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jeudi 31 juillet 2025

Contribuables Associés - De l’or dans les poubelles : le voyage d’un citoyen au pays des ordures

 


De l’or dans les poubelles : le voyage d’un citoyen au pays des ordures

‍François Lainée, membre de Contribuables Associés, a mené une enquête sur l’explosion des coûts de collecte et de traitement des déchets. Il a analysé les données cachées. Et à force d’acharnement, il a contraint l’ADEME, l'agence de la transition écologique, à rendre ses informations accessibles. Un combat victorieux pour lever le voile sur ce « secret » et instaurer la transparence dans l’utilisation de l’argent de nos impôts.

 

I- Gaspi dans les ordures, et les élus s’en moquent

 

En novembre 2004, le petit village de Boisemont (Val-d’Oise), où je réside, rejoint—contraint et forcé—la Communauté d’agglomération de Cergy‑Pontoise (CACP). Quelques mois plus tôt, une réunion publique organisée par mon maire, en présence du député‑maire de Cergy et président de la CACP, m’avait donné l’impression d’un autre monde : des propos technocratiques, si abstraits… Puis, à la fin, un citoyen a levé la main et posé une question inattendue : «Et qu’adviendra‑t‑il de nos déchets?»

 

La question était pourtant essentielle. Le député‑maire bafouille, et, au final, on ne sait pas si le service s’améliorera ou se dégradera. Je garde néanmoins la question en tête et, l’année suivante, la feuille d’impôts locaux répond pour moi : +40% du coût, pour un service moins bon (points de collecte centralisés là où, auparavant, tout était ramassé à domicile).

 

Je demande alors audience à mon maire et lui explique que le ratio service×coût ne va pas dans le bon sens. Il m’oppose les nombreux avantages d’être dans la CACP…

 

J’insiste : aucun bénéfice ne justifie cette hausse invraisemblable. Je veux les données sur les déchets à Boisemont.

 

Il me faudra des mois pour les obtenir et une saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), commission servant à accéder aux données publiques des administrations pour les citoyens le demandant, contre la CACP, ce qui stupéfie le député‑maire.

 

Les données, une fois arrivées, parlent d’elles‑mêmes. En quelques jours, je les analyse et confronte mes résultats à des comparables nationaux. Trois postes sont clairement «hors norme», notamment la collecte des déchets triés. À la louche : 10millions d’euros dépensés chaque année pour les déchets de la CACP, avec un surcoût estimé à 3millions d’euros par rapport aux standards nationaux.

 

J’écris alors aux 12 maires des communes pour leur communiquer mes analyses et proposer la création d’un groupe de travail réunissant deux experts des déchets, un élu et moi-même, pour affiner l’étude et définir des actions correctrices.

 

Le président de la CACP est socialiste, certains maires sont de droite, d’autres de gauche. J’anticipe que l’opposition se saisira de l’affaire. Eh bien non : je n’obtiens aucune réponse. Face aux citoyens enquêteurs, les élus se serrent les coudes ; il est vrai que les sièges au conseil de la CACP sont rémunérés, et le président n’a pas la réputation d’être indulgent. Quoi qu’il en soit, aucun élu ne daignera jamais me répondre.

 

Rendre des comptes? Non merci!

 

II- Le coût des déchets : une négligence venue d’en haut

 

Le sujet des politiques d’élimination des déchets est désormais dans mon radar. Je suis avec vigilance les actions de la CACP et, suite à ma demande d’un rapport, suis convié par un expert du service déchets à un échange, deux ans après mes premières relances. J’accepte immédiatement.

 

Voici l’extrait le plus instructif:

« L’expert: Bonjour, monsieur Lainée, je vais vous remettre le rapport, mais avant tout, je tenais à vous rassurer: nous travaillons très dur, au service déchets, pour améliorer le service.
– Moi: Je n’en doute pas. Cependant, peut‑être visons‑nous des objectifs différents. Quel est le vôtre?
– L’expert: Tout simple: le Grenelle de l’Environnement.
– Moi: Ah, d’accord. Je ne suis pas «Grenellologue». Concrètement, qu’est‑ce que cela implique pour les citoyens?
– L’expert: Réduire les volumes.

 

Je reste interloqué: la maîtrise—voire la réduction—des coûts ne fait pas partie de l’objectif. Je creuse:

 

« - Moi: Réduire les volumes, c’est une bonne idée. Mais à quel coût?
L’expert me regarde, surpris. Je poursuis:
– Moi: Admettons qu’on me demande de réduire les volumes sans contrainte budgétaire. J’embauche un chômeur par zone pavillonnaire, je lui donne une voiture de fonction avec consigne : dès qu’un sac descend dans le vide‑ordure ou est déposé à la porte, tu le récupères, tu le transportes dans la commune voisine. Résultat: zéro déchet chez nous, mais ruine assurée et peu d’éthique. »

 

À partir de là, l’expert note mes remarques sur les coûts, et nous établissons une communication constructive.

 

Après examen, il apparaît que le Grenelle de l’Environnement n’a guère travaillé la question du coût des déchets: manque de temps, m’expliquera une haute fonctionnaire.

 

III- Omerta sur les données : l’alliance de l’ADEME et des ministres

 

Je découvre ensuite que l’ADEME (Agence de la transition écologique) finance la formation des services locaux à la comptabilité analytique, permettant de distinguer les dépenses par type de déchets (triés, verts, déchetterie, ordures ménagères résiduelles) et par opération (précollecte, collecte, tri, traitement). Les résultats sont consignés dans des matrices territoriales intégrées à la base SINOE.

 

Convaincu qu’un progrès citoyen est possible, je demande la base complète à l’ADEME. On me répond qu’un accord la réserve aux collectivités; seul un rapport global est public. Stupéfait, j’écris aux ministres Borloo et Kosciusko‑Morizet: l’ADEME est indépendante, ils ne peuvent rien. Des ministres impuissants, ce n’est pas la dernière fois que je le constaterai.

 

Je me tourne alors vers les communes, demande leurs rapports des deux dernières années, et, dès que j’en ai suffisamment, j’alimente un tableur Excel pour reconstituer la base SINOE : volume par habitant et coût à la tonne par type de déchet, collecte et traitement séparés. En quelques jours, j’obtiens une base citoyenne couvrant la moitié de la population. Les résultats sont frappants:

 

  • De fortes disparités de volume par habitant et de coût par tonne selon les territoires
  • Pas de hiérarchie nette entre régie et délégation de service public (DSP) : c’est la gestion qui fait la performance
  • Les territoires les plus efficaces limitent les ramassages spéciaux et privilégient la déchetterie, l’usager finançant lui‑même la collecte et permettant le recyclage ou la revente

 

IV- Base de données ADEME : la muraille tombe enfin

 

Depuis cette escarmouche avec l’ADEME, l’envie de trouver un moyen d’accéder à la base SINOE me trotte dans la tête. Puis arrive l’ère de l’intelligence artificielle générative et sa capacité à extraire des données de documents texte ou tableurs, et à les mettre en forme. J’entame alors un projet autour des déchets : demander aux communes de me fournir leurs matrices SINOE, puis les exploiter avec l’IA générative pour créer, « de l’extérieur », la base SINOE.

 

À la même époque, je croise sur ma route l’association «Ouvre-boîte», spécialisée dans l’appui aux citoyens qui cherchent à accéder à des données (qui devraient être) publiques, et à qui l’administration les refuse. Nous engageons l’échange autour des données SINOE. Leur point de vue est très clair : ces données ont toutes les caractéristiques de données publiques, mais l’ADEME (qu’ils ont déjà fréquenté) est une forteresse, qui va faire traîner au maximum en opposant des prétextes de confidentialité, de secret des affaires ou autres. Nous décidons de mener une action commune, en nous partageant les rôles.

 

Les premiers échanges confirment leur analyse. L’ADEME indique qu’ils ont engagé des travaux pour rendre les données publiques, mais que, du fait de contraintes de secret des affaires, il faut d’abord reformater les données, ce qui va demander du temps.

 

En parallèle, j’ai obtenu de nombreuses communes des exemples de matrices SINOE. Rien dans ces matrices ne relève du secret des affaires; je sais donc que l’ADEME ment, au moins partiellement, dans la mesure où une bonne partie de la base SINOE pourrait être rendue publique sans délai et sans trahir aucun secret des affaires.

 

Reste la CADA, qui est pour moi la bombe atomique capable de faire tomber la muraille. Si la CADA, sollicitée pour obtenir la base de données (ou la partie «hors secrets» de la base, mais qu’il faudra définir en termes administratifs), déclare que ces données sont publiques, c’est gagné.

 

L’ADEME n’est pas obligée de se conformer à l’avis de la CADA, mais un recours au tribunal administratif est alors possible, et le fruit tombera de l’arbre. Mais si la CADA déclare que les données demandées ne sont pas transmissibles, c’est sarcophage pour l’éternité. Alors je suis prudent.

 

Toutefois, l’approche auprès des communes individuelles fournit un bon terrain d’essai, à faible risque. Certaines communes renâclent à me répondre. Je finis par attaquer l’une d’elles devant la CADA… Et je gagne!

 

La CADA reconnaît donc ces matrices comme des données publiques. C’est un magnifique progrès dans l’assaut de la citadelle.

 

L’ADEME, refusant toujours de me fournir l’architecture de la base (ce qui me permettrait de préciser les tables susceptibles d’abriter des données sensibles), je lance une CADA en précisant les données auxquelles je veux accéder, celles-là mêmes que je demandais aux communes.

 

Et, finalement, la barrière tombe ! Avant même que la CADA rende son avis, l’ADEME me fournit un identifiant et mot de passe pour accéder à la base, via leur site web, comme tout professionnel dans les services déchets participants pourrait y accéder.

 

Les données ne sont pas encore vraiment publiques, mais un citoyen curieux pourrait y accéder en demandant un accès. Et les données, maintenant exposées, sont susceptibles d’être traitées en dehors du contrôle de l’ADEME.

 

Des outils citoyens nouveaux vont naître ! N’en doutez pas. Vous pourrez bientôt savoir combien coûtent vos déchets, si vous en produisez beaucoup ou peu, grâce à des comparaisons avec des territoires comparables.

 

Par François Lainée, membre de l’Assemblée générale de Contribuables Associés

 

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