Dès l'aube, ils avaient posté leurs tracteurs géants et machines à ensemencer en travers de la grand-route de Sao Borja, petite ville de l'extrême sud du Brésil, à quelques jets de pierre de la frontière argentine. Aux côtés de leurs engins, revêtus de leurs chapeaux de gauchos, ils étaient déterminés, mercredi 21 mars, à perturber l'arrivée de celui qu'ils appellent le " plus grand bandit de toute l'histoire de l'humanité " : Luiz Inacio Lula da Silva, dit " Lula ", ex-président (2003-2010) et candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche) à un troisième mandat pour la présidentielle d'octobre.
Ce Sud aux hivers parfois glacials n'est pas le Nordeste ravagé par la sécheresse, où le " père des pauvres " fut accueilli il y a quelques mois comme un demi-dieu. A Sao Borja, étape de la tournée de sa caravane dans les Etats de Rio Grande do Sul, Santa Catarina et Parana, une foule hostile de propriétaires terriens (
fazendeiros) ultraconservateurs attendait Lula, soutenus par le maire d'une municipalité où l'on vit du bétail, de la culture du riz ou du soja.
A leur tête, le président du syndicat des
ruralistas (agriculteurs et agronégoce), Viriato Joao Jung Vargas, descendant de Getulio Vargas, chef d'Etat du début du XXe siècle, à l'origine des premières lois protégeant les travailleurs, mort par suicide, en 1954, et à qui Lula le socialiste venait rendre hommage.
" C'est une honte ! Lula salit le nom de Vargas. Getulio avait une chose qui manque à Lula : l'honnêteté ", s'étouffe l'arrière petit-neveu de Getulio Vargas, évoquant les ennuis judiciaires de l'ex-président Lula, condamné en deuxième instance à plus de douze ans de prison pour corruption. Là où Lula voyait des similitudes entre sa politique et celle de Vargas – qui, malgré un épisode dictatorial, est toujours encensé dans son pays –, Viriato Joao Jung Vargas ne voit qu'une imposture.
" La politique de Lula, c'est donner l'argent de ceux qui produisent à ceux qui ne font rien ", résume-t-il.
" Je vais gagner "Il aura fallu plusieurs heures à la caravane pour contourner la colère et éviter les bagarres dans une région, hier considérée comme un bastion de la gauche, aujourd'hui qualifiée de " Texas du Brésil ". Quand enfin l'ex-métallo atteint l'estrade sur la place centrale de la ville, c'est une foule amie composée de syndicalistes, de membres du PT, de sympathisants de gauche et de militants de la cause noire ou LGBT qui l'attend.
" Vous m'avez donné la force de venir à Sao Borja ", remercie Lula avant de retrouver sa morgue. Fustigeant les
" fascistes " qui veulent l'empêcher de se présenter à la présidentielle, attaquant ceux qui le qualifient de
" voyou ", il prévient :
" Je veux qu'ils sachent : je vais revenir et je vais gagner. S'ils veulent m'abattre, bon courage. "Foulard rouge autour du cou, voix enrouée, l'ancien gamin pauvre du Nordeste reprend alors son antienne, rappelant aux uns un passé béni (celui de ses deux mandats) et promettant aux autres un futur enchanté où il n'y aurait plus de
" citoyens de seconde zone ".
" Je voterai pour lui parce que je vote pour les pauvres ! ", appuie une vieille femme qui refuse de donner son nom. A ses côtés on acquiesce, relativisant les accusations contre l'ancien président au regard des soupçons (corruption passive, participation à une organisation criminelle, blanchiment d'argent) qui pèsent contre l'actuel chef d'Etat, Michel Temer.
" Lula a été condamné sans preuve ", soutient Marcelo Nunes, fonctionnaire.
" C'est une injustice ", abonde Carolina Pinheiro, professeure d'arts plastiques à l'Institut fédéral Farroupilha. Un établissement créé, à l'instar de l'université Unipampa, sous le gouvernement PT, souligne-t-elle, qui a permis aux plus démunis de la région d'avoir accès à l'éducation supérieure.
" Lula gêne une élite qui refuse que les pauvres soient éduqués ", dit-elle.
Pas une fois Lula n'évoquera l'hypothèse de son absence du scrutin. Pourtant, s'il continue de se moquer de son âge (72 ans) et fait mine de mépriser ses ennuis judiciaires, l'angoisse plane. Lundi 26 mars doit avoir lieu l'examen des recours de sa condamnation. De simples éclaircissements qui, a priori, ne modifieront pas le verdict. Pour éviter la prison, Lula ne pourra alors compter que sur la Cour suprême qui, le 4 avril, doit se prononcer sur sa demande d'habeas corpus – le droit de ne pas être emprisonné sans jugement.
Mais, détenu ou libre, la loi dite de " Ficha limpa " (casier vierge), qui rend inéligible un candidat condamné par un collège de juges, pourrait le rattraper et mettre ainsi fin à sa campagne.
" C'est plié. Tout le monde en a conscience au PT ", assure une source proche du parti, qui fait de Fernando Haddad, l'ex-maire de Sao Paulo, le successeur de Lula. L'acharnement de Lula serait-il vain ?
" La stratégie est risquée mais c'est la seule option ", analyse Jonivan de Sa, professeur de sciences politiques à l'université Unipampa.
" Au Brésil, on ne vote pas pour un programme mais pour une personne. Les gens veulent Lula ", dit-il.
Claire Gatinois
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