Le bon fonctionnement des démocraties libérales est étroitement lié à la possibilité de l'ascension sociale qui passe notamment par l'accès à la propriété. Or, on observe un renversement depuis les "30 glorieuses" : acquérir une résidence principale est devenu tellement onéreux que c'est souvent impossible pour les jeunes générations dans les métropoles occidentales. Les politiques d'urbanisme sont directement responsables de cette crise qui est aussi liée à la démographie et à la finance qui dans son fonctionnement actuel conduit à une toujours plus grande concentration des actifs. Les sociétés occidentales font face à une double crise : économique et démographique. Une stagnation due au manque de croissance de l'économie réelle qu'aggrave un déclin de la population active. Posséder son logement a été depuis la révolution industrielle un pilier de l'ascension sociale. On constate que cette aspiration légitime est aujourd'hui menacée, avec de graves conséquences pour le futur des démocraties libérales, selon Joel Kotkin pour Quillette (voir l'article en lien). Le phénomène est observé dans tous les pays dits riches : le fossé ne cesse de s'élargir dans les métropoles entre les revenus des foyers et les prix immobiliers… L'OCDE le confirmait en 2019 : « Le coût d'un logement a augmenté trois fois plus vite que le revenu moyen ces deux dernières décennies ». À la surface, il paraît évident que l'expansion des grandes villes a créé ce déséquilibre. Mais, insiste Kotkin, ce sont d'abord des décisions politiques qui ont provoqué cette crise en imposant des contraintes sur le développement des zones urbaines. Car, depuis 50 ans, les planificateurs dans les métropoles occidentales n'ont eu de cesse que de restreindre l'expansion des banlieues. Dans les années 70 déjà, Peter Hall – un célèbre urbaniste britannique - estimait que les terres sous contrôle des politiques de la ville valaient entre 5 et 10 fois celles qui y échappaient… La flambée des prix dans les zones péri-urbaines était donc voulue : l'idée des urbanistes était d'empêcher l'expansion sauvage des métropoles en forçant les gens à prendre des logements plus petits et proches des centres-villes. Les classes populaires, les populations immigrées dans les pays occidentaux – qui ne pouvaient pas se loger en centre-ville – ont été directement affectées par cette politique. La Californie – qui a été à l'avant-garde de cette vision dès les années 70 - est le cas le plus parlant. L'excès de régulation est pointé du doigt : l'achat d'une maison y coute 2,5 fois plus cher que la moyenne nationale américaine (et le loyer moyen 50 % au-dessus du médian fédéral). La conséquence est sans surprise : seuls 55,9 % des Californiens possèdent leur logement. Le plus bas taux à l'échelle de l'Union – après New York. La maison individuelle reste partout une préférence très nette – quelle que soit la classe sociale consultée. Il y a donc un problème : depuis des décennies, les politiques d'urbanisme vont à l'encontre de ce que veulent les gens. Les politiques et les urbanistes ont avancé que la densification des logements allait permettre une baisse des prix d'achat. Cet argument économique est contredit par les faits : l'excès de régulation empêche les développements. Aux États-Unis, on observe que les États qui imposent moins de contraintes (Floride, Tennessee, Texas par ex.) présentent une offre de logements individuels beaucoup plus large et moins chère. La dette publique calamiteuse dans de nombreux pays occidentaux ne fait qu'aggraver le problème en maintenant des taux d'intérêt élevés qui découragent les projets immobiliers. Les conséquences sociales sont lourdes : les jeunes générations sont de moins en moins propriétaires. Le recensement américain indique que la génération X (25-34 ans) comprend 45.4 % de propriétaires contre seulement 37 % pour les moins de 25 ans. En regardant la France, on constate une tendance similaire : si 58 % des Français sont propriétaires de leur résidence principale, les disparités sont très grandes entre la campagne (78 %) et les agglomérations (50 %). La politique d'urbanisme en France est aussi à la densification : depuis 2012, la construction d'appartements dépasse celle des maisons. Entre 2007 et 2017, si les constructions dans les zones déjà fortement peuplées ont bondi de 33 %, elles se sont effondrées de 47 % dans les zones à faible densité. L'augmentation des prix en France (+140 % en 20 ans) des logements anciens élargit la fracture entre les propriétaires et les autres… La priorité donnée à la densification pose un risque politique pour les sociétés occidentales : au Royaume-Uni moins d'1 % des Britanniques possèdent la quasi moitié des terres. Les 100 plus grands propriétaires terriens américains ont augmenté leurs surfaces de presque 50 % entre 2007 et 2017. Or la relation à la propriété est un critère majeur qui explique l'éclosion des démographies libérales ainsi que leur prospérité. Entre 1820 et 1970, le patrimoine s'est largement démocratisé en Occident et les politiques urbaines obsédées par la densification ont depuis renversé la tendance… La terre et la pierre sont devenues des valeurs spéculatives. L'argument écologique est avancé pour justifier de telles politiques… C'est une impasse dénoncée par des spécialistes. Offrir des logements plus spacieux, avec jardins, est la meilleure manière de protéger la biodiversité – en prenant en compte les progrès technologiques. Et le travail est devenu largement mobile depuis le Covid - ce qui réduit le besoin de vivre dans des grands centres. L'autre bénéfice majeur est de répondre à la crise démographique qui menace les pays riches. Car le lien entre la fertilité et le prix de l'immobilier est établi !
Ludovic Lavaucelle |
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