
Avec ses phrases chocs, John Bolton parle depuis longtemps une langue intelligible pour Donald Trump en politique étrangère. Au cours des derniers mois, l'ancien diplomate a souhaité publiquement l'emploi de la manière forte à propos de l'Iran comme de la Corée du Nord, même s'il s'est félicité du projet de rencontre entre le président des Etats-Unis et son homologue nord-coréen, Kim Jong-un.
Après le remplacement, le 13  mars, du modéré Rex Tillerson par le faucon Mike Pompeo au département d'Etat, le retour de M. Bolton aux affaires ne peut qu'inquiéter les signataires européens (Allemagne, France, Royaume-Uni) de l'accord sur le nucléaire iranien forgé par le prédécesseur démocrate de Donald Trump, Barack Obama. A quelques semaines de la date butoir du 12  mai édictée par le président, le camp des partisans d'une sortie périlleuse de ce compromis sanctifié par les Nations unies est -nettement renforcé au sein de l'administration républicaine.
" Je n'utilise pas la carotte "Le choix de John Bolton peut surprendre compte tenu de son rôle dans l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis, en  2003. Pendant la campagne de la primaire républicaine, Donald Trump n'avait pas eu de mots assez durs pour qualifier l'initiative du président républicain George W. Bush. " La pire des pires décisions jamais prises ", n'avait-il cessé d'asséner, insistant sur les " 4 000 milliards de dollars dépensés pour rien "." Nous avons rendu un très mauvais service au Moyen-Orient, et un très mauvais service à l'humanité ", ajoutait M. Trump, alors suspecté de tentations isolationnistes.
John Bolton avait milité activement à l'époque en faveur du renversement du dictateur irakien, Saddam Hussein, avec le courant néoconservateur qui s'était imposé aux côtés du président républicain. Il a pu regretter par la suite certaines des décisions prises après l'effondrement du régime. Il n'a jamais remis en cause, en revanche, le bien-fondé d'une décision étayée par des accusations pour le moins hasardeuses quant à des programmes d'armes de destruction massive que le régime irakien était censé développer.
Ce bellicisme est une constante chez John Bolton, fils de famille modeste né à Baltimore, en  1948. A Yale, l'université prestigieuse qu'il a intégrée, cet anticommuniste virulent ne manifeste pas contre la guerre au Vietnam comme la majorité de ses condisciples, dont Bill Clinton et Hillary Rodham. Il évite pour autant de servir sur place, en s'enrôlant dans la garde nationale du Maryland. Devenu avocat, il exerce dans plusieurs cabinets tout en militant dans les rangs conservateurs. Il se rapproche du puissant sénateur républicain de Caroline du Nord, Jesse Helms, un nostalgique de la ségrégation raciale. Ce dernier le parraine auprès des administrations de Ronald Reagan et George Bush père.
John Bolton défend avec constance une ligne dure au département d'Etat, l'équivalent du ministère des affaires étrangères, comme plus tard à celui de la justice. Après les deux mandats du démocrate Bill Clinton, il retrouve la diplomatie à la faveur de la victoire sur le fil de George W. Bush, en  2000. Il est de nouveau épaulé par Jesse Helms, devenu président de l'influente commission des affaires étrangères. Il devient alors secrétaire d'Etat adjoint chargé du contrôle des armes et de la lutte contre la prolifération.
Sous son impulsion, les Etats-Unis mettent en échec une convention bannissant les armes biologiques sous l'égide des Nations unies, au nom d'intérêts de sécurité. John Bolton avance également l'argument de la souveraineté pour justifier le retrait de Washington de la Cour pénale internationale (CPI) créée en  2002. La diplomatie qu'il pratique se résume fréquemment à l'attaque à la jugulaire. " Je n'utilise pas la carotte ",déclare-t-il alors. Seulement le bâton.
Troisième titulaireCe nationaliste n'a que faire de la communauté internationale. " L'ONU, ça n'existe pas, l'immeuble à New York compte 38 étages. il pourrait bien en perdre dix, cela ne ferait aucune différence ", assure-t-il. Une fois sa réélection obtenue, George Bush l'impose pourtant, en  2005, au poste d'ambassadeur aux Nations unies malgré la défiance du Sénat, en profitant d'un congé du Congrès. Faute d'un feu vert des sénateurs, John Bolton est contraint de quitter ses fonctions au bout d'un an.
Après le retour aux affaires d'une administration démocrate à la suite de la victoire de Barack Obama, John Bolton se replie sur l'une de ses bases, l'American -Enterprise Institute, un think tank conservateur. Pour imposer dans le débat public sa vision martiale de la diplomatie, il caresse à deux reprises une candidature à l'investiture républicaine, en  2012 puis en  2016, sans succès. Lors de sa seconde tentative, il a pu compter sur le soutien d'un milliardaire influent, Robert Mercer, et sur les conseils de la société aujourd'hui dans la tourmente pour son usage de données personnelles sur Facebook, Cambridge Analytica.
Sur Fox News, pendant les deux mandats Obama, il étrille inlassablement les choix de la Maison Blanche et toute concession au multilatéralisme. Il se félicite bruyamment, en juin  2016, du Brexit, ce " poignard dirigé vers le cœur du projet de l'Union européenne ". Autant de prises de position que Donald Trump partage, au point de laisser flotter l'idée de sa nomination au poste de secrétaire d'Etat après sa victoire, en novembre de la même année.
Sa promotion comme conseiller à la sécurité nationale met l'accent une nouvelle fois sur l'instabilité de l'administration Trump. John Bolton en est le troisième titulaire en un peu plus d'un an. Un nouveau record pour une Maison Blanche dont plus de 40 % des postes-clés ont été renouvelés au cours de la même période, selon la comptabilité d'une experte en gouvernance de la Brookings Institution, Kathryn Dunn Tenpas.
Le premier titulaire, l'ancien général Michael Flynn, récompensé pour un engagement précoce au côté de Donald Trump pendant la campagne présidentielle, avait été obligé de démissionner après seulement trois semaines. Il avait dû avouer avoir menti au vice-président sur ses conversations avec l'ambassadeur russe alors en poste à Washington.
Le choix pour le remplacer d'un général d'active versé dans la pensée stratégique, H. R.  McMaster, avait rassuré les modérés de l'administration. Mais ce dernier n'a pas su gagner la confiance du président. Les longs exposés dont il s'est rendu coutumier ont vite agacé Donald Trump.
Le militaire a dû essuyer, comme avant lui le secrétaire d'Etat Rex Tillerson, une humiliation publique lorsque le président l'a critiqué sur les réseaux sociaux pour le discours qu'il avait tenu au cours de la conférence de Munich sur la sécurité, en février. Son sort a été tranché de la même manière que celui de l'ancien patron du géant pétrolier Exxon-Mobil – sur Twitter.
Gilles Paris
© Le Monde

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